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Baisse des naissances: dur dur de faire des bébés

4 septembre 2022, 19:00

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Baisse des naissances: dur dur de faire des bébés

Révolu le temps des familles nombreuses. D’après les derniers chiffres de Statistics Mauritius, les naissances ont chuté d’environ 9,2 % entre les premiers semestres de 2022 et 2021. Une tendance qui s’accélère ces dernières années. Pourquoi les couples ne font-ils plus de bébés ? Quelles seront les répercussions à l’avenir ?

«C’est mon choix de ne pas avoir de bébé. Avec mon époux, on se démène déjà pour subsister. Je ne sais comment on ferait avec un nouveau-né», confie Nadiah, 29 ans. Mariée depuis trois ans, elle a fait une croix sur l’idée de fonder une famille. Tout comme Preety, comptable de 36 ans. «Avec tout ce qui s’est passé à Maurice avec le Covid-19, les pertes d’emploi, je ne sais pas quel sera mon avenir. C’est trop risqué de mettre au monde un enfant dans cette perspective», affirme la jeune femme qui est en couple depuis six ans.

Bien des couples mauriciens ne font plus de bébé désormais. Les récents chiffres publiés par Statistics Mauritius le confirment. De janvier à juin 2022, 6 079 naissances ont été enregistrées pour la République de Maurice. Pour la même période en 2021, ce nombre était de 6 693, une baisse donc de 9,2 %. En comparaison, de janvier à juin 2020, le nombre de naissances était de 6856 ; en 2019, 6 670 contre 6 501 en 2018. Signe que les naissances baissent de- puis les cinq dernières années. D’ailleurs, pour 2022, 11 940 naissances sont attendues, menant à un taux brut de natalité de 9,5 pour 1 000 habitants en milieu d’année. Un indicateur qui décline par rapport au chiffre de10,3 en 2021.

Quelles sont les raisons de cette baisse ? Vidya Charan, directrice exécutive de la Mauritius Family Planning and Welfare Association, constate davantage de compétition, un élément poussant les Mauriciens à chercher une position dans la société avec tout le confort. «Les citoyens pensent alors en termes d’éducation, d’emploi et de bien-être matériel. Ils priorisent cet aspect. Tout pro- jet d’avoir un enfant est alors reporté», déclare-t-elle.

«Plusieurs femmes ne veulent pas passer leur temps à chercher des solutions pour faire garder un enfant.»

Un point soutenu par la Dr Mithi Mehta, gynécologue et obstétricienne à la Clinique du Nord. «Malheureusement, nos jeunes après des études longues et difficiles font face à une rude compétition pour débuter leur carrière. Une fois celle-ci entamée, l’ambition de gravir les échelons devient la priorité», soutient-elle. Avoir un enfant et s’en occuper n’a pas sa place car cela peut faire stagner la carrière et décourager les employeurs potentiels.

Ambitions

L’homme comme la femme aimerait s’épanouir au travail, poursuit la doctoresse. Selon elle, il est difficile de conjuguer vie professionnelle et vie de maman. Plusieurs femmes ne veulent pas passer leur temps à chercher des solutions pour faire garder un enfant. «C’est un fardeau, un compromis, comme l’exprime la jeune fille qui n’a pas un désir maternel mais est animée par un grand besoin d’indépendance. Elle est influencée par son inconscient, son histoire de fille, celle de sa mère et des femmes de sa famille. À côté, le jeune homme qui va former le couple, a eu une enfance compliquée. Il est aussi ambitieux et veut construire une place en société», estime la Dr Mehta.

Parallèlement, aujourd’hui, les jeunes sont sexuellement actifs. Auparavant, pour l’être, il fallait le feu vert de la société, à travers le mariage. «Cette liberté est en train d’envahir la jeunesse qui peut continuer avec sa vie de célibat ou être en union sans avoir des enfants. Un relâchement des valeurs familiales est aussi perceptible. Les jeunes pensent pouvoir adopter d’autres modèles familiaux, comme vivre avec une personne sans avoir des enfants», explique Vidya Charan. Troisièmement, la cherté de la vie est un facteur plébiscité dans la conjoncture économique actuelle. «Certains couples pensent qu’élever un enfant coûte très cher. Cependant, ils peuvent dépenser très gros sur des mobiles, chaussures et autres produits favorisant leur bien-être», souligne-t-elle.

Dans la conjoncture économique difficile, le couple doit assumer une très grande responsabilité pour offrir une vie à un enfant, souligne la doctoresse. S’y greffent la cherté de la vie, le manque de personnel pour s’occuper de l’enfant, l’élever et le faire grandir. Certes, autant de facteurs qui découragent le couple à aller de l’avant. D’autant que celui-ci hésite après le mariage à faire un enfant comme il se donne le temps pour se connaître et se comprendre avant de fonder une famille. Selon Vidya Charan, après la naissance du bébé, il faut déterminer comment celui-ci sera élevé si les deux parents travaillent. D’autant qu’il est difficile aujourd’hui de compter sur les grands-parents qui vivent leur vie de retraité.

