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Alliances : les leçons d’un échec

27 juin 2014, 14:26

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Navin Ramgoolam et Paul Bérenger lors de leur conférence de presse commune à la Clarisse House, Vacoas le 7 juin dernier

 

La saga incessante des alliances hypocrites et des ruptures bruyantes des 40 dernières années a totalement perverti, corrompu, et empoisonné la démocratie mauricienne selon l’auteur.

 

Le fiasco de la dernière tentative d’alliance MMM-PTr était inscrit non pas dans quelques malentendus ou mouvements d’humeur mais dans la nature profonde des rapports de force établis, depuis un demi- siècle, entre nos deux plus grands partis. Dans notre système politique d’inspiration britannique et axé depuis 1886 essentiellement sur le bipartisme (les petites formations gravitant toujours autour des deux plus fortes), le MMM et le PTr n’ont pas pour vocation première de gouverner ensemble mais, au contraire, de s’opposer en tout et sur tout. Dans le subconscient populaire, Bérenger et Ramgoolam ne sont pas programmés pour s’asseoir l’un à côté de l’autre à la même table, mais pour s’asseoir l’un en face de l’autre et se garder mutuellement sous haute surveillance.

 

Tout réaménagement des rôles imaginé par nos deux grands partis hors de ce cadre est susceptible de troubler la nation et d’être perçu comme une forme de «collaboration avec l’ennemi ». Ce fut le cas en 1969, quand le PMSD rejoignit le PTr dans une coalition dont les bleus ne se relevèrent jamais, passant de 44 % des voix en 1967 à 16 % en 1976. C’est ce qui pend au nez du MMM en 2014, avec ce parti et son leader peut-être décrédibilisés comme jamais auparavant par une stratégie en dents de scie qu’ils payent aujourd’hui très cher en termes d’image publique. Voit-on, en Grande-Bretagne, malgré le First Past the Post system, Conservateurs et Travaillistes faire alliance ? En Inde, Parti du Congrès et BJP se tenir la main ? Beaucoup de Mauriciens ne peuvent tout simplement pas intérioriser l’idée d’abandonner toute notion d’alternance pour satisfaire les calculs de leurs leaders.

 

La saga incessante des alliances hypocrites et des ruptures bruyantes des 40 dernières années a totalement perverti, corrompu, empoisonné la démocratie mauricienne. Quand, de surcroît, on jette dans l’équation 2014 les conditions les plus irréalistes (parité totale, partage de pouvoirs douteux, changements constitutionnels dangereux) et l’ambivalence légendaire de Navin Ramgoolam (écartelé entre deux pulsions, «s’accrocher au MMM» ou au contraire «finir le MMM»), une conclusion s’impose tout naturellement : L’alliance rouge-mauve, en pratique, est irréalisable. Et elle le restera demain, nouvelles négociations ou pas.

 

En effet, fantasmer est une chose. Faire avancer concrètement le fantasme en est une autre. La réalité a de bien brutales manières de se venger et de s’imposer. Le projet d’alliance rouge mauve fait ainsi lamentablement naufrage, en 2014, pour exactement les mêmes raisons qu’en 2010, qu’en 2008, qu’en 1991, qu’en 1987, qu’en 1976 .. Alors, que fait-on ? On continue ?

 

Le projet d’alliance MMM-PTr reposait, en fait, sur trois fausses prémisses : La conviction, au MMM, que le Dr Navin Ramgoolam est désormais à ce point épuisé et désespéré de trouver une bouée de sauvetage en 2015 qu’il serait prêt à toutes les concessions (même sur le dos de son parti) pour sauver politiquement sa tête et se la couler douce au Réduit jusqu’en 2022, laissant Paul Bérenger aux fourneaux. Le trio proalliance Bérenger/Ganoo/ Cuttaree s’est quelque part convaincu et a convaincu les instances MMM que

