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Rudy Lenette: « Le Parti travailliste réécrit l’Histoire à la gloire de SSR »

10 mai 2014, 00:59

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Rudy Lenette: « Le Parti travailliste réécrit l’Histoire à la gloire de SSR »

D’autres l’ont dit avant lui. Mais leur grand-père ne s’appelait pas Guy Rozemont, superhéros rouge vif du milieu du siècle dernier. Rencontre avec un petit-fils qui bataille contre l’oubli.

 

 

Ça fait quoi d’être le petit-fils d’un stade ?

(Sourire) Vous avez raison, la jeunesse ne connaît pas Guy Rozemont. Pour elle, c’est un stade, un square, une école, au mieux un syndicaliste dont on a vaguement entendu parler. Les peuples oublient, c’est comme ça. J’ai observé le même phénomène aux Etats-Unis [il y a vécu près de 20 ans, ndlr]. Là-bas, Martin Luther King tombe peu à peu dans l’oubli.

 

 

Pourquoi cette comparaison ?

Guy Rozemont est en quelque sorte notre Martin Luther King de l’émancipation .

 

Vous préparez un livre pour le centenaire de sa naissance...

Oui, ce sera le 15 novembre 2015.

 

 

Pourquoi ce livre ?

Pour révéler l’histoire cachée. Lorsqu’on évoque l’histoire du Parti travailliste, un nom prend toute la place : sir Seewoosagur Ramgoolam. Ses prédécesseurs, eux, sont tombés dans l’oubli. Je pense à Guy Rozemont mais pas seulement, à Emmanuel Anquetil, au Dr Edgar Millien, au Dr Maurice Curé, au pandit Sahadeo, à Renganaden Seeneevassen... Ces hommes sont plus que les fondateurs du Parti travailliste, ce sont des héros qui ont osé défier l’oligarchie blanche et raciste de l’époque. Leur disparition de la mémoire collective est terriblement injuste.

 

 

Qu’avez-vous appris lors de vos recherches sur votre grand-père ?

Un grand-père d’adoption, dois-je préciser. Ma mère, une demoiselle Rozemont, a perdu son père très jeune et c’est Guy, son cousin, qui l’a élevée. Moi, je ne l’ai pas connu, il est mort quatre mois après ma naissance. Mais j’ai hérité de sa bibliothèque personnelle et des documents de ma mère qui a travaillé au bureau du Parti travailliste à la fin des années 1940. D’emblée, une chose m’a frappé : je n’imaginais pas que Rozemont était si populaire. Encore aujourd’hui, dans les villages, les gens me racontent des anecdotes, cet homme était immensément aimé. En 1947, quand il succède à Anquetil à la tête du Parti travailliste [poste qu’il occupera près de 10 ans, ndlr], Rozemont a derrière lui une armée d’artisans, d’ouvriers, de laboureurs, de dockers…. Il était bien parti pour devenir l’homme fort de la politique mauricienne.

 

 

Finalement, il deviendra une sorte de héros maudit, orphelin à 15 ans et veuf à 40…

Il mourra juste après, à l’aube de ses 41 ans. La vie ne l’a pas épargné. Son père meurt jeune et il doit stopper ses études pour gagner sa croûte. Il est d’abord laboureur, puis marin sur un bateau de pêche, il fait les îles, c’est une vie rude. A son retour, il compte devenir policier mais un accident d’autobus et une main fracturée en décideront autrement.

 

 

On dit qu’un séga a lancé sa carrière politique…

L’anecdote est vraie. En 1940, Radio Maurice diffuse un séga ordurier à l’égard du Dr Maurice Curé, qui décide de poursuivre la station en diffamation. Problème, personne n’accepte de témoigner en cour de justice. Le Dr Curé songe à laisser tomber sa plainte quand Rozemont accepte de témoigner en sa faveur. Reconnaissant, le Dr Curé l’engage dans son journal, Le Peuple Mauricien. L’année suivante, Rozemont fait son premier meeting public. Il a 26 ans, sa carrière est lancée.

