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Roshi Bhadain : ça passe ou ça casse

22 novembre 2015, 19:50

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Roshi Bhadain : ça passe ou ça casse

La scène est théâtrale. Ce jour-là, Roshi Bhadain doit convaincre trois juges de la Cour suprême et démontrer pourquoi Pravind Jugnauth est dans son droit quand il s’oppose à la prise de son empreinte digitale pour la nouvelle carte d’identité. Debout, l’avocat plaide d’une voix forte, audible jusqu’au fond de la salle, ce qui est rare. Son proche collaborateur, assis tout juste derrière, lui transmet, comme un passage de témoin dans une course de relais, des documents à mesure qu’il avance dans sa plaidoirie.

La méthode a été sans doute travaillée et réglée pour aller vite. Sauf qu’à un moment donné, c’est un mauvais document qui lui est tendu. L’avocat se retourne, fusille du regard son collaborateur et murmure quelques mots  autoritaires.  Puis, dans un geste brutal, arrache littéralement la page du classeur, se retourne et se remet à plaider…

Un avocat plus expérimenté, plus fin, aurait sans doute demandé aux juges quelques secondes de patience pour cette confusion dans ses notes. Mais Roshi Bhadain n’aime pas les temps morts. Quand il a la balle au pied, il fonce aux avant-postes. Ce qui explique ces coups de pied incessants dans la fourmilière politico-financière depuis qu’il est devenu ministre : BAI, Betamax, le traité fiscal Maurice-Inde et depuis peu, le projet de loi sur les biens mal acquis, soit le Good Governance & Integrity Reporting Bill.

 Sa boulimie professionnelle et son empressement ont développé chez lui des défauts que les Mauriciens détestent le plus : cette tendance à vouloir tout contrôler, diriger, voire manipuler. Son influence à la MBC est symptomatique d’un appétit du pouvoir. Lui qui, il y a deux ans, avait pourtant confié à l’express «qu’il y a encore beaucoup à faire à Maurice pour que l’on puisse dire d’elle qu’elle est une démocratie».

Hier, fier de ses compétences d’expert-comptable, d’enquêteur financier et d’avocat et, aujourd’hui, enorgueilli par ses attributions ministérielles, Bhadain se sent investi d’une «mission». Celle «d’instaurer une bonne gouvernance et de s’assurer que l’argent public est bien utilisé».

S’il emploie le même vocabulaire que le «revenant» sir Anerood Jugnauth, sa conviction de pouvoir mettre fin aux dérives du système n’est pas nouvelle. Il y a 12 ans, alors qu’il était à l’ICAC, en tant que  directeur des investigations, Roshi Bhadain voulait «contribuer à une cause».

Mais le système l’a éjecté, neuf mois seulement après son arrivée, au beau milieu de l’affaire MCB-NPF, en mars 2003.  Il découvre alors la vraie face de son entourage :  «(...) Les gens se renfermaient. C’est atroce, car vous devenez un pestiféré. Vous vous retrouvez dans une situation de dead man walking (...)»  (l’express samedi 5 janvier 2013).

Même si deux ans après, à la suite d’une décision de la Cour suprême, Bhadain fera son retour à l’ICAC, le ressort était cassé. «Je n’avais pas réalisé que la politique – et là, je ne parle pas que des politiciens, mais de tout le système de connexions, de networking, d’influences –,pouvait s’ingérer dans des organisations indépendantes (...) Quand les choses ne vont pas dans une certaine direction, on vous glisse des peaux de banane sous les pieds.»

L’enquêteur qu’il était a regardé cette gangrène à l’oeil nu. Il fait ses valises pour  KMPG-Forensic, à Londres. Ses années passées à l’étranger et sa participation dans une série d’enquêtes – dont celle sur Bernard Madoff – lui ont donné non seulement une lecture plus limpide du monde de la finance, mais aussi une nouvelle conviction. Et la force de pouvoir,  sinon redresser les affaires, en tout cas freiner cet appétit de l’argent.

Le ministre de la Bonne gouvernance et des Services financiers dérange dans toutes les sphères. La dernière en date étant celle des avocats. «On comprend pourquoi le Bar Council est contre ce projet de loi. Parce qu’il vise aussi ce milieu», confie un huissier pas loin de la retraite.

Le briseur de tabous, comme il se décrit lui-même, dérange ceux qui gravitent autour du MSM. «Il perd les pédales», critique un riche agent du parti. Pour l’opposition, pour laquelle il est devenu la cible la plus facile, et «le meilleur agent travailliste», selon le néo-travailliste Rama Valayden. Les apparatchiks du SunTrust l’apprécient et évitent de le froisser, car il est devenu un homme de sérail à La Caverne. Il est proche du fils comme du père. Envers Pravind Jugnauth, il se dit «extrêmement sincère et loyal» et promet d’être à ses côtés en «toute circonstance».

C’est lui qui, en décembre 2014, présente en premier Pravind Jugnauth comme le «futur Premier ministre». Une  question qui était alors encore taboue au sein de l’alliance Lepep.

Cependant, ce qui fait défaut au très entreprenant ministre, c’est la dimension politicienne. Bhadain occupe pleinement le terrain médiatique et celui des affaires nationales, mais nullement le terrain politique. Il a délaissé sa circonscription. Si certains lui prêtent des ambitions premierministerielles, d’autres affirment qu’il ne s’intéresse même pas à un deuxième mandat comme ministre. Les propos de Roshi Bhadain lui-même, dans sa plus récente interview (l’express du 26 octobre) sont  éclairants : «Je ne serai pas candidat au poste de Premier ministre.Je ne sais même pas si je serai candidat aux élections de 2019. J’ai 4 ans devant moi et la plateforme qu’il me faut pour faire tout ce dont j’ai rêvé pour mon pays.»

Cette position aux avant-postes fait de lui un encaisseur et un démolisseur à la fois. S’il réussit, ce sera une victoire collective. S’il échoue, ce sera seulement sa faute. Ainsi va la vie, impitoyable et ingrate du monde politique que l’hyper ministre devra tôt ou tard découvrir.