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Trois voix féminines parmi les livres

11 août 2003, 00:00

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Libraires : selon La Voix des Libraires, organe du Syndicat de la Librairie française, dans sa livraison de juillet 2003, les libraires de grandes surfaces spécialisées ont enregistré un taux de 70 % de création de nouvelles implantations contre 30 % chez les libraires indépendants.

Editeurs : par ailleurs, dans le monde, le nombre des éditeurs, la plupart souvent modestes mais pas moins efficaces pour autant, connaît du circuit des grands salons du livre aux expositions-ventes en province, une fluctuation jugée positive. Un phénomène qui s?explique par le besoin de plus en plus avoué de s?exprimer par l?écriture, tous genres confondus, et qui s?accompagne d?un développement sans cesse accentué des techniques du livre.

En littérature, le roman une fois comptabilisé, on constate un regain d?intérêt notable dans deux disciplines : on écrit et on lit de plus en plus poésie et nouvelles. La première disposition remonte à des temps immémoriaux, alors que la nouvelle, forme d?écriture aux critères particuliers qui la distingue du conte ou de la fable, prisée par les auteurs anglo-saxons, est d?origine relativement plus récente. Mais il n?y a pas que chez les auteurs que ça bouge. Un autre constat vaut son pesant de parution, celui de l?heureuse prolifération chez les éditeurs. Je ne retiendrai qu?un exemple parmi beaucoup d?autres.

La maison d?édition Le Carbet existe depuis 1999, mais commence à publier en 2001. A ce jour, elle compte une dizaine de titres à son actif. Détail important : ses spécialités sont la poésie, le théâtre et le conte, et elle privilégie les auteurs venus d?Afrique, des Caraïbes et de l?océan Indien. Il n?empêche qu?elle est aussi ouverte aux auteurs étrangers de cultures autres que celles des zones nommées. Les animateurs des Editions du Carbet considèrent que la diversité est une richesse à fluer libre sans digue ni barrage. Mises à part leurs propres contributions diverses et variées, les Editions en question profitent du soutien financier du Centre National du Livre de Paris associé à la Librairie de l?Outre-Mer, ce qui permet de prévoir la diversification de leurs activités vers l?organisation de manifestations de culture noire dans les milieux scolaires : spectacles vivants, réalisation de films et de documentaires de facture professionnelle. Un Festival International de Poésie est prévu tout au début de 2004, pour fêter le Bicentenaire de l?Indépendance de Haïti et en hommage au récent 90e Anniversaire d?Aimé Césaire, avec récital de poésie dans les salons de la Ville de Paris et au Théâtre André Malraux à Sarcelle. Tous ces détails pour vous dire les chances d?ouverture que représente la création d?une maison d?édition de cette nature?

Une ouverture propice aux poètes et aux auteurs de théâtre des Mascareignes. Je m?en porte garant. Une ouverture déjà à l?oeuvre dans sa diversité. Preuve en est le trio de poètes féminins : Matie Sunahara, Susanna Licheri et Ansaf Ouazzani, que je salue plus loin, pour encore souligner la présence de la poésie, sa gravité et ses fêtes.

Poésie : don impalpable mais combien réel quand il nous inonde au point de nous rencontrer nous-mêmes, au plus sensible de notre identité, en d?autres mots, de nous reconnaître sans besoin de miroir, tels que nous sommes, plus riches que nous pouvons le soupçonner. Poésie notre nom propre?

Poème, langage pour parcourir les ?chemins? vers l?imaginaire, comme dans le cas de mon vieil ami Georges-Emmanuel Clancier de qui François-Jean Authier, de l?équipe rédactionnelle de

Poésie 1, dit : ?(Il) revient aux sources pour inventorier les traces où l?oeuvre n?a de cesse de s?expliquer elle-même, c?est-à-dire de se déplier par ses propres ressources, qui ne sont pas celles de l?abstraction?? : ?nous parlions tout à l?heure de notre réalité à chacun, que la poésie touche et bouleverse??

