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Nafeesah Khodadeen : Une architecte qui voit grand

22 avril 2014, 12:01

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Nafeesah Khodadeen : Une architecte qui voit grand

À la conception de plans de maisons, Nafeesah Khodadeen, nouvellement élue secrétaire de la «Mauritius Association of Architects», préfère les grands buildings qui donnent le vertige. Son but : acquérir de l’expérience pour mieux se mettre à son compte. À terme.

 

Sous des dehors réservés, Nafeesah Khodadeen, une des sept architectes du cabinet de Jay Sooredoo, J&A Architects à Ébène, sait ce qu’elle veut et poursuit ses objectifs à pas feutrés mais fermes. Cette Vacoassienne de souche a longtemps cru qu’elle ferait un bon médecin. C’est ce qui explique que cette élève du collège Maurice Curé ait opté pour des matières scientifiques jusqu’en Form V.

 

Mais c’était sans compter son amour pour le dessin et la peinture et le fait d’avoir en permanence sous les yeux les plans de maisons exécutés par son père Hakim, chef inspecteur dans un organisme parapublic mais diplômé en dessin industriel. «Je pense que j’avais l’amour du dessin et des formes dans le sang mais le fait de voir mon père avec des calques et des Rotrings a sans doute dû m’orienter vers la construction et les métiers annexes dont l’architecture», reconnaît-elle.

 

À la fin de ses études, elle déclare à ses proches qu’elle veut être architecte, tout en sachant que cette matière ne s’apprend pas sur le tas. Comme l’université de Maurice n’offre pas cette filière, elle fait des demandes d’admission auprès d’universités étrangères et postule même pour des bourses. Son premier choix est la France. Mais au moment où elle termine le Higher School Certificate, la France n’offre plus de bourses de premier cycle. Une université française l’accepte cependant mais c’est un logement qu’elle a du mal à trouver à partir de Maurice. L’offre d’une bourse russe tombe à pic et modifie sa trajectoire.

 

Elle est admise à la Voronezh State University of Architecture and Civil Engineering de Voronezh, non loin de Moscou. Son père n’arrête pas de lui demander si elle est sûre de vouloir partir pour la Russie. Nafeesah n’en démord pas. «Je voulais vraiment étudier l’architecture et je l’aurais fait même si c’était au bout du monde qu’il fallait aller. Lorsqu’on est à Maurice, on dépend beaucoup de ses parents. Je me suis conditionnée pour mener une vie indépendante.»

 

Le 8 septembre 2002, elle quitte Maurice pour Moscou via Paris. Première déconvenue : ses bagages ne l’ont pas suivie en raison d’un mouvement de grève des travailleurs manutentionnaires à l’aéroport parisien. Grâce à un Mauricien qui voyage par le même avion et qui parle le russe, elle arrive à expliquer sa situation au comptoir. C’est un professeur de l’université russe qui vient l’accueillir et comme il y a d’autres étudiants étrangers qui vont débarquer, elle doit patienter six heures.

 

Commence alors une pénible période d’apprentissage non seulement de cette langue étrangère qui est totalement différente lorsqu’elle est parlée et écrite, mais celle des concepts architecturaux et de designs dans cette langue. «La langue en elle-même est très difficile mais j’ai pu commencer à communiquer au bout de trois mois. Ensuite, j’ai affiné ma maîtrise. J’adore le russe. Récemment, une amie est venue passer des vacances à Maurice. Et j’ai pu parler le russe pendant des heures. J’ai réalisé que ma connaissance de la langue était intacte. C’est comme une langue maternelle. En fait, je crois même que je pense en russe !»

 

C’est ainsi qu’elle passe six ans au sein de l’université de Voronezh, se familiarisant à toutes les tendances de l’architecture, ses architectes préférés étant les regrettés Charles Edouard Jeanneret-Gris, dit Le Corbusier, et Ludwig Mies Van Der Rohe. Parmi les plus contemporains, sir Norman Forster à qui l’on doit notamment le building en forme de cornichon en plein coeur de Londres, et l’architecte irakienne Zaha Hadid dont les designs sont on ne peut plus futuristes, ont ses faveurs. «Ce que j’aime, ce sont les lignes simples car c’est dans la simplicité que réside la beauté, en même temps il doit toujours y avoir une ligne particulière qui définisse le tout. J’aime aussi le style high-tech et futuriste mais je note que les Mauriciens ne sont pas vraiment prêts pour cela.»