 

 

Vous évoquiez sa popularité. Avez-vous fait d’autres découvertes ?

J’ignorais qu’il avait été l’un des tout premiers à demander l’indépendance aux Anglais. En 1954, il disait déjà que « l’île Maurice deviendra un Etat libre et indépendant, qu’on le veuille ou non». La lutte pour le suffrage universel, c’est lui aussi. Peu de gens le savent parce que le Parti travailliste post-Rozemont a réécrit l’Histoire à la gloire de SSR, et Navin Ramgoolam poursuit dans cette voix. Comme si Rozemont devait être effacé des tablettes pour mieux statufier SSR. Cette absence de reconnaissance me fait mal, c’est pour cela que j’écris ce livre.

 

 

Rozemont, père de la Nation ?

Oui, parmi d’autres. Ramgoolam fils attribue toute la paternité de l’indépendance à son père, or SSR a juste signé l’indépendance. Je ne dis pas qu’il n’a rien fait, mais il s’est contenté d’achever un processus qui avait débuté avant lui. Celui qui a dessiné les plans de l’indépendance, c’est Rozemont. Il en a été l’architecte et SSR l’ouvrier, et encore, un mauvais ouvrier qui n’a pas respecté les plans. Avec la perte des Chagos, SSR n’a obtenu qu’une indépendance partielle. Ce n’était pas la vision de Rozemont qui a dû se retourner dans sa tombe.

 

 

S’il était là aujourd’hui, quel regard porterait-il sur son parti ?

Il ne le reconnaîtrait plus. Ce serait pour lui une seconde mort.

 

 

Pourquoi ?

Parce ce que le travaillisme a été kidnappé par le ramgoolamisme. A l’époque, le PTr n’était pas la propriété d’un leader. Ce n’était pas non plus un parti bourgeois accaparé par des médecins et des avocats.

 

 

Vous êtes dur…

Je vous livre ma vision. Pour moi, le travaillisme à la Rozemont est mort. Il a été kidnappé par des gens qui au départ n’ont rien à voir avec l’engagement travailliste, comme Abdullah Hossen ou Patrick Assirvaden. Kidnappé aussi par les lobbies communautaires : (à voix basse) le parti des travailleurs est devenu celui des vaish. Je sais, ce n’est pas politiquement correct de parler ainsi, mais c’est la réalité, et elle n’est pas saine. Rozemont avait senti venir cette dérive : « N’oublions surtout pas que dans notre lutte, il n’y a qu’une seule chose qui compte », écrivait-il en 1949 : « Pas de religion, pas de communalisme, pas de statut social dans la lutte du Travail contre le Capital ». Le Parti travailliste a trahi l’héritage social de Guy Rozemont.

 

 

Démontrez-le…

Les travaillistes ont perdu la bataille du pouvoir d’achat. Il suffit d’observer l’évolution des salaires chez les gros pour-voyeurs d’emplois - l’hôtellerie, le textile, les call centres, l’industrie sucrière. Ce n’est pas simple de faire vivre une famille avec les rémunérations de ces secteurs. Le pouvoir d’achat stagne et l’endettement explose, nous vivons sur l’île du crédit. Les travailleurs s’endettent pendant que leurs patrons s’enrichissent, et cela, avec la bénédiction du pouvoir en place. Voilà pourquoi je dis que les travaillistes ont trahi : ils sont désormais à la solde du secteur privé et de la colonisation économique étrangère, celle qui se gave de terres que les Mauriciens ne peuvent plus se payer.

 

 

Comparer le travaillisme pré-indépendance et celui de la mondialisation a-t-il un sens ?

Je suis d’accord avec vous, le monde a changé et l’île Maurice avec. Mais une chose ne change pas : il y a toujours des exploiteurs et des exploités. Allez voir certains call centres, certaines  usines… Le progrès ne se mesure pas en nombre de Caudan, mais en pouvoir d’achat des travailleurs. Le Parti travailliste a perdu ce combat. En comparaison, le Labour britannique n’a pas renié ses valeurs fondatrices. Pourtant, le PTr reste le seul parti à pouvoir gagner une élection seul. Comme quoi, l’électorat sait oublier.

