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Revoyons notre copie

6 janvier 2016, 09:28

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Revoyons notre copie

 

«On n’a pas le droit moral de retarder le processus», a déclaré Leela Devi Dookun, sur lemauricien.com 

Le Nine-Year Schooling (NYS) de la ministre de l’éducation est sans conteste le bienvenu dans un contexte où l’on a trop longtemps piétiné au détriment de générations de jeunes Mauriciens, de l’économie en particulier et du climat social. En bref, il s’agit ni plus ni moins que du cœur et du réseau vasculaire du pays. Toute la santé sociale repose sur ce flux.

Je fais ces métaphores à escient, car je veux désarmer dès le départ toute objection de nature sectaire. Le débat sur l’éducation est un débat sur l’avenir dans toutes ses implications, il transcende – devrait transcender – toute considération individuelle ou de groupe.

Préconisé par la banque mondiale, ce programme was long due. Il est très bien conçu et répond aux objectifs d’une île moderne. Il essaie de faire de la place pour tout le monde. En effet, la clef de voûte de ce plan, c’est qu’il élargit l’horizon des filières non académiques. Ouvrir le champ jusqu’aux études tertiaires dans tous les domaines est un impératif. 

Que ce soit dans les domaines des assistants médicaux, des policiers, surtout des éducateurs, des menuisiers, des artisans de tout autre domaine. Pousser la connaissance et la recherche aussi loin que possible est le seul remède pour une société riche en expérience, en respect mutuel, pour une profondeur d’âme, une ouverture de champ de vision et une vie de qualité.

Cependant, il serait bon que la formation des enseignants du primaire les mène directement à un diplôme de 1er cycle (degree). Cette formation tiendrait compte du fait qu’on soit un pays issu d’un carrefour de cultures et les mènerait vers une citoyenneté du monde; là où les racismes, la xénophobie, les préjugés n’ont point de cité, une formation humaniste. La tâche de «Inculcate in all students a sense of moral responsibility, a set of values and a strong identity for the country» n’incombe pas aux seuls profs de Civic and Values education. C’est cela un holistic approach.

Combien de fois la persistance des préjugés n’a-t-elle pas ruiné la relation prof-élève (pouvant venir des deux côtés s’entend, mais sans oublier que l’un est un enfant et l’autre un adulte). Combien de fois un rire ironique devant une erreur grossière, une expression maladroite attribuée à un trait particulier de telle ou telle appartenance, n’a-t-il pas étouffé la confiance en soi d’un apprenant. Le créolisme, le bhojpourisme étant bien moins tolérés que l’anglicisme. 

La psychologie clinique

 

La formation du prof (quelque soit le cycle) intégrerait un module psychologie dérivé de la psychologie clinique et assuré par un professionnel (Colette Duflot: Le psychologue clinicien: l'invention d'une profession, 2008, Economica-Anthropos), avec un programme adapté à la psychologie scolaire (Mialaret, 2003). L’enseignant, ne peut gérer sa classe sans les outils appropriés face au problème des sujets récalcitrants, difficiles, turbulents, souffrant de troubles de comportement (souvent passagers), d’handicaps, de pathologies; en difficulté d’apprentissage. 

Or, souvent ces sujets requièrent une attention disons technique qui est du ressort du psychologue clinicien. Sans formation adéquate le prof a peu de chances d’adresser le problème efficacement, lui-même, ou d’identifier le profil psychologique de son élève et de l’aiguiller par les procédures mises en place dans le système vers une prise en charge appropriée. 

Le psychologue se trouve au carrefour de plusieurs mondes qui se confrontent et n'ont pas forcément les mêmes attentes, ni le même regard sur les choses : le monde des jeunes, celui des parents, celui des professeurs, et celui de l'école en tant qu'institution. 