Et je reviens aux trois femmes poètes, cette fois pour les entendre, non en traduction, mais en originel français, leur langue d?expression. En rang alphabétique inverse :

La Japonaise Marie Sunahara. Elle pratique la forme traditionnelle du haïku et nous prévient : ?Le haïku est le poème japonais de dix-sept syllabes au rythme de cinq-sept-cinq. Il faut employer un mot ou une expression qui évoque la saison. Du point de vue formel, mes poèmes ne sont pas du haïku. Cependant, je suppose que l?esprit du haïku vit en eux, et s?exprime tout seul en français comme si l?esprit se libère en cassant sa propre forme. Un arc-en-ciel invisible lie les niveaux différents ? le concret à l?abstrait. Ainsi le poème concis peut être un torrent silencieux??

Marie Sunahara : Trois poèmes-haïku extraits de son recueil

Blanc de l?ombre :

?Un contentement

Sans langue

Il est plus calme

De parler

Avec soi-même

Rose blanche

La pudeur translucide essaie

De ressembler aux feuilles

Plutôt qu?être certaine

D?elle-même

Soleil sans soleil

Chaque fois que mon coeur saigne

Du rouge s?accumule

Erode les cloisons

Faut-il souffrir plus

Pour accueillir un soleil ?

La chapelle est encore plus petite

Le ciel qui était si ample

Est avalé

Par le silence de l?océan

Il ne reste plus

Rien

Mon coeur est en feu??

Susanna Licheri, née en Sardaigne où elle a grandi, fait ses études et donné ses premiers récitals de poésie. ?Amoureuse de la France, elle a collaboré à la revue Le Matin déboutonné, puis publié le recueil Les soirs de veille chez Le Pli?. Notre planète avec ses coutumes sont l?essentiel de la poésie de cette insulaire sarde qui ne se soumet pas à l?infériorité imposée aux femmes de son pays. Elle s?interroge et son interrogation, en fait, bouscule déjà le prétendu ordre des choses. Avec une certaine morgue?

Un extrait de Valises marines, recueil de Susanna Licheri :

?A quoi sert/ton corps de femme/aux énigmes convoitées/si c?est un corps/en pâture à l?homme/affamé d?évidences/désir orageux/ promesses/compromis?

Alors que l?oeil patauge/dans l?envie d?amour/alors que ta beauté/ne te sauve/des caresses rugueuses/alors que meurt en toi/l?illusoire Autre.

A quoi sert ton corps de femme/si ta pauvre sagesse/répète l?erreur de chair/si le long enlacement/n?est qu?étreinte de sable/peau glissante/suintant le mépris.

A quoi sert/ton sexe de femme/s?il étouffe sous le poids/d?une verge toujours tendue/pour écraser le libre choix/s?il est réceptacle/de viols et de risées.

A quoi serviras-tu/si le mâle aveugle/gagne encore/et encore et encore??

Ansaf Ouazzani elle, est d?origine marocaine. J?avoue la lire pour la première fois. Poète de l?attente, de la déchirure et de la révolte, son beau visage est dans tout son regard penché sur on ne sait quel paysage à débusquer, comme pour appeler un monde, le sien, que sa poésie révèle par touches à la fois délicates et violentes. Un écho de noir cristal, mais aussi, quel éblouissement !

Un extrait de Mémoire, poème tiré du recueil de Ansaf Ouaz-zani : Fragments d?errances;

?Il est une rue qui descend/se tord au son d?une flûte/une rue/qui n?en finit pas de se jeter dans l?océan/de se déchirer en mille ruelles/pour s?éclater en portes fermées.

Il est une mélasse de mots/qui n?en finissent pas/de se visser dans la boue/sans espoir/sans secours.

Ils rient et gigotent dans une mort palpable/miroirs poussiéreux d?une mémoire implacable.

Ils me poursuivent/jusque dans le néant du sommeil.

Mémoire, mémoire/blessure vivante/qui n?en finit pas de se répandre/sur mon corps allongé/comme une vomissure/comme une flamme/ qui vient lécher sa victime/ encore et encore/pourquoi t?éteindrais-tu ??

Voilà ! le tour est fait, d?autres livres nous attendent, et c?est tant mieux?

Edouard J. MAUNICK