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Nilen Vencadasmy : «La manière de faire de Ramgoolam et de Bérenger est totalement condamnable»

23 mai 2014, 00:38

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Nilen Vencadasmy : «La manière de faire de Ramgoolam et de Bérenger est totalement condamnable»

En 2001, Nilen Vencadasmy étudiant en droit et passionné de politique, choisit de présenter un mémoire de fin d’études sur le thème de «Seconde République : redéfinir le statut, les pouvoirs et le mode d’élection du président de la République». Treize ans plus tard, le jeune avocat de 36 ans donne son avis sur ce sujet d’actualité et fustige les leaders politiques pour leur attrait à l’accaparement du pouvoir de décision.

 

 

Pourquoi avoir choisi, en 2001, le thème de la seconde République pour votre mémoire ?

En tant qu’observateur de la société et plus particulièrement de la chose politique pour laquelle j’ai toujours eu un intérêt très prononcé, j’ai fait ce choix très naturellement. Il me semblait, à l’époque, que ce sujet méritait une réflexion académique après presque 35 ans d’indépendance où les failles du système étaient devenues pleinement visibles. Il y avait une nécessité d’aborder cet aspect de notre vie politique commune.

Pour les besoins du mémoire, l’étude a été dirigée essentiellement vers une redéfinition du statut d’abord et ensuite des pouvoirs du président de la République. Et quiconque parle de plus de pouvoirs pour la présidence soulève automatiquement la question du mode de désignation. Il va de soi qu’avec plus de pouvoirs, la désignation du président de la République ne peut pas se faire selon le mode actuel qui n’est, nous le savons tous, qu’une nomination par le Premier ministre suivie d’un exercice de rubber stamp de l’Assemblée nationale.

 

 

Quel a été le postulat de départ ?

Déjà cela part d’une analyse qu’il y avait, et qu’il y a toujours, une concentration de pouvoir aux mains d’une seule personne, en l’occurrence le Premier ministre. L’histoire de notre nation indépendante est remplie d’exemples de dérives par rapport aux règles de base de notre démocratie uniquement à cause de cette concentration des pouvoirs. Et cela qu’importe le titulaire du poste.

L’étude est aussi passée par une analyse de ce qui existe déjà aux États-Unis, en France et en Inde avec pour objectif d’identifier les principes qui marchent et les best pratices de part et d’autre.

 

 

Quelles ont été les conclusions de vos recherches ?

J’ai défini un système qui me semblait plus équilibré en matière de partage de pouvoir. En termes de statut, la conclusion était d’essayer, à travers une balance des prérogatives, de se rapprocher le plus de celui d’un chef de l’État dans la pratique. Comment ? Il existe aujourd’hui un certain nombre de pouvoirs que le président exerce, premièrement sur conseil du Premier ministre, deuxièmement après consultation avec le Premier ministre et dans certains cas avec le leader de l’opposition et troisièmement de son propre chef. La troisième possibilité ne s’applique qu’à quelques cas et ce pouvoir est limité à un strict minimum.

La recommandation faite est de réfléchir à la manière de réduire l’obligation faite au président de la République d’agir sur conseil du Premier ministre et, par conséquent qu’il puisse agir «in his own and deliberate jugement» le plus souvent possible. L’idée est d’avoir un président qui est plus actif et qui est partie prenante de l’exécutif et de le ramener un peu au même niveau que le Premier ministre.

 

 

Qu’en est-il du pouvoir de dissolution de l’Assemblée ?

Tout se joue, justement, autour de ce pouvoir de dissolution. C’est ce qui ressort des analyses des différents systèmes politiques. Aujourd’hui, le président peut exercer ce pouvoir uniquement et obligatoirement sur les instructions du Premier ministre. Une des propositions est de permettre au président de refuser des instructions de dissolution dans certaines situations spécifiques. Par exemple, s’il sent qu’un autre élu que le Premier ministre en fonction peut réunir une majorité et ainsi diriger les affaires du pays. D’autre part, le chef de l’État doit pouvoir décider, en son âme et conscience, de dissoudre le Parlement sans passer par le Prime Minister’s Office s’il en ressent le besoin.

Ces propositions avaient été inspirées du système indien. Une autre proposition est inspirée du système français : le président pouvait décider de venir s’adresser directement aux députés au sein de l’hémicycle quand il estime qu’il y a cette nécessité.

