Publicité

CHAGOS & TROMELIN : Pour une totale souverainté mauricienne

4 juin 2007, 00:00

Par

Partager cet article

Facebook X WhatsApp

lexpress.mu | Toute l'actualité de l'île Maurice en temps réel.

La question de souveraineté est à l?agenda des gouvernements depuis... plus de 30 ans. La République de Maurice ne se limite pas à notre île mais comprend un ensemble de territoires insulaires (Rodrigues, Saint-Brandon et Agaléga). Les Chagos et Tromelin sont revendiquées par Maurice.

Il s?agit là de deux cas distincts ayant pour dénominateur commun les revendications souveraines de Maurice. La problématique de Tromelin est essentiel- lement économique contrairement au cas des Chagos qui se double d?une thématique humaine et humanitaire. D?anciennes puissances coloniales sont impliquées, le Royaume-Uni pour les Chagos et la France pour Tromelin. Anil Gayan, avocat spécialiste du droit international et ancien ministre des Affaires étrangères, évoque ?les intérêts permanents de Maurice qui doivent être défendus?. Il s?agit de recouvrer la pleine souveraineté sur le territoire mauricien, héritage de l?histoire et des colonisations. ?Il faut aller au-delà des simples déclarations publiques en revendiquant sur un plan juridique et politique?, insiste Anil Gayan. ?La question de souveraineté ne doit pas être négociable?, poursuit-il.

Revendication sur fond de drame humain

Le retour des Chagos dans le giron mauricien n?est qu?un aspect de la question. C?est surtout une lutte d?hommes et de femmes déportés de leurs îles entre 1965 et 1973. ?Une lutte pour les droits humains?, tempête Me Hervé Lassémillante.

Pour André Oraison, Professeur de droit international public et spécialiste de la question chagossienne, ?il est clair que l?archipel appartient à Maurice, le litige anglo-mauricien est une séquelle de la guerre froide?. Diego Garcia, principale île des Chagos a, en effet, été choisie ?secrètement-, dès 1961, pour abriter une base militaire américaine. Seule obligation : le maintien de la souveraineté britannique sur l?archipel et la déportation des populations locales ??no people, no problem?.

En 1965, lorsque le gouvernement autonome de Maurice, mené par Sir Seewoosagur Ramgoolam, négocie l?indépendance à Lancaster House, il se voit contraint de céder les Chagos. Toutefois, dans le document signé, une clause reconnaît la souveraineté mauricienne : ?Les îles des Chagos seront rendues à l?île Maurice lorsque l?archipel ne sera plus nécessaire à la défense de l?Occident.? La souveraineté mauricienne sur l?archipel n?est donc que temporairement enlevée. ?La véritable question est de savoir quand les Chagos seront retournées à Maurice?, précise le Prof André Oraison.

Conformément à la résolution onusienne de 1965 interdisant tout démembrement d?un territoire appelé à devenir indépendant, ?il apparaît clairement que les Britanniques ont violé le droit international coutumier?, précise Anil Gayan. Les autorités britanniques cherchent à déstabiliser les velléités souveraines de Maurice par des man?uvres juridiques interdisant à l?État mauricien de les poursuivre devant la Cour internationale de justice. En 1969, le gouvernement de Londres dépose, aux Nations unies, des réserves à la déclaration d?acceptation facultative de la juridiction obligatoire de la Cour de La Haye. Il interdit le recours à cette instance pour un litige l?opposant à un membre du Commonwealth. L?État mauricien était prêt en 2004 à quitter le Commonwealth afin de porter l?affaire devant cette juridiction internationale. Le gouvernement anglais a modifié le contenu de la réserve en l?étendant aux anciens membres du Commonwealth. ?La Grande-Bretagne ne peut pas mettre un veto unilatéral face à la Cour internationale de Justice?, avance Anil Gayan.

Le professeur André Oraison avance également que ?Maurice se sent certainement frustrée que Diego Garcia soit devenue une base militaire louée à bail par un autre État. Il n?est pas normal que cet archipel, qui selon le droit international public appartient à Maurice, soit loué par une autre puissance?. Maurice aurait manifestement pu tirer avantage de la location de l?atoll. Les dividendes auraient été une source de revenu complémentaire, notamment pour la prise en charge des Ilois.

Le litige anglo-mauricien sur les Chagos est limpide en termes de droit international. La souveraineté mauricienne, tout comme la nationalité mauricienne des Chagossiens, ne fait aucun doute. Le n?ud du problème reste la position géostratégique de Diego Garcia. C?est la clé de voûte d?un vaste dispositif de sécurité pour les Etats-Unis dans la région.

Tromelin, un litige économique

Récif de 1 km2 battu par les vents, à la végétation pauvre, Tromelin n?a pour seules richesses que des colonies d?oiseaux marins, du guano et surtout une vaste zone économique exclusive (ZEE) profonde et poissonneuse. Faisant partie des îles éparses, Tromelin dépendait de la préfecture de la Réunion. Depuis le 21 février 2007, l?îlot et les autres îles éparses sont rattachées aux Terres australes et Antarctiques françaises sous l?autorité d?un préfet, administrateur supérieur, basé à Saint-Pierre de la Réunion.

