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Govinden Venkatasami: «On a un permis pour conduire, pas pour tuer»

14 mars 2018, 00:00

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Govinden Venkatasami: «On a un permis pour conduire, pas pour tuer»

Les récents accidents et réseaux de faux permis posent des interrogations sur le système de conduite. Pour Govinden Venkatasami, le format du permis, qui vient de changer de couleur, doit être davantage revu et des sanctions plus lourdes appliquées contre les infractions.

Comment réagissez-vous face aux accidents survenus depuis le début de 2018 ?
Le gros du problème, c’est le comportement du conducteur. Il est indiscipliné, stressé et irrespectueux du Code de la route. Et bien que le parc automobile ait atteint les 500 000 voitures, l’état des infrastructures est resté quasiment statique. La sécurité routière n’a pas suivi le rythme du développement dans le pays.

L’âge de l’allocation du permis est remis en question. Sommes-nous suffisamment responsables à 18 ans ?
Si d’autres pays appliquent l’âge de l’allocation du permis à 18 ans, pourquoi pas nous ? Peut-être qu’il faudrait un permis probatoire. Ainsi, vous avez le permis à 18 ans et on vous donne deux à trois ans pour examiner votre comportement au volant. Et ce, avec les règlements qui vont avec, comme le nombre spécifique de passagers à transporter.

Auparavant, il n’y avait pas autant de véhicules, ni autant de demandeurs de permis. À Maurice, on banalise trop l’apprentissage de la conduite. Pourtant, c’est une chose vitale.On ne peut permettre à n’importe qui de prendre le volant. Il est obligatoire d’avoir une formation de base. Il faut passer par une auto-école professionnelle.

La conduite accompagnée peut servir à la pratique, mais ce n’est pas assez. Par exemple, plusieurs Mauriciens apprennent à conduire avec l’aide de leurs parents ou encore de leurs amis. Et deviennent par la suite des conducteurs moyens. Hélas, ils se retrouvent parmi des chauffards et doivent se préparer à des situations inattendues sur la route.

Et bien qu’il y ait des conducteurs aguerris, une autre proportion fera ce qu’elle veut. Il y a une anarchie sur la route. On a un permis pour conduire, pas pour tuer. Conduire un véhicule est une sérieuse responsabilité. On ne peut prendre le volant pour montrer sa force ou son agressivité. Il nous manque une culture de sécurité routière.

Pensez-vous qu’il soit nécessaire de réaliser des évaluations sur les facultés ou les réflexes, avec l’avancée en âge du conducteur ?
Cela rejoint un peu le permis à points. Il est malheureux que cela ait été appliqué, puis retiré. On ne sait même pas pourquoi. Une fois pour toutes, il faut se décider. Que ce soit une décision politique ou pas, que l’on applique tout ce qui peut se faire pour ramener le conducteur à plus de prudence. On ne peut se dire que les accidents n’arrivent qu’aux autres. Le malheur touche tout le monde directement. Vous vous imaginez qu’à Maurice, côté formation, nous n’avons aucune école de poids lourds, d’autobus, etc. C’est en 2018 qu’on aura la première moto-école… Et on sait que les deux-roues sont souvent impliqués dans les accidents.

En 2017, quelque 1 237 permis ont été annulés à cause des infractions. Est-ce choquant?
Je ne suis pas choqué, mais ce n’est pas normal. Pour que le permis soit retiré, il faut que l’infraction soit grave. Cela vous donne une indication de l’ampleur du problème. S’ils écopent d’amendes, les gens paieront. Il faut des mesures plus sévères pour qu’ils ne récidivent pas.

Quelles sanctions devraient être appliquées face aux infractions ?
Si la police arrête un conducteur, le contrevenant passe en cour et la lourdeur administrative est flagrante. Entretemps, le conducteur roule toujours. Il paiera entre Rs 2 000 et Rs 3 000 et continuera à rouler. Les sanctions doivent être si lourdes qu’il réfléchira à deux fois avant de commettre une nouvelle infraction. Par exemple, pour l’alcool au volant, il y a trop de retard pour les jugements. Le permis à points était utile dans ce cas-là.

