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Constant Bourgault : 14 ans dans l’enfer zimbabwéen…

16 avril 2014, 21:04

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Constant Bourgault : 14 ans dans l’enfer zimbabwéen…
LA dernière fois que nous avions vu Constant Bourgault, l’un des 4 000 fermiers victimes d’expropriation en 2005, c’était dans une vidéo. D’anciens vétérans de la guerre d’indépendance y mettaient à sac sa maison à Banket, à 95 kilomètres de la capitale Harare. Puis la vidéo s’arrêtait pile. On l’avait cru disparu, voire entré dans la clandestinité en raison de sa proximité avec Morgan Tsvangirai, leader du Mouvement for Democratic Change et opposant du ZANU-PF, parti au pouvoir.
 
Or, il n’en est rien. Après des séjours répétés en prison et de mauvais traitements, Constant Bourgault a pris ses distances de la politique, essayant de survivre avec sa femme et sa fille dans leur appartement d’Harare.
 
«Si j’avais su au début des années 2000 qu’il en serait ainsi, j’aurais quitté le pays. Mais il est trop tard. Je dois poursuivre ma route. Je vais tenir tant que je le peux», déclare ce Mauricien, qui aura 63 ans en octobre. Depuis l’expropriation de sa propriété, il vit de son business de machines agricoles et d’accessoires. Il a toutefois dû ramener son affaire à 10 % de sa capacité, tous les commerces qui vivaient du système agricole ayant fermé petit à petit.
 
«Je n’ai pratiquement plus de clients. Tous ceux qui dépendaient de l’économie agricole sont au chômage. Donc, 90 % de la surface de mon bâtiment est désormais inoccupée. Les 10 % restants abritent une petite quincaillerie et un petit restaurant.» De 40 employés, il n’en compte plus que dix aujourd’hui.
 
L’ironie est que toutes les fermes saisies sont désormais inoccupées, les vétérans ne connaissant rien aux techniques de culture. «Ils sont partis mais ont dépouillé toutes les propriétés de leurs intérieurs. Il n’y a plus de portes aux maisons, ni de fenêtres, tous les accessoires ont été enlevés. Le réseau électrique a été court-circuité, les tuyaux d’approvisionnement d’eau arrachés, les pompes à eau cassées et le cuivre enlevé pour être vendu. Même les fils barbelés qui protégeaient les propriétés ont été extraits.»
 
Alors qu’auparavant, les fermiers fournissaient du maïs, du soja et d’autres denrées alimentaires au pays et à la région, plus rien n’est cultivé au Zimbabwe. «Nos fermiers se sont établis au Botswana, en Afrique du Sud et en Zambie. L’hyperinflation a tué le business. Un pain qui coûtait 10 millions de dollars zimbabwéens le matin, pouvait en coûter 20 millions dans la soirée.»
 
Les citadins ne sont pas mieux lotis. «Cela fait sept ans que je ne reçois pas une goutte d’eau de la municipalité, qui ne peut plus fournir les abonnés. J’ai des réservoirs et des pompes et je dois régulièrement acheter de l’eau. Ceux qui habitent un terrain sur lequel se trouve un puits sont plus chanceux, mais même eux disent que le niveau d’eau baisse sérieusement et qu’ils ne peuvent plus fournir leurs voisins. Les routes sont couvertes de nids-de-poule et pas éclairées.»
 

PERSONNE N’OSE SE PLAINDRE

 
Constant Bourgault, qui n’a jamais renoncé à sa nationalité mauricienne mais pour qui «home» est avant tout l’ancienne Rhodésie, avait cru qu’avec l’arrivée de Morgan Tsvangirai, élu en 2008, la situation changerait. Mais en août 2008, tous ont déchanté car Robert Mugabe et le ZANU-PF ont remporté les élections générales, même dans le Matabeleland où Morgan Tsvangirai l’avait emporté haut la main avant. Cela a refroidi les investisseurs.
 
«Les banques ont paniqué, car les investisseurs retiraient leurs millions et s’en allaient. Les programmes d’aide ont cessé, et l’inflation a recommencé à pointer du nez. » La population active, estimée à 18 % seulement, pensait avoir une augmentation salariale l’an dernier mais le pays n’a pas d’argent.
 
