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Où en est-on avec la «Freedom of Information Act» ?

14 mai 2021, 16:53

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Où en est-on avec la «Freedom of Information Act» ?

La presse Mauricienne et les journaux de l’île ont jalonné l’histoire du pays depuis le 18ème siècle et ont participé en tant qu’acteurs plurilingues, essentiellement francophones, à la construction de la nation mauricienne. Il est certes vrai que cela a été une bataille depuis des décennies pour que la presse écrite puisse jouer un rôle central dans l’instauration d’un dialogue démocratique. Mais les médias en général ont surtout aidé à prôner pour que la liberté d’expression - un droit constitutionnel - soit un pilier aussi important que la liberté de la presse dans une démocratie.  D’ailleurs, les libertés d’expression et d’information y sont consacrées dans la Constitution mauricienne, non seulement parce que d’un point de vue individuel il s’agit là des droits fondamentaux de l’homme mais encore, parce que du point de vue du système politique par définition, il n’y a pas de démocratie sans ces libertés.

En effet, une condition essentielle de l’existence d’un espace public est «la présence des médias susceptibles d’alimenter et d’éclairer le débat public», rappelle Michael Schudson dans son livre, Le Pouvoir des Médias, publié en 1995. La presse contribue à «l’élaboration du contexte dans lequel et à partir duquel se forge la pensée des citoyens», souligne l’auteur américain. Cela dit, les obstacles pour la presse mauricienne n’ont pas été faciles à franchir. Parmi eux, la presse a dû subir les conséquences d’un amendement en 1984 à la Newspapers and Periodicals Act de 1837 qui imposait une caution à chaque organe de presse et qui avait pour objectif de museler principalement la presse écrite. Un an plus tard, c'est-à-dire en 1985, le premier ministre de l’époque, sir Aneerood Jugnauth, avait même l’intention d’amender le Code pénal afin de rendre illégale toute critique à l’encontre du gouvernement et de ses ministres. Chose qui n’a heureusement pas pu aboutir.

Aujourd’hui, la Newspapers and Periodicals Act de 1837, est toujours en vigueur mais ne pose désormais comme condition à l’activité de presse que la soumission de quelques informations telles que l’adresse et le nom de l’imprimeur à l’Accountant General. L’île Maurice dispose jusqu’à présent d’un régime de restriction des abus se caractérisant par une législative plus au moins stable. Une stabilité accompagnée d’une jurisprudence construite depuis plus de deux siècles autour d’un équilibre qui assure le principe de la liberté de parole et le respect de l’autrui, des institutions et de l’ordre public ; une consécration de liberté en droit qui doit être suivie d’une édiction de mesures légitimes de prudence visant à protéger les individus et la société contre ceux qui useraient de cette liberté de manière préjudiciable.

Avec l’impact et la place qu’ont les médias de nos jours dans notre vie quotidienne, il faut dire que lorsqu’il s’agit du régime de droit commun au sujet de la presse, rien n’a vraiment changé fondamentalement ou devrait-on plutôt dire, rien n’a évolué ! Durant les cinquante dernières années, mis à part le droit à la liberté d’expression, à l’opinion et à la parole inscrite dans la Constitution de Maurice ainsi que quelques amendements par ci par là issus de ‘réforme’ au coup par coup, il est clair qu’il y a un manque de paramétrage dans lequel tout l’enjeu devrait résider. Le droit aux médias - qui est un ensemble de règles communes et qui a des contours parfois incertains, ce qui pousse à se fonder d’abord sur les principes qui les mets en œuvre - doit assurer un équilibre entre les exigences contradictoires de ceux qui diffusent ou qui fabriquent les messages, en l’occurrence les émetteurs, qui réclament le plus de liberté possible et les exigences de ceux qui reçoivent, c’est-à-dire les récepteurs qui doivent être protéger contre certains dangers allant de la manipulation idéologique, politique ou même publicitaire. À une époque où les technologies de l’information et de la communication sont en perpétuelle mutation, avec l’avènement des réseaux sociaux qui constituent un vecteur de diffusion immédiate et démultipliée des fake news ou devrait-on plutôt dire de la désinformation, l’essor du numérique qui révolutionne les médias, l’obsession et la précipitation aux scoops, l’instantanéité qui transforme l’information en simple donnée ; l’importance d’une réforme pour un encadrement juridique nouveau et compréhensible, tout en sécurisant le droit à la vie privée, à la liberté d’expression et à un plus grand professionnalisme des médias, est d’autant plus que nécessaire pour une petite île comme Maurice avec ces 1,3 million d’habitants.

