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Tendance chez les jeunes: quand la vidéo pousse à la dérive

17 mai 2014, 22:58

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Tendance chez les jeunes: quand la vidéo pousse à la dérive
Un défi pour se saouler, une fête entre copains à l’école, une bagarre, une mise en scène de suicide ou un bizutage… YouTube est désormais le terrain de jeu des jeunes. C’est à qui saisira les images les plus choquantes. Que cache ce phénomène ? Quels sont les risques ? Et comment éviter les dérives ? Psychologues, pédagogues et autorités de contrôle répondent.
 
Exister, exprimer ce qu’il est. C’est un besoin essentiel de l’adolescent. Et la possibilité de se «montrer» au monde est un moyen de satisfaire ce besoin. «C’est un peu comme une nouvelle façon pour les adolescents d’exister, de s’affirmer», pense Madoo Ramjee, président de l’Association des recteurs de Maurice et recteur du collège John Kennedy.
 
En pleine construction de son identité, l’adolescent imite énormément les stars qu’il adule. Se filmer, c’est un peu une façon de se projeter dans un personnage à qui il aimerait ressembler. «Ils veulent imiter les acteurs et d’autres personnalités connues du cinéma. Les réseaux sociaux, tels que Facebook et Twitter, leur permettent d’avoir la visibilité qu’ils désirent», poursuit Madoo Ramjee.

Tendance au narcissisme

Mais derrière ce phénomène, il y a aussi du narcissisme, une tendance bien ancrée chez l’adolescent, ajoute Amélie Martin, psychologue clinicienne. «Les adolescents sont souvent narcissiques, ce qui peut expliquer le besoin de se filmer pour ensuite télécharger le clip. La société moderne ressemble un peu à une course. Les ados veulent être les plus populaires, les plus sympas et les plus vus et admirés», explique-t-elle.
 
À cette recherche de son identité est lié le fait que l’ado a besoin de repousser ses limites, de rechercher des sensations fortes, de choquer pour savoir ce qui est permis ou pas. Et c’est là qu’il prend le chemin glissant de la provocation, de la violence ou de l’indécence. «Je suis au courant de cas où des élèves font l’école buissonnière et filment leurs escapades. Certains se filment dans les toilettes de l’école ou encore lors d’événements internes au sein de l’établissement scolaire», dit Madoo Ramjee.

«Neknomination»

A priori, si l’outil aide à la construction du jeune, le danger peut survenir lorsque, par une espèce de surenchère, la vidéo favorise les excès. Le «Neknomination», jeu qui consiste à consommer un maximum d’alcool et à défier ses amis à en consommer autant, en est l’exemple. Cette violence peut tout aussi bien être tournée vers d’autres. Un officier de la Brigade des mineurs se souvient d’un clip tourné dans un collège d’État, où «des jeunes ont obligé les élèves à enlever leurs vêtements alors que d’autres filmaient. Ce qui était un peu comme une blague et un rite de passage pour eux», dit-il.
 
Pris par cette «mode», le jeune n’a pas conscience qu’il y a des règles à respecter en matière de vie privée. Émilie Duval, docteur en psychologie, dit qu’elle entend les enfants avec qui elle travaille raconter que leurs photos ont été publiées sans leur consentement. L’utilisation de l’image de l’autre peut mener au chantage. «Un jeune sur quatre a déjà été victime de cyber harcèlement», affirme-t-elle. «La notion de responsabilité, souvent, n’est pas prise en compte lorsque de tels clips sont téléchargés sur Internet. Ce ne sont pas encore des adultes, ils ne prennent pas suffisamment de recul», fait ressortir Amélie Martin.
 
Ces comportements dangereux peuvent également inspirer les autres. «Les jeunes banalisent souvent l’action de se donner la mort. Ce genre de clip où on simule un suicide peut donner des idées aux autres», dit Amélie Martin. Même s’il est vrai que cette exposition publique permet à l’entourage du jeune de prendre conscience de ses souffrances.

Les parents dépassés

Face à la méconnaissance évidente des risques que comporte la divulgation d’informations sur les réseaux, les deux psychologues estiment qu’il est essentiel de faire de la prévention par l’éducation. Il faut avertir les adolescents des conséquences liées à l’échange d’informations sur le Web. Un protocole d’utilisation des outils informatiques est essentiel. «Il faut créer un cadre légal et encadrer les jeunes, les informer de ce qu’ils risquent et limiter l’utilisation du portable et de l’ordinateur», dit-elle.
 
Quid des parents ? Pour Madoo Ramjee, «on ne peut pas donner à un jeune un smartphone ou une tablette sans contrôler un minimum son action et l’orienter pour qu’il utilise ces outils à bon escient», dit-il. Mais Amélie Martin fait valoir que les parents sont souvent dépassés par la situation. «Les jeunes manient plus facilement les outils informatiques. Les parents ne savent pas forcément comment faire, mais cela ne veut pas dire qu’ils n’essaient pas. Ce serait bien qu’ils puissent également être avertis», dit-elle.
 
Émilie Duval préfère penser en termes de collaboration. «Il faut se demander ce que l’on peut faire collectivement et ne pas jeter le blâme sur les parents ou éducateurs. Je pense qu’ils font de leur mieux», explique-t-elle.

Violation de la vie privée

Ashok Radhakissoon, de l’Information and Communication Telecommunications Authority (ICTA), dit recevoir de nombreuses plaintes au sujet de vidéos violant la vie privée. «Ce genre de cas m’est rapporté assez souvent. Il y a deux facteurs qui encouragent les jeunes à se livrer à de telles pratiques : la facilité avec laquelle ils manient les outils informatiques et le fait d’être dans l’anonymat», analyse-t-il.
 
Certes, dit-il, toute personne qui découvre qu’elle figure, à son insu, dans un clip ou une photo peut porter plainte à police. Il pense aussi que l’éducation des jeunes est une urgence. «Il faudrait que les parents exercent plus de contrôle», dit-il.
 
C’est dans cet esprit qu’Émilie Duval et Mélanie Vigier de Latour-Bérenger, psychosociologue, se rendent lundi au collège Lorette de Port-Louis pour sensibiliser les élèves aux différentes formes de violence. Des actions qui devraient en inspirer d’autres.