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Cannabis : l’ignorance touche les plus hauts niveaux de l’État

2 juillet 2016, 08:42

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Les pays riches créent leur propre miracle économique avec le Cannabis sativa. Microsoft, le géant de l’informatique, comme annoncé par BBC News le 17 juin 2016, fait maintenant officiellement partie de ce secteur économique du gandia de USD 7 milliards du gandia en forte croissance aux États-Unis. Un secteur basé sur une utilisation récréative et médicale (excluant le cannabis pour l’industrie qui rapporte encore plus) ! Dans le Queensland, province tropicale d’Australie, le Cannabis sativa, du type utilisé pour l’industrie (pour les fabricants de textile, d’aliments pour humains et animaux, et même les fabricants de voitures et de nombreux autres secteurs industriels), a été expérimenté avec succès en tant que culture complémentaire dans les champs de canne à sucre pour la production de fibres industrielles parce que les marchés mondiaux post-COP 21 sont en forte croissance pour les fibres naturelles et parce que la plante enrichit le sol et se développe avec peu ou pas de pesticides. Qui s’y intéresse au sein du gouvernement mauricien ? Personne…

À Maurice, la plupart des dirigeants politiques plus âgés et parfois plus jeunes ne sont pas conscients que le nom botanique de Cannabis sativa L est donné par la science à deux types de Cannabis sativa L. Ils ne savent pas que la Mauritius Revenue Authority décrit officiellement le cannabis importé et exporté par Maurice comme «true hemp» et cite son nom botanique de Cannabis sativa L dans sa liste officielle des tarifs douaniers mise à jour au 1er janvier 2016, parce que Maurice importe et exporte du cannabis «raw» et aussi traité, en dépit du fait que le Dangerous Drugs Act (DDA) impose un «blanket ban» sur ce produit.

Cette interdiction aveugle sous le DDA ne fait pas de discrimination quant à savoir si c’est le cannabis importé pour les secteurs de l’alimentation et du textile pour les humains et les animaux, ou en tant que produits de haute couture d’Armani, voire le cannabis utilisé dans les médicaments, dont ceux de la médecine ayurvédique, ou encore comme un intoxicant qu’on fume ou qu’on boit ? Il n’existe aucune distinction légale comme il en existe dans les législations de grands producteurs de cannabis industriel comme les États-Unis, la Chine ou la France.

Demandez à n’importe quel député ou ministre qui porte des produits de haute couture Armani s’il ou elle est conscient/e qu’il/elle peut bien être vêtu/e d’une chemise ou d’une robe faite de cannabis et qu’il/elle en mange ou en boit au petitdéjeuner. La réponse pourrait être oui, je l’espère, à la suite des récents articles très informatifs à ce sujet dans l’express. Mais, demandez à cette même personne si le chanvre est officiellement classé comme Cannabis sativa par le département des douanes du gouvernement et la MRA, il/elle va vous dire «non, pas vrai» !

L’ignorance ne tuant pas, il n’en est pas moins vrai qu’une personne qui importe du Cannabis sativa d’Europe a été arrêtée et accusée, selon les journaux locaux, sous le DDA, dans l’indifférence totale des législateurs mauriciens. La police n’a pas dit si c’était des graines de cannabis utilisées dans tous les pays du monde comme nourriture pour oiseaux ou du cannabis pour fumeurs.

En Australie, le gandia promet un miracle ou boom économique dans l’industrie de la canne à sucre. On n’en sait rien à Maurice, surtout au gouvernement pour qui le projet de miracle économique est d’abord et avant tout fondé sur les «smart cities». Je suis d’accord avec les «smart cities», mais nous devons aussi apprendre des pays riches pour lesquels le miracle économique se fait aussi dans l’agro-industrie. Le journal australien Rural écrit : «Some cane growers are hoping the possibility of new laws allowing medicinal cannabis to be legally cultivated and manufactured could improve soil health and boost profitability. State Cabinet will consider draft legislation to provide therapeutic marijuana to Queensland patients, and some Mackay cane growers have shown interest in getting an industry up and running in the tropical north.» À Maurice, les planteurs abandonnent les terres de sucre, avec environ 12 000 arpents déjà laissés sans surveillance.