 

Comme elle a fait un stage de deux mois chez l’architecte Ahmad Rawat, ce dernier lui propose son premier emploi dès qu’elle rentre à Maurice avec sa maîtrise d’architecte en poche. Se disant qu’elle fait une pause et qu’elle repartira ensuite, Nafeesah accepte l’offre. «Ahmad Rawat a été d’un grand soutien car il m’a aidée à me situer dans le métier.» Lorsqu’elle commence à travailler, elle réalise qu’il y a un pas entre les études et la pratique. «Entre le rêve du métier et sa pratique, il y a un monde. On découvre certes la beauté du métiermais aussi ses contraintes. Être sur un chantier,c’est pouvoir le gérer avec autorité et respect.»

 

Elle travaille sur des projets en cours, notamment celui de la British American Insurance et sur l’hôpital Apollo Bramwell qui est alors en phase finale. Au bout de deux ans, Nafeesah veut pouvoir travailler sur d’autres types de projets. «Chaque cabinet a sa façon d’opérer et pour que je puisse avoir le mien un jour, je dois pouvoir faire le tour des cabinets et développer de bons contacts.»

 

Elle fait la connaissance de Jay Sooredoo par un ingénieur. Elle postule et obtient un emploi d’architecte dans le cabinet de celui-ci. Cela fait maintenant trois ans et demi qu’elle y est et prend énormément de plaisir à travailler sur des projets de grands buildings. Ainsi, elle collabore sur plusieurs projets et est autorisée à mener entièrement à bien le projet de quartier général de Mahanagar Telephone Mauritius Ltd. Elle n’est pas peu fière d’y avoir apporté sa griffe moderne même si, explique-t-elle, chaque cabinet d’architectes sa philosophie. «On peut mettre sa touche personnelle maischaque architecte a ses lignes, son style. Il y a le style Sooredoo qui est comme une signature. Vous n’avez qu’à voir le bâtiment Nexteracom et le Hennessy Park Hotel d’Ébène pour comprendre ce que je veux dire.»

 

Nafeesah sait aussi être avare de commentaires. Le cabinet Sooredoo ayant remporté deux concours ayant trait aux projets de réalisation d’Airports of Mauritius Ltd (AML) Corporate Head Office et d’AML Receptorium pour les Very Important Persons à Plaine-Magnien, elle se contente de dire que ce sera «des landmark buildings».

 

Appelée à critiquer le paysage architectural mauricien, là encore, Nafeesah ne se mouille pas trop. «Chacun a son oeil pour interpréter l’architecture. Ne dit-on pas que beauty lies in the eyes of the beholder!» Elle concède toutefois qu’il n’y a pas toujours de fil conducteur dans l’alignement des bâtiments et que cela nuit parfois au paysage. Elle cite l’exemple d’un contrat obtenu par son cabinet dans un centre-ville. «Il s’agit d’un bâtiment en tôle annexe à un building de cinq étages qui est inutilisé et que nous voulons réhabiliter. Or, théoriquement,la mairie suit les guides de planification, même quand celles-ci vont à l’encontre de la promotion de l’architecture. C’est chagrinant que nous n’arrivions pas à nous entendre sur cette question.»

 

Une des contraintes qu’elle rencontre parfois sur les chantiers, c’est l’entêtement des chefs de construction. «Lorsque l’on est une femme et jeune de surcroît, on a parfois du mal às e faire obéir. Certains chefs de chantiers acceptent mal des ordres. On donne des instructions et eux n’en font qu’à leur tête. On peut toujours faire démolir ensuite et là, on s’entendra dire qu’on est méchante ou des exclamations du genre : Ah, la revoilà! » Ces comportements ne la dérangent pas. «Je fais alors comprendre que j’ai un métier etqu’il faut respecter mon travail comme je respecte le leur. Être architecte, c’est être forte.»

 

C’est en apportant une contribution sociale en collaboration avec Caritas, notamment après les inondations du 30 mars 2013, qu’elle côtoie le président du MAA, Vinesh Chintaram. «Nous étions un groupe de jeunes architectes voulant apporter notre aide après les inondations meurtrières et avec Caritas, nous avons fait une étude des maisons affectées. Le cabinet et moi, on s’occupait du centre de Port-Louis.Nous avons approché des parrains pour contribuerà trouver des solutions là où c’était possible.»

 

Ce même groupe d’architectes a aussi proposé trois types de logements sociaux plus conviviaux à la National Empowerment Foundation mais leurs idées n’ont pas été retenues. Les contacts étant ainsi établis entre les membres de la MAA et elle, lorsqu’on lui a proposé de se présenter à l’élection du bureau exécutif, Nafeesah a tout de suite accepté. Ce qu’elle espère en tirer ? «Ce n’est pas moi qui vaisen bénéficier. Ce sera l’association et le pays… »