 

 

Revenons au mode de désignation. Quel est le système que vous aviez proposé ?

J’avais proposé, en 2001, une élection découlant du système indien avec un collège électoral élargi comprenant, outre les députés, les conseillers municipaux et un certain nombre de conseillers de district et de village. L’idée était de garantir une participation de toutes les régions, géographiquement parlant, du pays. Cela aurait donné plus de légitimé populaire au président. Toutefois, je suis d’avis aujourd’hui que nous pouvons aller beaucoup plus loin…

 

 

Et quel est, selon vous, le meilleur système aujourd’hui ?

Nous sommes arrivés à un stade de notre histoire où nous pouvons penser à une élection nationale. Paul Bérenger propose une élection à un tour. Moi je suis d’avis que nous devrions envisager une élection à deux tours qui plébisciterait un candidat représentatif de la majorité.

 

 

Le leader de l’opposition dit craindre au deuxième tour un affrontement qui diviserait le pays. Ne pensez-vous pas que ce soit justifié ?

Paul Bérenger est devenu un expert en calcul ethnocastéïste. Et sa réflexion est dictée par cet a priori. Moi je réfléchis en tant que Mauricien et j’ai la prétention de croire que la majorité de la population pense aussi en tant que Mauricien. Nous sommes un peuple mature qui peut débattre au-delà des considérations communautaristes.

 

 

Et que pensez-vous d’un mode électoral présidentiel à un tour et à majorité simple ?

Ce n’est pas une mauvaise chose. Cela donnerait plus de légitimité que le système indien. À mon sens, c’est définitivement une proposition qui va dans le bon sens. Dans l’optique d’une augmentation des pouvoirs du président, il faut penser à un représentant de l’ensemble de la population. Je ne parle pas en termes de représentation ethnique ou communautariste mais en termes d’aspirations de la population. C’est dans cette direction qu’il faut, à mon avis, orienter la réflexion.

 

 

Que pensez-vous de la tentative actuelle de lancer un débat sur la seconde République ?

C’est, à n’en point douter, une nécessité qui est plus que jamais d’actualité. Cette concentration de pouvoir a été la cause de trop de dégâts dans notre démocratie.

 

 

Êtes-vous satisfait de la manière dont le débat est mené ?

Absolument pas. Je dis que la question mérite d’être posée. Mais la manière dont Navin Ramgoolam et Paul Bérenger mènent le bal n’est absolument pas cautionnable. Elle est, au contraire, totalement condamnable. Les deux sont en train de tailler une réforme à leurs mesures. D’autant plus que Navin Ramgoolam n’a pas de mandat pour mettre en pratique une quelconque réforme constitutionnelle. Même en ce concerne de la réforme électorale, les soi-disant consultations élargies n’ont été que de la poudre aux yeux. Nous savons tous que les principaux points ont été décidés et validés entre ces deux personnes.

C’est eux qui décident, de par leur besoin inné de travailler dans l’intérêt supérieur du pays, de l’agenda du peuple. Ce n’est pas du tout démocratique de décider de choses aussi importantes et qui engageront les générations futures en réunissant deux personnes autour d’une tasse de thé ou autre chose.

 

 

En ce qui concerne la réforme électorale, c’est le seuil d’éligibilité pour la représentation proportionnelle qui fait débat. Entre les 10 % de Navin Ramgoolam et les 5 % des petits partis, vous vous situez où ?

La barre des 10 % est excessive. Pourquoi souhaitons-nous une réforme ? Si c’est parce qu’avec le système actuel il y a une disparité, en termes de représentation au Parlement, entre les suffrages exprimés et le résultat final, alors pourquoi imposer un seuil qui interdirait l’accès au Parlement à des petits partis qui auraient reçu l’aval d’un certain nombre de votants ? C’est contraire à l’esprit de la réforme.

 

 

Et qu’en est-il de la proposition d’accorder un pouvoir de nomination de députés aux leaders politiques?

Pour moi, il n’y a pas débat. C’est totalement antidémocratique et inacceptable que les leaders puissent choisir à la place du peuple.

 

 

Comment avez-vous accueilli la décision de prorogation du Parlement?

Encore une fois, une décision totalement antidémocratique. Je pense que le public s’est rendu compte qu’il n’y avait aucun besoin de renvoyer les travaux parlementaires. Déjà que les élus bénéficient de longues vacances, il n’y avait aucune raison de prolonger ces vacances indues.