Le suivi psychologique ne concerne alors pas seulement une personne en difficulté, mais un sujet-pris-dans-une-institution. Une approche clinique systémique, c'est-à-dire qui considère l'individu comme un élément d'un système de relations complexes, est ici indispensable. Car le jeune n'est pas seulement suivi en tant que tel, mais surtout en tant qu'élève, pris dans l'obligation d'apprendre.

 

PSYCHOLOGIE CLINIQUE DANS L'INSTITUTION SCOLAIRE
Jean-Pierre Neri, Sylviane Tramoy-Werner et Christine Farre, Presses universitaires de Grenoble, 2000

En effet l'incitation du gouvernement à promouvoir l'individualisation du travail, l'accompagnement personnalisé, le soutien etc… va se heurter rapidement à l'absence de formation clinique des enseignants c'est à dire à leur capacité à écouter ce qu'il y a d'unique et d'original dans le raisonnement (faux ou exact) d'un élève.

Et malgré leur bonne volonté les enseignants ne pourront que reproduire ce qu'ils ont appris à faire (c'est à dire un cours où on s'adresse à un groupe).

La formation des enseignants sera donc amenée, tôt ou tard, à prendre en compte cette formation clinique des enseignants.

(La psychologie clinique qui s'occupe du fonctionnement psychique des personnes et des phénomènes de groupe n'est pas à confondre avec la psychopathologie qui s'occupe des maladies psychique)

La formation personnelle de l'enseignant ou «Formation clinique»,  texte paru dans un cahier de E&D sur la formation des enseignants.

Les quelques notions de psychologie théoriques dispensées à ce jour aux profs sont largement en de ça des problèmes auxquels ils font face tous les jours. Par ailleurs, cela met en exergue la nécessité d’un psychologue clinicien au service de chaque école. Un professionnel par nombre défini d’écoles pourrait suffire. Mais cela est indispensable.

Dans la majeure partie des cas, les conflits qui émergent entre enseignants et étudiants peuvent être résolus avec un peu d’amour et de psychologie. Cependant, ils tournent souvent au conflit de personnalité. Ce qui est regrettable, car un conflit de personnalité entre un enfant, ou un quasi enfant, et un adulte est absurde. 

On ne devrait même pas avoir de classes de détention; on peut imaginer et souhaiter une école sans punitions. Cela souligne la nécessité d’une autre formation et d’un système plus approprié. Chaque élève qui est renvoyé est la personnification d’un échec criant du système.

On ne peut adresser le problème de comportement des jeunes d’un point de vue généralisateur. Chaque cas est unique. Le service de l’éducation doit comme dans celui des affaires aujourd’hui penser à «l’individualisation, à l’accompagnement individualisé».

L’autre volet : certains enseignants pratiquent le streaming interne dans leurs classes par la force de la compétition CPE (qui, il faut le noter, n’est pas un examen mais un concours). Beaucoup d’enfants sans handicaps sont laissés sur la touche parce qu’ils se sont laissés distancés par le train de la course – pour des raisons qui relèvent tout bonnement des difficultés de la vie, d’une période de turbulences dans leur vie intime ou familiale – et ne sont pas repris en charge, sont laissés dans un coin de la classe, parce qu’on n’a pas de temps à leur consacrer, le pourcentage régnant en maître. L’on a une carrière à gérer. Et il faut en sus compter avec l’influence des uns et des autres en tant que parents bien placés dans ces processus.

Gommer la compétition

 

Il faut de toute évidence gommer la compétition. Et à ce jour, il ne l’est pas, les critiques sur la réforme ont raison là-dessus. 

Le sport de masse et le sport de haut niveau ne peuvent se pratiquer ensemble. Cela ne donne pas plus de droits ni aux uns ni aux autres, mais assure au contraire l’égalité d’opportunités ; celle qui donne à chacun ce qui lui permet de briller à son niveau et dans sa spécialité. Et il faut encore une fois pour cela, que toutes les sphères de compétence soient représentées. 