Nous avons un Premier ministre qui répond automatiquement, à la simple mention du mot «cannabis», à l’intérieur et à l’extérieur du Parlement : «Tant que je serai Premier ministre le cannabis sera interdit à Maurice et je n’ai pas l’intention de modifier le DDA en ce qui concerne la définition de cannabis.» Le ministre de la Santé répète béatement la même chose partout où il va, y compris devant la Commission d’enquête sur la drogue. En tant que membre de l’exécutif, légiste et législateur, il aurait dû, le moins qu’on puisse attendre d’une personnalité à ce niveau de l’État, être capable de discerner entre cannabis industriel et cannabis fumé et consommé dans les boissons et de se documenter à ce sujet. Je parie qu’il n’a même pas lu les reportages plus informés que lui, publiés dans l’express, sur le chanvre.

Mon point de vue est que l’opinion gouvernementale et du Cabinet ministériel est mal informée, mais je ne vais pas jeter le blâme pour cela sur les épaules du Premier ministre, parce qu’il a également dit, à une question que j’ai posée au Parlement, qu’il n’est «pas au courant» que Maurice importe le cannabis selon le même gouvernement et la MRA, et que Maurice en exporte selon une brochure de promotion d’Enterprise Mauritius à des foires internationales, dont j’ai une copie. Le Premier ministre est tout simplement mal conseillé et c’est extrêmement grave pour le pays.

Il y a comme une épaisse fumée autour de la question du cannabis à l’île Maurice ! Sur le plan international, la pratique de tous les gouvernements est de faire la différence dans leur législation entre deux types de cannabis. L’un est le Cannabis sativa L utilisé à des fins industrielles. L’autre est le Cannabis sativa L qui est utilisé à des fins médicales ou consommé comme gandia.

Les deux étaient légalement autorisés, importés, distribués et vendus dans les boutiques et les pharmacies à Maurice de 1883 à 1934, sous un contrôle très strict du gouvernement selon l’ordonnance no 25 de 1883 qui avait été adoptée par le Conseil de gouvernement à Maurice et approuvée par la reine Victoria, je cite, «pour permettre et réglementer l’importation et vente de gandia». Quand le cannabis a été interdit à Maurice, par l’Ordonnance no5 de 1934, notre Premier ministre était encore un bébé, mais il a dû humer l’odeur du cannabis qu’on fumait et qu’on buvait légalement à l’époque à travers tout le pays. Nos ancêtres venus de l’Inde, nous apprend la professeure Gurib- Fakim, avaient introduit le gandia à Maurice pour le fumer, le boire et pour se guérir de diverses maladies. On achetait les pouliahs de gandia soigneusement gardés et pesés par les services du gouvernement, sous un contrôle extrêmement strict par la Gandia Ordinance.

Quand le cannabis a été interdit à Maurice, par l’ordonnance no5 de 1934, notre Premier ministre était encore un bébé, mais il a dû humer l’odeur du cannabis qu’on fumait légalement à l’époque.

Je veux, en tant que membre de l’Assemblée nationale de Maurice, aider à informer correctement l’opinion publique et l’establishment politique. Je vais utiliser le nom gandia juste pour le distinguer du cannabis industriel, bien que les deux indiquent botaniquement la même plante, seulement différenciées dans les lois européennes et américaines comme celles d’autres nations par leur teneur en l’ingrédient psycho actif appelé THC (tétra-hydro-cannabidiol). Vous ne pouvez pas, aux États-Unis, poursuivre pénalement quelqu’un sans utiliser la preuve légale que le cannabis saisi sur lui a plus que la limite légale de 0,3 % de THC.

La loi française, selon la Fédération de producteurs de chanvre de France, met la limite à 0,2 %, tandis que la Jamaïque a modifié sa loi sur les drogues dangereuses en 2015 pour mettre la limite à 0,1 %.

Voilà pourquoi, en tant qu’avocate, je pense que, désormais, la police perdra tous ses cas concernant le gandia devant les tribunaux, le Forensic Science Laboratory ne trouvant pas nécessaire de faire la différence entre les deux types de Cannabis sativa L. Et que c’est aussi la raison pour laquelle je demande au Premier ministre, même s’il n’est pas intéressé de savoir quoi que ce soit au sujet du boom économique de plusieurs milliards de dollars de l’industrie renaissante du gandia aux États-Unis et au Canada (et qu’il a dit qu’il ne veut pas modifier la loi à Maurice pour une distinction fondée sur la teneur en THC de tout Cannabis sativa), il faut que nous justifions tout au moins l’inclusion du Cannabis sativa L «du gouvernement» dans nos règlements douaniers.