Des réseaux de faux permis de conduire ont récemment été mis à jour. Qu’en pensez-vous ?
Il y a toujours eu de la contrebande. C’est un créneau que certains exploitent. On se demande combien de faux permis circulent dans le pays. Il est temps de changer le format du permis afin de passer un coup de filet. Comme je le disais, il nous manque une véritable culture de la sécurité routière à Maurice. Il ya des gens qui croient qu’il suffit de payer sans avoir les connaissances requises pour conduire. En somme, on essaie de tomber dans la facilité. Aujourd’hui, cela nous coûte très cher, non seulement à l’État mais aussi en vies humaines.

Les examens en vue d’obtenir le permis sont-ils assez structurés ? Quelles en sont les failles ?
Pour être honnête, tout le système doit être amélioré. Une des failles est la photocopie du permis. Comment la police peut-elle s’assurer que le conducteur n’a pas manipulé le document original ou n’a pas substitué la photo d’un autre conducteur à la sienne ? Au niveau du test, je crois qu’en 10 à 15 minutes, on ne peut déterminer si quelqu’un est apte à conduire ou pas.

Un autre problème demeure la pratique. Lorsque l’apprenant la passe, il ne le fait pas sur l’autoroute. Mais après l’obtention de son permis, c’est sur celle-ci qu’il conduira. Pourquoi ne pas lui permettre de se familiariser avec l’autoroute avant ? Il faut revoir cela. Nous devons aller dans cette direction. Par ailleurs, le format même du permis est problématique. Il faut l’intégrer à la carte d’identité ou créer un format identique pour moins d’intervention humaine possible.

Au niveau de l’oral, l’aspirant conducteurne doit pas apprendre le Code de la route par coeur. Un mois plus tard, il aura tout oublié. Il est impératif d’intégrer la théorie à l’apprentissage. Mais je le redis et j’insiste : pour maîtriser la conduite, cela doit se faire uniquement à travers les auto-écoles…

Vous prêchez pour votre paroisse-là…
On ne peut laisser n’importe qui donner des cours. À Maurice, il y a deux fois plus d’auto-écoles au noir que celles enregistrées – qui avoisinent les 140. Il est temps que les autorités cessent de faire la sourde oreille. Le problème empire. Ce que nous voulons : c’est une standardisation, un code de conduite commun aux moniteurs enregistrés. Ainsi, chaque apprenant bénéficiera du même cours professionnel. Il faut passer par une école réglementée pour plus de contrôle...

Quel genre de contrôle est donc nécessaire ?
Il faut que les gens réalisent les conséquences de la conduite sans permis. En Angleterre, le permis a le format des cartes de crédit. Il est codé. Si la police vous arrête, elle a déjà tous les détails simplement en scannant le permis. Autant que je sache, notre carte d’identité est prévue à cet effet. Avec la technologie avancée et si nous voulons mettre de l’ordre, nous devons emboîter le pas aux Anglais. Le permis, c’est une responsabilité personnelle à prendre vis-à-vis du public. On ne peut poster un policier derrière chaque conducteur pour vérifier s’il conduit bien.


Bio express

<p>Govinden Venkatasami, habitant Saint-Pierre, exerce dans l&rsquo;apprentissage de la conduite depuis 22 ans. Il est tombé dans cette marmite de par son intérêt pour la mécanique. Actuellement, il préside la <em>Driving Instructors Federation</em>, fondée en octobre 2016. L&rsquo;organisation regroupe les membres de l&rsquo;Association des moniteurs auto-écoles de Port-Louis et l&rsquo;<em>Approved Professional Driving Instructors</em> de Curepipe.</p>