La réforme fait de la place pour cela en régionalisant les recrutements, en offrant des créneaux parallèles, des voies de transfert possibles, des passerelles à chaque carrefour… Mais à l’intérieur de la région, les collèges ne sont pas perçus comme étant égaux. Cette perception doit être – à la voix active – changée. 

Cela repose sur deux facteurs essentiels à la perception d’égalité d’opportunité. Des ressources infrastructurels comparables et des ressources humaines comparables. La ministre a promis que les différences infrastructurelles seront comblées d’ici peu. Il faut penser que des moyens matériels seront mis à la disposition des collèges privés et d’état qui en ont besoin.

Là où c’est plus difficile, c’est d’endiguer un certain establishment qui voudra comme toujours canaliser les personnes les plus compétentes dans le collège de leur choix. Il faut le dire, c’est cet establishment qui s’est opposé à toute réforme de fond du CPE jusqu’à maintenant, la compétition leur étant à leur avis avantageuse.

S’il faut changer, s’il faut réellement démocratiser l’Éducation à Maurice, il faudra avoir la volonté et la force politique de s’opposer à cet establishment. Et la bataille n’est pas gagnée. Loin de là. Il y va de plein d’implications, tant politiques que sociales qu’on peut facilement deviner. Même s’il revient aux parents de signifier leur opposition sur cette mainmise, il est de la responsabilité de la ministre et du système de mettre en place des garde-fous. 

L’enseignement

 

Si on prend les sujets offerts au niveau du School Certificate en 2014 on note que la grande majorité des candidats (autour des 40 à 50 %) obtiennent des Grades entre 7 et 9 dans les matières qui requièrent une maîtrise appréciable en langues – le français ou l’anglais. En Travel and Tourism le chiffre atteint 73,93 %. En anglais le chiffre est de 46,83 %, en français de 39,94 % et en hindi (à titre représentatif) 38,6 %. Ci-dessous une table représentative :

Matière                    Pourcentage

Grades                            7-9

Business                      65.86

Economics                  52.63

Français                       39.94

Hindi                              38.6

Anglais                         46.83

Maths                            49.44

Design & tch                30.25

Design & com              40.62

T & Tourism                  73.93

Accounts                       58.12

Art & design                 48.29 (38% = grade 7)

Quand on sait que la plupart des matières requièrent une maîtrise appréciable de l’anglais, on doit conclure qu’il nous faut mettre sur pied une instance pour une bonne politique des langues. On parle et on écrit en général mal à Maurice. Les élèves ne comprennent pas ce que le questionnaire leur demande. Souvent, les classes se déroulent comme un dialogue de sourds. 

L’introduction du kreol au niveau primaire est une excellente initiative. Il faut aller plus loin dans l’exposition des élèves aux langues enseignées. Il siérait sûrement de revisiter la audio-visual room, dépassée, dans sa forme actuelle, par Internet, Youtube et les réseaux sociaux. 

Avoir un espace intérieur récréatif doté d’une télé abonnée aux chaînes internationales, de jeux de société, d’Internet pour utilisateurs multiples (non un unique PC indisponible la majeure partie du temps) serait sûrement un lieu de prédilection pour les enfants. Il serait très utile pour l’exposition aux langues et aux actualités comme aux connaissances générales. La gestion incomberait à un responsable dans chaque école. Cet espace serait occupé par les élèves pendant les pauses et les périodes libres.

Dans ce même esprit, il ne serait pas mal avisé de laisser les élèves se servir de leurs portables, qui sont aujourd’hui des outils intelligents qui peuvent servir de sources de référence, d’encyclopédie, de dictionnaires, de calculateurs. Bref, comme toute technologie changeur de vie – depuis le feu – il faut juste leur apprendre à s’en servir judicieusement. 

Combien connaissez vous de jeunes qui passerait six heures à regarder de la pornographie ou autres sites sordides ou à chatter six heures tous les jours de la semaine en classe. Il faut à un certain moment relativiser et rester dans le réalisme.

