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Vinesh Hookoomsing : « La créolité version mauricienne s’enferme et se fige »

18 décembre 2011, 11:19

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Vinesh Hookoomsing, linguiste et auteur de plusieurs livres sur le kreol, est d’avis qu’il faudrait abolir toutes les catégories d’appartenance ethnique pour que le Mauricien arrive à se sentir Créole avant tout. Selon lui, cela ne risque pas d’arriver aussitôt.

Vous étiez l’intervenant principal à la conférence d’ouverture du Festival kreol de Rodrigues, au moment où l’île était secouée par le débat autour du kreol morisien à l’école…

Comme je l’ai dit dans l’Express de Rodrigues qui m’avait interrogé à ce sujet, nous sommes, à Rodrigues comme à Maurice, à la veille d’un événement historique qui est l’entrée du kreol à l’école comme une langue écrite, une langue à part entière et de plein droit. Il est donc normal que cela provoque des appréhensions surtout chez les parents qui ont choisi l’option kreol pour leurs enfants. Au terme de leur formation intensive, les enseignants-stagiaires s’interrogeaient et m’interrogeaient sur le premier jour de la rentrée : l’accueil au sein de l’école, le regard de leurs collègues, des parents et de leurs enfants. Quant au débat autour du label mauricien ou rodriguais, il est plus politique et tend à exploiter le vieux fond des rapports conflictuels entre Maurice et Rodrigues.

Les Festivals Kreol dans les îles de l’océan Indien, et ailleurs, que vous connaissez bien, sont des moments de valorisation de la langue et de la culture créole. Celui de Maurice l’est également, ou est-il plutôt célébration d’une spécificité ?

Les deux aspects sont liés. Il y a trente ans, les Seychelles sous régime révolutionnaire avaient organisé la première Semenn Kreol pour montrer au monde – au monde créole en particulier – que la langue et la culture créole seychelloise avaient désormais un statut national et officiel. Maurice, elle, n’a pas connu de révolution nationaliste, malgré le fort mouvement contestataire des années post-indépendance. Elle a choisi l’option multiculturelle d’unité dans la diversité, qui d’ailleurs correspondait davantage à la configuration socioculturelle du pays. Il était donc prévisible que tôt ou tard, que la logique de cette option déboucherait sur la reconnaissance de la langue et la culture créole. Le Festival Kreol de Maurice tire sa rationalité, tant sur le plan du contenu que du symbolique – notamment le profil des représentants de l’Etat – de cette logique de représentativité.

Pensez-vous qu’un jour, le Mauricien se considérera avant tout Créole au lieu de mettre en avant son appartenance ethnique ?

Je ne le crois pas. Tout simplement parce qu’en faisant du créole un concept ethnique, le Mauricien ne fait que légitimer, donc perpétuer, l’appartenance ethnique. La créolité version mauricienne s’enferme et se fige. Quand l’appartenance ethnique deviendra caduque – car on n’arrête pas l’évolution, surtout à l’ère de la mondialisation et de l’internet – le Mauricien se dira Mauricien tout court, sans label préfixé. Rappelons-nous la boutade du Premier Ministre lorsque le Président de la toute nouvelle Fédération Créole Mauricien lui demandait de remplacer Population Générale dans la Constitution par Créole. Il avait répondu en substance : changer la Constitution, c’est si compliqué – il faut une majorité de trois-quarts ! – alors, s’il faut le faire, pourquoi ne pas en profiter pour en finir une fois pour toutes avec les catégorisations ethniques et se proclamer Mauricien tout simplement ?

Venons-en à la langue kreol à l’école et à la problématique de la préparation du ‘Kurikulum’. En tant que président de l’Akademi Kreol Morsien, que répondez-vous aux appréhensions exprimées, à un mois de l’entrée à l’école de la langue kreol ?

Soyons clairs sur ce point : la préparation des documents et manuels pédagogiques et la formation des enseignants, relèvent du ministère de l’Education et du MIE. Aux appréhensions rodriguaises, le ministère et le MIE se sont efforcés de répondre adéquatement à travers des consultations avec les instances rodriguaises. Aux propositions socioculturelles mauriciennes, ils ont procédé de la même manière.

Propos recueillis par Karen Walter