Lors du sommet des chefs d?État et de gouvernement de la Commission de l?océan Indien (COI) à Madagascar en 1999, le président français Jacques Chirac et le premier ministre Navin Ramgoolam, conviennent du principe de cogestion de l?île. Et donc, semble-t-il, de sa ZEE. Or, en tombant sous la coupe des TAAF, Tromelin devient un sanctuaire protégé principalement à finalité scientifique par les lois françaises. L?idée de cogestion semble avoir été, sinon balayée du revers de la main, au moins oubliée.

?Mais qu?entend-on exactement par cogestion ? Quelle part reviendrait à Maurice 50 %, 30 % ??, s?interroge Anil Gayan. Pour lui, ?c?est une bavure diplomatique et stratégique car Maurice reconnaît ainsi la souveraineté française sur Tromelin?. Sur ce dossier, Maurice et Madagascar se soutiennent mutuellement. Toutefois, ?si les contentieux territoriaux franco-malgaches tendent à donner raison à Madagascar, le litige franco-mauricien sur Tromelin n?est pas en faveur de Maurice?, nous apprend André Oraison. Anil Gayan abonde dans le même sens en reconnaissant ?qu?il n?y a pas de clarté juridique à ce sujet?.

Les autorités mauriciennes ont déposé à l?ambassade de France un mémoire compilant les points de revendications. Le litige se cristallise surtout autour de la traduction du traité de Paris de 1814 stipulant dans sa version française que seront restituées à la France les îles lui ayant appartenu ?sauf Maurice et ses dépendances, nommément Rodrigues et les Seychelles?. L?adverbe ?nommément? est restrictif. Cependant, dans la version anglaise, c?est le terme ?especially ? ??notamment? ? qui est utilisé. Clairement, le litige repose sur une affaire de sémantique et de traduction.

?En droit international, l?occupation effective d?un territoire pour les affaires de souveraineté est déterminante?, rappelle André Oraison. La partie mauricienne évoque des baux, pour l?exploitation du guano sur Tromelin, octroyés à quatre opérateurs entre 1901 et 1956. André Oraison doute de ?l?exécution des baux même si leur existence est incontestable?. Il étaie son propos en évoquant les conditions périlleuses d?accostage, la faible quantité de guano et l?absence de traces attestant l?occupation, même temporaire, du récif.

L?État mauricien évoque également les permis de pêche octroyés à des opérateurs pour exploiter les eaux poissonneuses. Maurice inclut la ZEE de Tromelin à la sienne. Entre 1996 et 2004 plus de 1 200 permis de pêche ont été délivrés par les autorités de Port-Louis. En 2004, deux chalutiers japonais sont arraisonnés par la marine française. Le litige franco-mauricien refait surface. Depuis, la France surveille, via un système satellitaire, les eaux de Tromelin.

Maurice n?a pas délivré de nouveaux permis suite à cet épisode. Tromelin est une réserve naturelle intégrale si bien qu?aucune exploitation terrestre ou maritime n?est tolérée. Le récif a de multiples vocations : préservation de la biodiversité, recherches scientifiques et information météorologique.

Contactée par téléphone, l?ambassade de France n?a pas souhaité s?exprimer sur ce dossier. Il faut dire que les questions de souveraineté peuvent être embarrassantes car l?intégrité territoriale est une thématique hautement politique ? il s?agit d?un des droits régaliens de l?État. Le dossier Tromelin est donc en quelque sorte une épine dans le pied des relations bilatérales franco-mauriciennes.

Les Chagos sont ?une médaille frappée à l?effigie d?un peuple? qui a souffert de la déportation et qui aujourd?hui vit dans un rêve, un idéal, celui du retour. A cet idéal s?ajoute la volonté mauricienne de récupérer ces confettis insulaires perdus au milieu de l?océan Indien. Le droit international semble donner raison aux ambitions mauriciennes.

?David contre Goliath(s)?

Concernant Tromelin, la souveraineté a une connotation très économique. Sans hommes, petite, aride, l?île de Tromelin n?a de valeur que ses eaux. Maurice a tout intérêt à revendiquer ce petit récif. La France a également tout intérêt à conserver cet îlot car il s?inscrit dans un plan global de préservation de l?environnement. Entre ambitions économiques et ambitions écologiques, le droit international n?est pas en faveur de Maurice.

Au total, la souveraineté de Maurice sur ces îles n?est autre qu?un combat de David contre Goliath(s). Le pays doit réussir à faire entendre ses revendications sans nuire à ses relations bilatérales. L?option diplomatique est nécessaire, préalable à toute position trop tranchée. Pour autant, Maurice a les moyens de ses ambitions et les soutiens nécessaires concernant les Chagos. Le cas de Tromelin est plus flou. La petite île Maurice aurait-elle un appétit souverain démesuré ?

Gilles RIBOUET