(a) Ramgoolam ne souhaite plus que «régner» au lieu de gouverner au quotidien et

(b) qu’il se satisferait de seulement la moitié du gâteau plutôt que de tout perdre. D’où l’étrange «cohabitation à parité totale» imaginée. Sornettes ! Malgré quelques grosses angoisses occasionnelles, Navin Ramgoolam continue, au contraire, de tout vouloir : Une deuxième République taillée sur mesure pour lui ; sa «Présidence à la française» pour le placer sur le même pied que ses pairs outre-mer ; le droit de diriger le Conseil des ministres ; le privilège de nommer et de révoquer Premier ministre et ministres ; un pouvoir accru de nominations ; le droit de dissoudre le Parlement ; et même (en parallèle à la Présidence de la République) le leadership du Parti Travailliste. Bref, tout ce qu’il a toujours voulu depuis 1990, en retenant le maximum et en cédant le minimum. En réalité, Navin Ramgoolam ne veut pas seulement l’apparence du pouvoir mais la réalité du pouvoir. S’il veut effectivement «régner», ce n’est pas à la manière des souverains d’aujourd’hui mais à la manière de ceux d’antan, n’en faisant qu’à leur tête et selon leur bon plaisir. Si on ne comprend pas cela, on ne comprend rien du tout à Navin Ramgoolam et on a tout faux ! La «Fatal Attraction» de Bérenger pour le PTr l’aveugle. Dans le psychisme Travailliste, le pouvoir est presqu’un droit et la démocratie doit en toutes circonstances être passionnément prônée, chaleureusement glorifiée, farouchement défendue verbalement mais surtout, surtout jamais pratiquée !

 

Deuxième fausse prémisse : La conviction, cette fois chez Navin Ramgoolam et le PTr depuis le demi-succès du Remake aux Municipales, que le MMM et Bérenger sont, eux aussi, à bout de souffle après 40 ans dans l’Opposition. Le PM estime que le MMM dépérit lentement mais surement et ne pouvant ni exécuter ses programmes, ni récompenser ses partisans, jettera tôt ou tard les armes et s’abandonnera à la séduction du pouvoir. Le camp Travailliste a acquis la certitude que Paul Bérenger livre en 2015 son dernier combat, ne rêve plus que de partir en pleine gloire comme Chef du Gouvernement et préférera la perspective d’une installation immédiate au Bâtiment du Trésor à celle, aléatoire, de succéder en 2018 à SAJ. Navin Ramgoolam doit donc penser que s’il accorde, au départ même, à Bérenger ce qu’il souhaite le plus (le Prime ministership), ce dernier cédera plus facilement sur d’autres modalités d’accord plus favorables aux projets du PM. Autre faux calcul. Certes, Bérenger se voit bien au PMO et à Clarisse House mais il a encore de plus hautes ambitions dans la vie que de faire le lit de Navin Ramgoolam. Bérenger veut pouvoir modeler le pays à sa manière, laisser sa marque, changer le rythme du Gouvernement, mener tout le monde à la baguette et s’imposer au PTr. S’il veut bien accommoder partiellement Ramgoolam, l’ambition du leader MMM reste sans limites.

 

Or, autre cause de rupture, le PTr ne va jamais docilement satisfaire les ambitions bérengistes. Ramgoolam voudra toujours conduire la musique même s’il est prêt à partager un peu de lumière avec un allié. Sir Gaetan Duval m’a, un jour, confié : «Tu sais pourquoi j’ai finalement été accepté par le Parti Travailliste et son électorat ? Parce qu’après 1968, je me suis contenté de l’Oscar de ‘Best Supporting Actor’, en laissant à Sir Seewoosagur celui de ‘Best Actor’. Bérenger, lui, ne sera jamais accepté par le PTr parce qu’il voudra toujours l’Oscar de ‘Best Actor’ alors que les Travaillistes au mieux ne lui consentiront que celui de ‘Best Supporting Actor’. C’est comme ca que le Parti Travailliste fonctionne et qu’il te fait de la place».

 

Troisième fausse prémisse : la conviction cette fois des deux chefs que l’alliance pouvait être imposée «from top down», que celleci était d’abord et surtout leur décision, que l’opinion des autres ne comptait pas pour grand-chose, ni sur la réforme électorale, ni sur la deuxième République, ni sur l’alliance électorale. Le tout avec une choquante arrogance qui, ces dernières semaines, m’a rappelé l’inoubliable exhortation de Sir Kher Jagatsingh à Sir Seewoosagur Ramgoolam, au plus fort de la contestation boodhooiste : «Don’t you worry about them, Sir ! We arethe numbers. The others are only the decimal figures !»

