Publicité

Vulgarisation- Budget 2016 : le discours en kreol ?

27 juillet 2016, 17:15

Par

Partager cet article

Facebook X WhatsApp

Vulgarisation- Budget 2016 : le discours en kreol ?

Non, la lecture du discours du Budget 2016 en kreol ne fait pas partie d’une demande démagogique, non plus est-elle un signal aux Anglais à qui nous réclamons actuellement qu’ils nous retournent les Chagos. Il faut voir dans ce «pourquoi pas ?» une remise en cause, du moins dans la forme, du business as usual.

Reconnaissons que s’il pouvait déjà se dire dans un langage compris de l’ensemble de la population, le Budget aurait gagné en accessibilité.  Venant d’un peuple que l’on convainc en kreol pour gagner des votes, on ne peut dire que c’est trop demander. Et ce serait encore mieux si le texte était fait de propos clairement et simplement exposés afin qu’il ne soit pas destiné aux seuls spécialistes de l’économie. D’ailleurs ce serait, là, l’un des moyens de démythifier le discours et aussi de repenser l’exercice budgétaire dans son ensemble : sa préparation, le secret et le suspense qu’il entretient, et certains de ses aspects traditionnels appartenant à d’autres lieux, d’autres temps.

Ki li pé dir ?

Le Budget national est présenté à l’Assemblée nationale, la maison du peuple, nous diton. Sauf que le peuple n’est pas là. Il se fait représenter par ses élus pour écouter un discours, vieille tradition héritée des Britanniques, avec un rituel autour devenu partie intégrante du folklore politique mauricien. Le peuple, lui, se contentera d’être devant son écran. Il regarde chaque année toute l’agitation qu’entraînent les deux heures de discours grâce à la retransmission en direct à la télévision: le maquillage du seul ministre, les plans avec épouses habillées chiquement, les partisans posant pour la photo, et le gratin  du secteur privé qui tient absolument à être vu. Et si on voulait joindre au show agréable un plus d’utilité, le kreol ne pourrait être qu’un ajout approprié. Le peuple sera content de savoir ki li pé dir.

Discours Budget : une tradition dépassée ?

Le discours Budget énonce comment les revenus du pays seront obtenus et dépensés pendant douze mois à venir. C’est un mécanisme qui procède à l’allocation de la plus grosse fortune amassée dans le pays. Mais, curieusement, il ne comporte aucune exigence de rendre compte de la manière dont l’argent alloué aux divers ministères et institutions a été dépensé. À l’heure où nous parlons d’accountability, nous sommes toujours à glorifier une tradition qui est donc dépassée, faisant fi des règles de la bonne gestion financière.

Le discours ne dit pas de manière concrète si les milliards votés l’an dernier ont eu les résultats escomptés. La raison: le discours de l’année précédente n’avait pas précisé non plus quels étaient ces résultats. Dans un système, lorsque des indicateurs objectifs de résultats ne sont pas exigés, l’on doit pouvoir se demander si le mécanisme tient toujours la route, s’il n’est pas dépassé en termes d’outil de planification pour le pays. En somme, il s’agit de se demander si le package «plan de dépenses-recettes, débats-sansgrande-influence-sur-les décideurs, et spectacle» ne doit pas être revu dans la forme et surtout dans le fond. Ceci afin que tous les ministres, et non seulement le ministre des Finances, puissent rendre compte au peuple de ce qui a été fait avec son argent.

Au lieu d’un discours unique, la population aura droit aussi à un plan de travail annuel par secteur et les indicateurs de résultats correspondants. Ce sera une utilité ajoutée à un évènement national qui, par ailleurs, mettra fin à un anachronisme qui fait qu’un seul ministre s’impose comme superman, alors qu’il n’en est qu’un parmi plus d’une vingtaine de ses pairs. Aujourd’hui, l’exercice est monté de sorte que le ministre des Finances soit présenté comme celui qui distribue un trésor personnel. Et devant qui les autres ministres doivent défiler pour défendre les secteurs qu’ils représentent. C’est la raison pour laquelle, même le temps d’un  show, il peut prétendre à plus d’importance que le Premier ministre lui-même.

Ce que nous avons hérité de nos colonisateurs britanniques semble année sur année un peu plus ampoulé, avec des effets de show, frisant parfois le burlesque. Mais si l’on veut être plus sérieux et voir le fond des choses, l’on apercevra que l’événement est révolu et complètement dépassé, à part son effet spectacle. Il est présenté comme s’il contenait seul toutes les composantes des stratégies économiques du pays. Il est concocté dans un langage pas forcément compris par une bonne partie de la population. Sans compter qu’il ne répond peut-être pas à tous les besoins d’une bonne planification des affaires publiques.

Transparence sacrifiée…

Puis, il y a le côté secret du discours. Cela aussi relève de la tradition. Tout comme le vrai faux suspense qu’il entraîne chez les parlementaires de la majorité, ne croyant pas leurs oreilles aux annonces généreuses du ministre des Finances. On se demande toujours pourquoi, à part les taxes pouvant occasionner baisse ou augmentation des prix, donc du hoarding, les mesures annoncées ne peuvent être connues d’avance, lors des consultations pré-budgétaires, par exemple. Il en est de même pour cette première partie du discours sur l’état de l’économie  nationale qui dure environ une heure. Difficile d’expliquer que toute cette partie doit être tenue top secret.

Démythifier le discours

Ce n’est pas du petty nationalism à demander que le kreol soit la langue du discours. Il y a lieu que le langage soit compréhensible de l’ensemble de la population. C’est une exigence d’accessibilité populaire, de démythification de l’univers nuageux entourant l’exercice de la préparation et la présentation du Budget national dans lequelle peuple doit être partie prenante. Intéresser la population aux affaires publiques c’est accroître sa participation, et son degré d’engagement pour le pays. C’est pour cela que l’exercice a besoin d’être dépoussiéré et surtout démystifié, avec la nécessaire transparence que dicte l’évolution de toute économie dite moderne.

Diskour bidze 2016 en kreol : pourquoi pas ? On est bien gouverné par l’alliance Lepep, non ?