À ce jour, Maurice n’a, par exemple, toujours pas un cadre juridique pour le droit d’accès à l’information dans nos textes de lois alors que c’est un droit fondamental de l’individu et de la collectivité qui cherche à savoir et de faire savoir ce qui se passe dans la vie publique. Les lois relatives à la liberté d’information reflètent le postulat essentiel selon lequel toutes les informations détenues par les gouvernements et les institutions gouvernementales sont en principe publiques et ne peuvent être cachées que s’il existe des raisons légitimes de le faire, les cas typiques étant le respect de la vie privée et les questions de sécurité par exemple. Le droit d’accès à l’information ou plus communément connu en anglais comme la «Freedom of Information» reste un sujet qui fait débat depuis des années mais qui semble-t-il ne restera qu’un sujet de conversation au lieu d’être proprement présenté et appliqué. Une Freedom of Information Act devrait permettre à tout citoyen d’obtenir des informations des institutions publiques. Le citoyen lambda serait alors plus qu’un simple bulletin passif dans les urnes électorales et ne dépendrait plus uniquement du bon vouloir des journalistes. Cette difficulté des journalistes à accéder à l’information empêche la presse d’agir en tant qu’interface, pour fournir une information d’intérêt général à un public qui n’a pas les moyens, le temps ou les aptitudes pour décoder des rapports officiels. En conséquence, le journaliste est obligé de s’appuyer sur des réseaux de contacts personnels tout en s’exposant à des risques d’être manipulé ou même d’être en état d’arrestation.

Classée à la 61ème place au classement mondiale de la liberté de la presse cette année, Maurice, bien que considéré comme l’un des pays africains modèles en matière de démocratie et de respect des droits humains, demeure toujours un territoire où les journalistes peuvent être condamnés à la prison ferme pour des publications jugées d’outrage à l’ordre public. D’ailleurs, en septembre 2017, trois journalistes du quotidien l’express avaient été interpellés par la police après la publication d’une affaire de blanchiment d’argent impliquant un ex-Attorney General. Comment est-ce possible ? Tout simplement parce qu’il n’y a pas de dispositions dans nos lois pour protéger les sources journalistiques. Un autre point saillant, d’où la nécessité d’une reforme compatible de nos droits des médias à la démocratie moderne. Cela ne veut pas dire que les journalistes sont obligés de dévoiler leurs sources puisque nous avons dans notre constitution la liberté d’expression et le droit à l’information qui y sont inscrits dont les journalistes pourraient y invoquer. Mais cela ne suffit pas selon certains spécialistes du droit puisqu’il s’avère que tout est à la discrétion des autorités et que dépendant de l’affaire en question, cela pourrait être un contempt of court si un journaliste ne les révèle pas.

La protection du secret des journalistes est un sujet technique, donc abscons, mais vitale à une démocratie. Selon Reporters sans frontières, «la protection des sources, parmi lesquelles les lanceurs d’alerte, permet au Reporter de s’appuyer pour son travail de vérification des faits, sur des personnes qui souhaitent préserver leur anonymat et ne pas être inquiétées. Faute d’anonymat, leur parole ne serait pas libre et l’information ainsi privée des sources précieuses». En France par exemple, le droit à la protection des sources d’information a été inscrit en 2006 dans la loi de juillet 1881 qui régit la liberté de la presse avec également l’adoption définitive d’une proposition de loi sur l’indépendance et le pluralisme des médias en octobre 2016.  À noter quand même que la protection des sources est inscrite dans le droit français depuis 1993. Même initiative pour la Belgique, où le parlement avait voté, en avril 2005, une loi garantissant aux journalistes le secret de leurs sources.

Ce dont Maurice de demain a besoin, c’est d’une reforme aux lois qui régit les médias et qui protège le public, ainsi que l’abolition des lois scélérates toujours en vigueur telles que celles punissant la sédition (articles 287 et 287A du code criminel) par exemple, c'est-à-dire l’action de dire ou d’écrire des choses allant à l’encontre du pouvoir en place. Au lieu de cela, c’est le contraire qui a été fait. La preuve, en 2018, des amendements à la loi sur l’information et les télécommunications ont considérablement durci l’arsenal législatif. Ils permettent désormais de sanctionner de peines de prison les auteurs de contenus en ligne qui sont ‘contrariants’ ou ‘dérangeants’. Des amendements qui ont été et qui pourraient être utilisés pour intimider les journalistes les plus critiques, surtout sur des sujets touchant notamment à la corruption, aux communautés ou à la radicalisation religieuse. Et cette persévérance à inquiéter la population de sa liberté d’opinion et d’expression persiste encore aujourd’hui avec une autre guillotine, qui est le fameux ‘consultation paper’ publié par l’ICTA, qui regorge de propositions allant à l’encontre du respect et du droit de la vie privée d’un individu.

L'influence des médias a pris une place considérable à Maurice et ils représentent un pouvoir indéniable dans la société mondiale d'aujourd'hui. Si la fondation d’une société, telle que la nôtre, authentiquement démocratique comporte de nombreuses étapes, la mise en place de la législation et des institutions destinées à assurer le bon fonctionnement des médias est l’une des plus importantes. Le droit des médias constitue une composante fondamentale, constructive, et caractéristique d’une société démocratique. Les gouvernements s’efforcent trop souvent de construire des systèmes efficaces et susceptibles de faire progresser la démocratie sans connaître suffisamment les nombreux aspects de l’environnement juridique complexe qui influencent ce processus.  L’objectif à ce jour est de faire un état des lieux tout en étudiant les lois précédentes et actuelles, d’en identifier les composantes, leurs forces et leurs faiblesses afin de pouvoir venir de l’avant avec des propositions digne d’une réforme en profondeur sujette au droit des médias dont l’île Maurice en bénéficierait avec un encadrement juridique nouveau, durable, compréhensible et compatible avec notre temps.