 

Or, pour les deux leaders, la déconvenue est aujourd’hui cinglante. Ils découvrent qu’ils ne sont pas seuls dans l’affaire, que d’autres veillent au grain. D’autrepart, contrairement à 1995, il n’y a autour de la proposition d’alliance de 2014 aucun enthousiasme populaire mais, au contraire, un immense scepticisme et la perception que la politique à Maurice, de plus en plus, devient l’art du mensonge.

 

Et maintenant ?

Même s’il lui reste encore quelques cartes à jouer (gouverner avec une infime majorité ; tenter de faire revenir le PMSD ; convoquer le moins possible le Parlement), Navin Ramgoolam est aujourd’hui pris à son propre jeu, exposé aux pires chantages. Son alliance de 2010 s’est désintégrée et il se retrouve dangereusement seul. La perspective MMM semble s’éloigner. Dans son propre parti, à partir du moment où il a évoqué devant l’Exécutif rouge une alliance 50/50, avec en prime l’autorisation à Bérenger de «nettoyer», Navin Ramgoolam a ouvert les vannes de la méfiance devant un éventuel «sell out» des intérêts  Travaillistes sur l’autel de l’opportunisme. Le Mauritius Times déjà donnait le ton : «A 50:50 electoral alliance would effectively reduce the Labour Party to the status of Junior Partner … and this would amount to a powerless President». En même temps, pour la première fois, le Premier ministre s’est retrouvé tenu d’évoquer sa succession éventuelle à la direction du PTr et les prétendants (Boolell, Baichoo, Jeetah) n’ont que très moyennement apprécié le scénario proposé…

 

Quant à Paul Bérenger, au lieu de prendre la mesure du désastre des dernières semaines, il choisit une fois encore la fuite en avant pour faire oublier ses égarements. Sa trop rapide

tentative de se repositionner aussitôt comme le leader de facto de «toutes les Oppositions » s’est soldée par une véritable leçon d’humilité. Le MSM boude. Le PMSD ne se commet pas. Les autres entendent parler pour eux-mêmes. Paul Bérenger a peut-être devant lui une grande falaise à escalader pour restaurer son prestige entamé. Il ne ramène de mois de pourparlers que quelques modestes avancées pour la réforme électorale. Sa crédibilité publique est mise à mal par un électorat jeune, exigeant, impertinent, nettement différent de celui des premiers combats du MMM, qui estime ne rien devoir à ce parti. Paul Bérenger aurait tort de se réfugier dans le business as usual. Beaucoup de gens jugent qu’il a beaucoup de choses à se faire pardonner.

 

Pour le MMM, bien des questions désormais se posent : Qu’a-t-il gagné et qu’a-t-il perdu dans cet épisode ? Navin Ramgoolam souhaitait-il aussi intensément que Paul Bérenger une alliance? Ou alors, n’ayant pas obtenu, tôt dans la négociation, ce qu’il recherchait, Navin Ramgoolam s’est-il alors arrangé pour embarrasser au maximum le Leader de l’Opposition au finish, en organisant lui-même l’échec de l’alliance par d’incessantes remises en question ? Avec Bérenger déstabilisé et fragilisé dans l’opinion publique, le Premier ministre va-t-il maintenant tendre de nouveau la main au MSM pour des snap elections auxquelles le MMM n’est manifestement pas prêt ? 2010 revisited ?

 

Malgré les mises en garde, le MMM s’est-il à la fin fait piéger dans l’affaire par Navin Ramgoolam? Sir Harold Walter, le plus fidèle des fidèles de SSR, ne s’embarrassait guère en 1969 pour suggérer une réponsecanon à tous ceux que les manoeuvres pro-PMSD de Sir Seewoosagur déroutaient : «Mark my words, my friend : Every time the Old Man kisses an opponent, it’s the kiss of death !». Qui sait ? Navin Ramgoolam a peut-être été à bonne école…