 

 

Etes-vous un agent du MMM ou du MSM ?

Ni l’un ni l’autre, je ne fais pas de politique. Enfin, pas encore. D’ailleurs, la plupart de mes remarques sont valables pour le MMM, le MSM et le PMSD. Ces partis-là sont également la propriété d’un homme.

 

 

Pourquoi « pas encore » ?

Parce que j’ai très envie de me lancer en politique.

 

 

En créant une officine à la gloire de Rozemont ?

Non, plutôt au sein d’unparti existant.

 

 

A priori, ce ne sera pas le PTr…

Et pourquoi pas ? J’y verrai une belle opportunité de faire vivre la mémoire de mon grand-père. Je me sentirais à l’aise à Port-Louis-Ouest et à Mahébourg [les circonscriptions nos 1 et 12, ndlr].

 

 

Vous faites votre marché ?

Absolument pas. Je n’ai pas besoin d’une circonscription pour prolonger la lutte de Rozemont.

 

 

Qui, dans le paysage politique actuel, incarnerait le mieux sa lutte ?

Je ne vois personne.

 

 

Le Premier ministre le cite régulièrement…

Oui, pour la galerie. Si ses mots se traduisaient en actes, ça se saurait.

 

 

Lalit, Rezistans ek Alternativ ?

Non.

 

 

●  Jack Bizlall alors ?

Non plus. Rozemont a laissé un vide que personne n’a comblé. L’espèce n’est pas en voie de disparition, elle a disparu. Aucun politicien n’incarne aujourd’hui ce côté guerrier, travailleur et désintéressé qui caractérisait Rozemont. A ses funérailles, sir Guy Forget ne s’y est pas trompé : « Parce que tu vis souffrir tes frères, tu compris leurs misères, et tu as su que tu ne pourrais rien faire pour eux sans déclarer la guerre à l’oppresseur et à l’exploitation ».

 

Vous parliez de kidnappeurs. Vous-même, n’êtes-vous pas l’otage d’une admiration aveugle pour ce grand-père ?

Que voulez-vous dire ?

 

 

Vous en parlez comme d’une légende à mythifier…

(Il se redresse dans son fauteuil et se tait)

 

 

Cet homme avait bien des travers…

(Longue réflexion) Il avait deux défauts. Il était détesté des Anglais qui voyaient en lui un révolutionnaire, ce qu’il n’était pas, et il avait un penchant pour l’alcool. C’était un amoureux du Goodwill de taverne, d’ailleurs il se traitait lui-même de « saoûlard » ! (rire). Un jour, sur une affiche électorale, il s’est fait photographier avec une barrique de rhum sous le bras. Sous la photo - je l’ai conservée - on peut lire : « Mo enn soular me mo gayn drwa represant ou. » Cet homme était authentique, il ne masquait rien.

 

 

Y compris sa mort, qu’il a voulu mauricienne…

Il était tombé gravement malade quelques mois plus tôt, à Londres, pendant la Première conférence constitutionnelle. Il aurait pu rester là-bas pour se faire soigner, tout le monde l’aurait fait, mais il a choisi de mourir à Maurice. (Emu) C’était le 22 mars 1956 dans la salle n°11 de l’hôpital Candos. Plusieurs fois, je suis retourné dans cette salle. Elle est devenue pour moi un lieu de pèlerinage.

 

 


SES DATES

● 1955. Naissance à Port-Louis

● 1974. Administrateur au Mauritius College of the Air

● 1975-1976. Journaliste à Advance

● 1976-1994. Journaliste aux Etats-Unis pour Associated Press

● 1994-2006. Retour à Maurice où il est consultant en communication

● 2006-2010. Banquier à Toronto (Canada)

● Depuis 2010. Cadre financier chez Mauritius Telecom