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Débat: Faut-il mettre les terres de l’État aux enchères?

1 janvier 2015, 21:32

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Débat: Faut-il mettre les terres de l’État aux enchères?

Que faire des terres de l’État? Comment les allouer pour la réalisation de projets industriels ou touristiques? Le ministre du Logement et des terres Showkutally Soodhun a dépoussiéré plusieurs dossiers. Il accuse des proches de l’ancien régime qui ont bénéficié de terres de l’État d’avoir réalisé des spéculations foncières avec ces terrains. Ils auraient touché de grosses sommes d’argent en vendant les actions des compagnies auxquelles les lopins de terre ont été loués à bail. Des dépositions ont même été faites à la police à ce sujet. 

 

Cela remet sur le tapis un vieux débat: faut-il mettre les terres exploitables aux enchères pour des projets hôteliers ou touristiques? Le syndicaliste Jack Bizlall et plusieurs anciens ministres du Logement et des terres donnent leur avis.

 

• Jack Bizlall, syndicaliste

 

«Il faut savoir que les terres de l’État ne sont pas vendables. Ces personnes ont trouvé un moyen de s’accaparer ces terres pour se faire de l’argent. J’avais déjà envoyé une lettre au secrétaire du Cabinet pour attirer son attention sur ce problème.

Si on lance un appel d’offres pour allouer ces terres, il y aura de nombreux facteurs dont il faudra tenir compte. Il faut bien voir quels sont les projets proposés, s’ils sont viables et si les promoteurs ont les moyens financiers de les mener à terme.

 

Beaucoup de pays sont en train de vendre leurs terres pour subvenir aux besoins de leur économie, comme les Seychelles. La population mauricienne ne sait pas que malgré la situation économique mondiale, Maurice a déjà vendu ses terres, son patrimoine, à des étrangers. Il y a beaucoup de terres qui ont été accaparées dans la République de Maurice, c’est-à-dire pas seulement à Maurice mais aussi sur nos autres îles. Il faut tout faire pour récupérer ces terres.»

 

 

ANCIENS MINISTRES DU LOGEMENT ET DES TERRES

 

• Asraf Dulull

 

«Quand j’étais ministre, je voulais faire un audit de toutes les terres et publier la liste sur un site. Puis j’ai songé à la philosophie du gouvernement dont je faisais partie, soit la démocratisation de l’économie. Mettre les terres de l’État aux enchères signifiait que seuls les riches allaient en profiter alors que nous voulions que ce soit accessible à tout le monde. Nous voulions donner une chance égale à tous. 

 

Le gouvernement était disposé à aider ceux qui souhaitaient se lancer dans l’entrepreneuriat. Nous voulions les encadrer pour qu’ils respectent l’environnement tout en tenant compte de l’aspect social et économique du pays dans leur projet. Bien sûr, l’aspect financier était un critère qu’il fallait prendre en considération. En revanche, j’avais fait un audit avec l’aide d’experts étrangers pour revoir certains aspects des baux. J’avais fait amender la loi pour éviter les spéculations foncières et j’avais fait augmenter le coût des baux, ce qui a rapporté Rs 1 milliard à l’État.»

 

• Amédée Darga

 

«Mettre les terres aux enchères est un vieux débat. Il faudra se demander si ce système est équitable. Les personnes qui ont plus d’argent risquent d’être favorisées par rapport à celles qui ont peu ou pas de moyens. Mais avant que le gouvernement donne un terrain à bail, il faut appliquer les mêmes paramètres que ceux utilisés par les banques avant qu’elles accordent un prêt. Il faut s’intéresser au track record du promoteur. Est-ce qu’il a un plan bien ficelé? Est-ce que son projet est viable? Est-ce qu’il a les financements nécessaires? Est-ce que son projet cadre avec les besoins du pays? Est-ce que le terrain qui lui sera alloué est compatible avec les projets du gouvernement? Ce sont certaines des questions à poser.

 

Il faut exclure tout projet douteux ou proposé par un promoteur qui n’a ni track record ni plan. Le gouvernement doit aussi imposer des conditions. Si, après une certaine période, le projet n’est pas réalisé, il faudra résilier le contrat. Il y a aussi de petites parcelles de terres que l’on peut mettre à la disposition d’un individu pour des besoins résidentiels ou agricoles, mais tout doit être fait dans une transparence totale.

 

Cependant, quand c’est le gouvernement qui a un projet spécifique pour répondre aux besoins de la nation, il faut lancer un exercice d’appel d’offres. Par exemple, si le gouvernement dit qu’il a besoin de parcs photovoltaïques pour produire de l’électricité, là il peut mettre les terrains disponibles pour ce projet aux enchères afin d’avoir les meilleures firmes et les meilleurs prix.»

 

• Joe Lesjongard


«La loi dit qu’il faut mettre les terrains aux enchères. Il faut savoir dans quel secteur il faut des développements avant de donner un terrain. Il faut se demander si c’est un secteur prioritaire. Il faut un plan stratégique pour les besoins du pays. Il faut aussi classifier les terres car elles n’ont pas toutes la même valeur, selon leur localisation et les infrastructures disponibles. De plus, il ne faut pas que le dossier des terres soit partagé entre le ministère de l’Agro-industrie et celui du Logement et des terres, comme c’est le cas actuellement.

 

Il faut aussi mettre fin à cette pratique par laquelle une personne identifie un terrain avant de faire une demande auprès du ministère, et que celui-ci traite ensuite la demande. Ce n’est pas le rôle du gouvernement. Si une personne a un projet, qu’elle envoie son dossier avec un business plan au ministère, prouvant qu’elle a les moyens financiers de mener à bien son projet. C’est au ministère d’identifier le terrain approprié pour ce projet. Ce faisant, on évitera de construire n’importe où, comme dans des zones marécageuses, et on évitera d’avoir à aller chercher des permis auprès du département des Bois et forêts ou du ministère de l’Environnement. 

 

D’ailleurs, quand j’étais ministre, j’avais présenté un Land Planning Act au Parlement. La loi a été votée, mais n’a jamais été promulguée par le gouvernement travailliste qui est venu après. J’avais travaillé avec des experts australiens pour que les terres de l’État soient bien gérées.»