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Surf: une vague peut en cacher une autre

14 août 2014, 14:55

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Il est vain de faire l’amalgame entre des situations totalement distinctes : un incident isolé sur la plage et le «localisme» des surfeurs dans les vagues de récifs. C’est une démarche hasardeuse pour la sérénité sur notre littoral, d’autant que la région est à présent saturée : pas assez de parkings ni d’espaces publics, pas de sauveteurs… Je laisserai volontairement de côté la littérature, pourtant prolixe dans ce domaine*. Régulièrement nous lisons des articles qui s’arrêtent à des constats superficiels. Une formule toute faite comme «la mer est à tout le monde» se révèle puérile dès qu’on cherche à comprendre les raisons de ce que l’univers du surf nomme le «localisme».

 

1) Il existe des gens mal intentionnés dans tous les milieux. Je n’ai jamais entendu à ce jour parler de ce type de comportement dans les petites vagues de la Baie-de-Tamarin en 15 ans de surf.

2) Le surf tel qu’il est pratiqué à Maurice sur les récifs est un sport de haut niveau à risque et il implique des règles non écrites (c’est toute la beauté d’un sport encore libre) qui ne sont pas toujours respectées par les touristes ou les débutants.

 

3) «La mer est à tout le monde» est un concept romantique intéressant, mais dans la réalité, la mer est à certains endroits envahie de bateaux, kitesurf et autres activités dont l’incroyable masse de visiteurs pour les dauphins (jusqu’à 40 embarcations traquent parfois les mammifères marins). La liberté n’est donc en aucun cas de faire ce que l’on veut et ce «grand n’importe quoi» est déjà en cours à Maurice en bien des endroits. Nous voulons des touristes mais nous n’avons aucun système de lifesavers adéquat.

 

4) Le localisme existe sur tous les spots de surf très fréquentés. Il s’agit avant tout pour les surfeurs de s’assurer que le site est respecté, qu’on y pratique le surf dans les règles et d’éviter l’anarchie. Il existe des dérives, bien entendu et des exagérations de part et d’autre.

 

5) Le localisme n’est pas une mauvaise chose en soi. Il ne faut pas confondre tourisme et surexploitation, voire «prostitution», de notre patrimoine commun. Il suffit d’aller à la pointe du Morne une journée ventée d’hiver pour réaliser que le site est totalement envahi par les kitesurfers, écoles de voile, tentes, voitures… Si on peut se réjouir de voir quelques opérateurs faire de bonnes affaires, ce lieu est néanmoins devenu un enfer pour les familles locales à qui il reste un minuscule bout de plage. Cet endroit paradisiaque était pourtant harmonieusement partagé par de nombreux touristes et locaux dans le passé. De plus en plus de familles originaires de la région n’y mettent plus les pieds. Au nom du tourisme, c’est devenu un lieu au bord de l’asphyxie en pleine saison. Dire que la mer est à tout le monde est donc un argument puéril. Au final, est-elle plus aux opérateurs touristiques qu’aux Mauriciens ?

 

6) Sans le localisme et une forme d’autorité des surfeurs locaux, Dalle, située devant le village de Tamarin, aurait déjà donné lieu à de nombreux incidents, accidents, et serait totalement saturée de monde à la moindre petite vague. Ce lieu est déjà très fréquenté par les surfeurs locaux, petits et grands et nous voyons avec bonheur trois générations sur cette vague de récif. Les habitués sont plus d’une centaine pour un spot qui en supporte 30. Nous nous accommodons parfois de 45 personnes grâce au respect de quelques règles.

 

7) L’arrivée de touristes mais aussi de locaux désinvoltes, et depuis peu, la mode des planches gigantesques (Paddleboard) qu’ils ne maîtrisent pas toujours, représente un danger physique et une menace pour l’harmonie de ce sanctuaire, limité en termes d’espace. J’ai vu récemment un chauffeur de touristes entrer avec sa voiture sur la plage au beau milieu des vacanciers pour décharger leurs planches. C’est dire ce que certains touristes sont capables de faire, avec la bienveillance d’opérateurs «dévoués».

 

8) Une vague comme Dalle est en réalité assez rare et déroule d’un point à un autre du récif, ne permettant pas d’être prise par plus d’un surfeur. il faut donc parfois, pour un habitué, attendre une heure avant d’avoir une vague. Débutants, il nous est tous arrivé d’en repartir bredouilles.

 

9) La mer se respecte. Il existe sur le récif une hiérarchie indispensable longue à expliquer, mais l’emplacement précis où la vague casse, au «pic», ne permet pas techniquement de laisser surfer plus d’une dizaine de personnes. Afin de respecter cette hiérarchie, il faut parfois dix ans pour avoir «une place» sur ce spot tant convoité par des surfeurs de passage qui se soucient au fond peu de l’histoire du lieu. Souvent, ils abusent de l’hospitalité légendaire des Mauriciens. La hiérarchie : les meilleurs, les anciens, quelques habitués de très longue date comme cet Australien de 63 ans, mais aussi des étrangers qui ont su respecter les lieux. Ceux qui ne respectent pas ceci sont parfois réprimandés et c’est indispensable, sans quoi ce joli spot serait chaotique, principalement pour nos jeunes qui apprennent d’abord à surfer dans la baie avant de venir se risquer sur le récif et d’attendre patiemment une vague.

 

11) Techniquement, le spot fonctionne sans heurt avec une douzaine de surfeurs répartis sur le haut et le bas de la vague. À partir de 20 personnes, il est impossible de laisser des débutants, locaux ou non, venir sur le récif sans créer du danger pour tout le monde. À 30 personnes ou plus, le spot sature, surtout si les vagues sont grosses, le corail étant particulièrement tranchant à quelques centimètres sous la surface.

 

12) Pour toutes ces raisons, les surfeurs étrangers, dont l’attitude est parfois intrusive, se font repousser par les habitués du spot. Il y a parfois conflit d’intérêts lorsque ces étrangers apportent leurs devises à quelques opérateurs et qu’au nom du tourisme, on se permet de piétiner les valeurs locales. Cela devient compliqué lorsque le spot est totalement saturé et que ces touristes insistent pour «se gaver», surfer, à tout prix, le maximum de vagues.

 

13) Il faut des années à nos jeunes avant de «mériter» leur place au pic, tout là-haut. Lorsque votre niveau régresse ou que les vagues sont trop puissantes, on peut rétrograder dans cette hiérarchie car il n’y a pas de place, en permanence, pour tout le monde au plus creux de cette vague radicale.

 

14) Plus de 80 % des surfeurs locaux laissent tout le monde surfer sans tension sur Dalle. Environ 20 % sont plus autoritaires et s’ils n’étaient pas là pour mettre un peu d’ordre, ce spot serait un désastre. Enfin, 5 % sont plus directifs et demandent verbalement aux inconnus d’aller surfer ailleurs lorsque la vague est saturée. D’expérience, la majorité des touristes surfeurs comprennent parfaitement puisque c’est exactement la même chose chez eux. Ils attendent des vagues sans créer de soucis ou, mieux encore, sont assez malins pour changer de spot ou revenir lorsqu’il n’y a pas foule et surfer en paix.

 

* Rell Sunn, la Reine de Makaha, la Grande dame du surf de Hawaii (ou les raisons sociales du localisme à Hawaii).