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Ma folle passion des livres

27 novembre 2006, 00:00

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Un jour, il y a de cela plusieurs décennies, j?ai rencontré le livre, et depuis, bon an mal an, selon les roupies que je grappillais avec peine ou sans, j?ai été et suis resté un accro de la chose. Emprunter, échanger, acheter, recevoir des livres me créditent d?une passion née avec la lecture et depuis jamais dédite. Ma bibliothèque existe bel et bien et que j?en suis fier. Une collection enrichie de milliers de volumes le long de longues années, depuis l?acquisition de mon premier livre acheté, à Port-Louis, rue Sir William Newton, à la librairie Sénèque disparue depuis. Je m?y rendais régulièrement, coupable du faux prétexte de la recherche d?un livre difficile à trouver. Amusé, le maître des lieux se prêtait au jeu, s?étant vite rendu compte de mon intérêt pour la littérature de création. Poésie surtout? Tolérant, en même temps qu?un tantinet intrigué, il consentait à me laisser feuilleter longuement, avec soin et appétence, certains ouvrages. Le bon Monsieur Sénèque a fini par me demander si je disposais de quelque argent. A vrai dire, je n?en avais que peu, n?ayant pas terminé mes deux années d?études au Teachers Training College de Beau-Bassin? Un samedi matin, d?une voix tranquille, il m?a proposé de choisir le livre que j?ambitionnais le plus de consulter le temps du week-end. ?Surtout, ne l?abîmez pas et ne manquez pas de me le retourner le lundi matin, sans faute?? La fête a envahi tout mon être. J?ai couru vers la rangée des cinq ou six exemplaires nouvellement reçus de la collection des Poètes d?Aujourd?hui publiée aux éditions Pierre Seghers. En fait le numéro 1 consacré à Paul Eluard? Marcel Cabon, en spécialiste avisé, nous en avait souvent parlé, au Cercle Rémy Ollier naissant. Plus tard, à la généreuse suite de Monsieur Sénèque, Marcel me laissera piller jusqu?à usure des yeux et des pages, ce Paul Eluard qui sera, après Cobweb Castle, un roman policier d?Anna K. Green, les touts premiers éléments de ma bibliothèque personnelle que j?ai promis de partager, au fur et à mesure, avec les Alliances françaises de certains pays francophones du sud, à commencer par celle de Maurice?

??Les livres (?), une passion née avec la lecture et depuis jamais dédite?. EJM

Pour en venir à Mémoriales, je reconnais établir et perpétuer avec certains des livres, à ma portée immédiate, de tels liens que leur relecture irrigue mon quotidien d?écrivain et, ici, de chroniqueur culturel. Ainsi, je cède volontiers à l?appel et au rappel de ce que je considère être, pour répondre à un détail évident, à savoir : mes auteurs préférés et leurs oeuvres?

Je pense instinctivement à William Shakespeare pour Hamlet et Macbeth (dans l?original anglais, éditions abondantes un peu partout dans le monde) : ?Life is but a shadow, a poor player that struts and frets his hour upon the stage and then is heard no more. It is a tale told by an idiot, full of sound and fury, signifying nothing?, vous me pardonnerez si la ponctuation n?est pas tout à fait exacte : je cite de mémoire? Shakespeare certes, mais aussi aux contemporains.

A toute l?oeuvre publiée du Martiniquais Aimé Césaire, chez Présence Africaine et au Seuil, dont Le Cahier d?un retour au pays natal :

?Eia pour ceux qui n?ont rien jamais rien inventé / pour ceux qui n?ont rien jamais exploré / pour ceux qui n?ont jamais rien dompté / mais ils s?abandonnent saisis à l?essence de toute chose / ignorants des surfaces mais saisis par le mouvement de toute chose / insoucieux de dompter, mais jouant le jeu du monde / véritablement les fils aînés du monde?? (Le Cahier?) ; aux Vingt poèmes d?amour et une chanson désespérée et à l?oeuvre poétique entière du Chilien Pablo Neruda, chaque fois admirablement traduite de l?espagnol, aux éditions Pierre Seghers, Caractères et Gallimard, entre autres ; aux poèmes de l?Anglais T.S. Eliot, dont Prufrock (1910) et Ash Wednesday (1930). Des pages que je ne cesse de relire, en anglais, à haute voix, quand je suis seul ou en public, surtout quand resurgissent, rien que pour leur pénétrante musique doublée d?heureuse nostalgie, ces deux lignes que répète Eliot comme pour encore allumer sa poésie déjà incandescente :

?In the room the women come and go Talking of Michelangelo.?,

(Prufock and Other Observations), c?est moi, pour une finie scansion, qui augmente la taille des caractères. De même, dans ma liste, je désigne le Gallois Dylan Thomas pour ses poèmes réunis en un volume, dont le célèbre Deaths and Entrances, (J.M. Dent & Sons, London, 1950), avec la douce puissance du poème inaugural qui commence ainsi :

?The conversation of prayers about to be said??.

A ce choix s?ajoute le Libanais Georges Schéhadé prodigue d?une oeuvre poétique à tout instant enchantée, qu?il s?agisse des Poésies (Gallimard), mais aussi de tout son théâtre dont chaque ligne obéit aux forces pures d?une poésie livrée à elle-même, c?est-à-dire totale, empreinte d?un bonheur sorcier quand le langage s?écrit en calligraphie inspirée. De ses pièces, de toutes, à l?exemple de La Soirée des proverbes, se dégage une atmosphère d?oxygène sans cesse renouvelé. Pour le plaisir, je vous cite ce bref extrait d?une lettre que Raoul écrit à Florence dans Chagrin d?amour, un impromptu en un acte, (représenté une seule fois le 30 avril 1938 au Quartier Général des Forces Françaises du Levant, publié dans Le Jour, puis dans les Cahiers de la Comédie Française, n° 16, hiver 1994, et enfin dans l?édition des Oeuvres complètes de Georges Schéhadé parue aux Editions Dar an-Nahar en septembre 1998) :

?Dans une petite gare de mon coeur j?attends le printemps et toi Florence !? Car tu es une vraie rose, plus précieuse que les rides du jardinier? (?) Je te quitte comme une image triste dans le fond de ma main, chère petite, pleine de bonnes choses comme les bibliothèques et les pâtisseries??, Dieu ! que je souhaiterais que Chagrin d?Amour soit monté au Théâtre de Port-Louis, au Plaza de Rose-Hill ou n?importe quelle autre salle de spectacle à Maurice ; il suffira d?incarner François, 24 ans, Jean, 21 ans, Gustave, 27 ans, Raoul, 23 ans et M. Topoloff, fourreur, 45 ans, et le tour est joué?

(A suivre?)

Pretoria, le 22.11.2006