Mugabe croyait obtenir un gros prêt du gouvernement chinois, mais sa délégation a essuyé un refus de ce pays émergent. Le secteur informel prospère et tourne avec sept milliards de dollars américains par an, mais l’État ne perçoit rien. «Il y a un gros manque d’argent et un gros déficit de nourriture dans le pays. Trois millions de personnes ne mangent pas à leur faim. Je donne un repas chaud à mes employés chaque jour et je peux vous dire que depuis les dernières élections, et grâce à cela, l’absentéisme est inexistant au sein de mon entreprise.»
 
De plus, il doit composer avec une nouvelle forme de concurrence. Des marchands ambulants vendant des cadenas et autres accessoires moins cher que lui et même des vêtements, font le pied de grue devant son commerce. «Ils font cela en permanence. Eux aussi ont besoin de survivre.»
 
Personne n’ose se plaindre, car il y a un climat de suspicion qui persiste, en particulier envers les personnes de descendance européenne. «On ne sait plus à qui se fier. Tout le monde se tait. En réalité, on ne veut pas déloger le ZANU-PF. On veut qu’il change.» Les mines de diamants sont certes exploitées, mais ces revenus n’entrent pas dans le système fiscal, ni dans les caisses de l’État.
 
Les fermiers expulsés possèdent encore leurs titres de propriété. Pourquoi n’y retournent-ils pas ? «Les vétérans ne cultivent pas ces terres saisies, mais ils ne sont pas loin. Ils cherchent un partenariat avec les fermiers pour que ces derniers cultivent la terre à leur place et leur donnent un pourcentage sur les récoltes. Beaucoup de jeunes fermiers se sont fait avoir ainsi. Ils ont cultivé la terre, mais dès que les récoltes ont été prêtes, les vétérans sont arrivés et les ont délogés, quand ils n’ont pas été exploités. Ils ont dû partager les gains et en sus de cela, le voisin leur a demandé de labourer son champ gratuitement. Revenir sur ses terres équivaut à se mettre à la merci de ces vétérans désormais appelés les new farmers.»
 
Constant Bourgault sait bien qu’à tout moment il peut être expulsé du Zimbabwe. «On peut venir me dire à n’importe quel moment que je dois obligatoirement céder 51 % de ma société à un indigène. C’est ce qui est arrivé aux exploitants des grosses mines qui ont été obligées de céder plus de la moitié de leurs parts aux hommes de Mugabe.» Pour l’instant, personne ne lui cherche des poux. «Maintenant que je vis en ville et que je ne fais pas de politique, on me laisse tranquille.»
 
Il s’accroche à l’idée que Robert Mugabe n’est pas éternel. «Tout homme a une fin. C’est notre seul espoir. Les prochaines élections sont en 2016 et en attendant, tout le système se désagrège. Au sein du ZANUPF, il y a des colombes et des aigles. Mugabe a mis beaucoup d’anciens militaires à des postes clés. Il n’a pas un regard tourné vers le futur. Il n’a aucune recette. Peut-être que lorsqu’il sera parti, nous aurons une recette pour demain. En attendant, nous vivons au jour le jour.»
 
Constant Bourgault souhaite que le monde reconnaisse que ce qui s’est passé au Zimbabwe est une injustice et que les Zimbabwéens dans leur ensemble soient considérés. «Et là, je ne pense pas qu’aux Mauriciens ou aux fermiers blancs, mais à tous les Zimbabwéens qui vivaient de cette économie et qui ont le droit d’avoir un travail. Il y a 82 % de chômeurs dans ce pays. Des diplômés vendent des cartes téléphoniques en ville, vous vous rendez compte à quoi ils sont réduits ? Ce qui nous est arrivé est une violation des droits humains. Nous avons été oubliés de tous. Il y a deux choses à refaire au Zimbabwe : l’ordre et la paix publics et l’économie agricole. En d’autres termes, il faut remettre le pays sur les rails…»
 
 
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