Si on avait interdit le feu dans les cavernes à l’âge de pierre où serions nous aujourd’hui ? Le smartphone peut devenir un outil de travail pour le prof et l’étudiant, il pourrait intégrer le programme et la classe, au même titre que les autres teaching aids si seulement on se débarrassait de la phobie qu’on en a du moment qu’on parle éducation des enfants. Du moment qu’on parle de toute nouvelle technologie d’ailleurs… mais ça, c’est un autre débat…

Enseigner la Philosophie

 

Enseigner la philosophie à des enfants peut sembler farfelu, mais cette pédagogie a été mise en place depuis les années 60’ par Mathew Lipton, inspiré lui-même de John Dewey. Le but de Lipton a été de, 

«permettre de développer la pensée critique, ou la raison, chez chaque individu. Cette raison, ou pensée réflexive, est garante de la liberté de penser (examiner par soi-même) et donc des libertés civiles qui trouvent leur expression à travers la démocratie (où la recherche du bien commun s'effectue par l'échange des idées, dans le respect et l’écoute)» 

Source : Wikipedia.

Catherine Mc Call en Ecosse, dès 1970, développe ses classes de philosophie sur le modèle socratique pour les enfants de 6 à 14 ans, après une visite chez Lipton en Amérique. D’autres profs sont formés. 

Ayant mis en place les quelques règles qui gouvernent la classe, on laisse parler librement les petits et chaque contribution commence avec un postulat : «Je suis d’accord avec…» ou «Je ne suis pas d’accord avec… » et doit être soutenu avec «parce que…». Elle a ainsi vu des enfants profondément introvertis et silencieux découvrir qu’ils ont quelque chose à dire et en ressortir jubilant de confiance en soi.

 

The children juggle with ideas, at first shyly and awkwardly but with steadily growing confidence.

Dr. Catherine C. McCall BA (Hons)
MA MSc PhD FRSA

Philosophy classes have a lasting impact on the pupil’s general schoolwork. In a test with 400 children, M. Lipman and his team found that compared with their peers, those who had studied philosophy showed a 66% greater improvement in reading and a 36% improvement in maths.

Micheal Dean, Reader’s Digest, May 1999

Children are brought up to believe there are only two opinions on any subject ; a right one and a wrong one. Philosophy teaches them that the world  is full of opinions on every subject and that you have to direct your mind thought fully towards the right one.

Mary Midgeley, Philosopher and Lecturer 

Nous manquons, à Maurice, une philosophie ambiante, un mission statement national, comme au Japon le zen, en Inde le yoga, en chine le Taoisme, en France la pensée cartésienne, en Angleterre le contractualisme de John Locken qui galvanise chaque citoyen. Il est vain de penser que chaque mauricien doit suivre la philosophie de sa religion et que notre pays est une conjoncture heureuse de toutes nos religions; une religion n’est pas une philosophie de vie, ce sont deux concepts différents quoique liés par quelques fils aléatoires… 

Une philosophie est une manière de penser le monde, de l’organiser, d’argumenter, de débattre d’idées, de phénomènes (sociaux, métaphysiques et autres), d’en tirer un enseignement. C’est cette capacité de penser propre à soi, d’analyse, de savoir faire intelligent (thinking skills), d’application des théories en les raisonnant qu’il nous faut développer chez nos enfants. Qui est de plus en plus requis dans les examens de toutes les matières.

Il serait utile d’en développer une qui reflète notre idéal pragmatique et construire dessus un enseignement qui rehausserait la foi en soi et en notre pays en faisant fi des différences et en relevant ce qui nous unit. Il serait bon à notre avis d’introduire la philosophie – l’art de penser – dans le cursus scolaire et ce, à tous les niveaux. S’exprimer clairement, dire ce que l’on pense au lieu de jouer double jeu à chaque collision avec l’autre serait plus sain.