POUR LE CHANGEMENT

Maintenant, voici un peu d’histoire à propos du gandia. Toutes les voiles et tous les cordages de la Royal Navy étaient jadis fabriqués à partir de la meilleure de toutes les fibres, celle du cannabis. Le Royaume- Uni était alors, au 19e siècle, le plus grand négociant d’opium et de gandia jamais vu dans l’histoire du monde. Les Britanniques ont combattu les fameuses «guerres de l’opium» au 19e siècle pour forcer le gouvernement chinois à accepter l’opium vendu par les marchands britanniques. Presque tout le papier dans les pays riches et les tissus de leurs industries textiles étaient fabriqués à partir du cannabis. La Constitution américaine a été écrite pour la première fois sur le papier de cannabis. Les premiers présidents américains cultivaient du cannabis appelé «chanvre» ou «vrai chanvre» (true hemp) pour utiliser un terme employé aujourd’hui par le gouvernement mauricien et Statistics Mauritius.

À Maurice, la Gandia Ordinance de 1883 a été adoptée comme expliqué au début même du texte de loi comme suit : «WHEREAS the operation of the law hitherto prohibiting the importation and sale of Gandia has not been satisfactory; and it is considered expedient to authorise the importation and sale of the said drug under certain conditions… » En fait, cette loi est rédigée en plusieurs articles et impose des conditions très strictes.

Seule la culture de gandia n’avait pas été autorisée parce que les Britanniques avaient prévu, et ont réussi à faire de l’île Maurice et de plusieurs autres colonies insulaires, des sugar monocrop economies, comme les historiens britanniques ont découvert, de manière à protéger les raffineries de sucre britanniques qui étaient au bord de la faillite en raison de la concurrence étrangère. L’historiographie mauricienne ne met pas l’accent sur cette motivation de Londres, sauf dans un livre sur l’histoire de l’entreprise privée à Maurice intitulé «In Search of Excellence», publié il y a deux ans. Les Britanniques ont tué à Maurice une diversification agricole et économique qui avait été un succès depuis La Bourdonnais.

Le Sénat canadien a publié un volumineux rapport en 2002 décrivant comme «raciste» l’interdiction du cannabis par la Société des Nations en 1925, à l’initiative du Royaume-Uni et des États-Unis. Cette interdiction a détruit les agro-industries du gandia du Tiers-monde, dont l’Inde et le Mexique. Le 2 avril 1925, même les députés à la Chambre des communes ont protesté avec véhémence à l’heure des questions parce que l’interdiction allait ruiner les commerçants et boutiquiers britanniques qui vendaient alors, je cite ici le Hansard du Parlement anglais, «des millions d’articles» en cannabis.

L’Inde a refusé après son indépendance de signer l’interdiction internationale sur le cannabis jusqu’en 1985, quand elle a néanmoins maintenu la vente de «bhang» par des boutiques publiques à partir des feuilles vertes de la plante. L’Inde a ainsi, heureusement, protégé ses grandes productions pharmaceutiques industrielles et traditionnelles, en particulier pour les médicaments ayurvédiques, qui utilisent beaucoup de cannabis et même exportent ces produits vers Maurice à nos services hospitaliers ayurvédiques publics.

Les personnes nées au 21e siècle vont voter pour la première fois en 2019, en s’ajoutant à ceux qui sont nés dans les années 1990. Avec le changement de générations, nous espérons que les choses changeront pour le meilleur. Je ne réclame pas la décriminalisation du gandia, mais j’ai demandé dans des PQs au Premier ministre s’il commanditerait aux scientifiques et aux économistes mauriciens des études scientifiques et économiques indépendantes sur le gandia. Il m’a répondu par un non catégorique.

Alors, qu’on fasse le miracle économique à notre manière et que les pays riches continuent à s’enrichir de l’industrie du cannabis jusqu’à ce que…