Paradoxalement, même si les futurs parents ont un emploi, les revenus font défaut pour subvenir aux besoins des enfants. «Des débouchés professionnels doivent être assurés. Désormais comme la femme travaille, cela engendre des pressions pour gérer la famille, la maison, ses heures supplémentaires. Une grossesse peut aussi amenuiser leurs chances de promotion si elles vont s’absenter», indique-t-elle. Cette spirale décourage donc les couples à enfanter. «Beaucoup veulent immigrer. Donc comment faire s’ils ont des enfants ? Tout cela pèse dans la balance», poursuit Vidya Charan, qui souligne qu’il faut éduquer les Mauriciens sur l’importance d’avoir une famille.

Il n’y a pas si longtemps, indique Trisha Gukhool, Gender Consultant, les pressions de la société, de la famille et des pairs, voire la pression scientifique, laissaient aux jeunes femmes très peu de choix sur leur corps. Bon nombre d’entre elles ont été contraintes d’accoucher au début de la vingtaine. Il y avait aussi la peur d’être stigmatisée en tant que femme stérile. Au cours des deux dernières décennies, poursuit-elle, plusieurs facteurs ont contribué à une baisse constante du taux de fécondité. «De nombreuses femmes sont aujourd’hui plus conscientes d’elles-mêmes et demeurent plus autonomes pour faire et s’approprier leurs choix, en particulier concernant leur corps. Beaucoup pensent qu’avoir un enfant est une décision personnelle, plus qu’un choix conjugal, familial, social, culturel, traditionnel, etc. Désormais, davantage de Mauriciennes privilégient leur carrière. Les conditions de vie et de travail modernes, en particulier pour les jeunes, ne sont pas nécessairement favorables à la vie de famille», explique-t-elle.

D’après Trisha Gukhool, les barrières du genre sur le lieu de travail et dans la sphère domestique sont toujours présentes et impactent les choix de vie des femmes.Il n’y a toujours pas assez de soutien pour les mères motivées par leur carrière, comme des garderies subventionnées ou même le travail flexible, constate-t-elle. Un autre problème est l’absence d’une politique sérieuse de congé de paternité qui permettrait aux papas de partager la responsabilité de la garde des enfants et de soutenir les mamans. De plus, enchaîne-t-elle, l’accès aux méthodes contraceptives est meilleur et plus facile, malgré la barrière des coûts dans de nombreux cas. Pour de nombreux hommes et femmes, avoir un bébé n’est pas seulement un «objectif de couple» ou une étape organique progressive après le mariage, mais vraiment une décision financière, comme l’a souligné Vidya Charan. L’augmentation constante du coût de la vie a une incidence considérable sur la conception d’un enfant.

Horloge biologique

Trisha Gukhool désigne d’autres facteurs comme les médias sociaux et le monde des influenceurs et célébrités. À l’exemple de Naomi Campbell qui a accueilli son premier bébé à l’âge de 50 ans. Selon la consultante, les jeunes femmes se montrent moins préoccupées par l’horloge biologique scientifique de 20 à 35 ans. Elle ajoute que la baisse du taux des mariages et l’augmentation des divorces à Maurice prouvent que les choses sont différentes puisque les jeunes semblent moins enclins à s’engager dans une relation à long terme ou préfèrent vivre ensemble au lieu de se marier et converger vers le sentiment de sécurité et d’engagement pour accueillir un bébé.

Revenant au mariage, Statistics Mauritius démontre que l’âge moyen des femmes pour cette union est passé de 24,9 ans en 2000 à 28,2 ans en 2021. Pour les hommes, ce nombre a changé de 29,2 ans à 31,5 ans en 21 ans. Une observation partagée par Rajen Suntoo, sociologue. «L’âge du mariage est plus tardif. J’avais fait une étude démographique en 2013/2014 qui montre que dans les années 1960, la planification familiale avait contribué à baisser le taux de natalité. Sinon, on aurait atteint une population de 4 à 5 millions. Désormais, les classes moyennes et plus élevées ne conçoivent plus d’enfants car ils songent aux investissements nécessaires pour leurs études et autres dépenses. Il faut au moins disposer de Rs 4 à 5 millions», souligne-t-il.

D’après lui, cette tendance à la baisse des naissances va se perpétuer pour une dizaine d’années. Quelles en seront les conséquences ? Avoir moins d’enfants fera que Maurice manquera de main-d’œuvre. Mais depuis les années 1980-1990, le recours aux ouvriers étrangers était déjà entamé. Or, cette pratique se poursuivra à Maurice comme ailleurs, prédit-il. Et au-delà de dix ans, Maurice renouera-t-elle avec un baby-boom ? Il est trop tôt pour le dire, avoue Rajen Suntoo. Tout dépendra des revenus des Mauriciens. À l’inverse, le vieillissement de la population continuera à croître sur les prochains 30 à 40 ans avant de se stabiliser, avance le sociologue.