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Le quartier de Bangladesh : entre rêves et désillusions

24 juin 2013, 00:00

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Le quartier de Bangladesh : entre rêves et désillusions

Le déchirement a été brutal pour ces familles qui voyaient en Maurice leur Eldorado. La réalité a été tout autre pour quelque 250 familles rodriguaises vivant en squatters dans cette région connue sous le nom de Bangladesh, à Tranquebar.

 

Ils sont venus de Rodrigues il y a une trentaine d’années, persuadés que l’herbe était plus verte à Maurice. Ils ne s’attendaient pas à ce que leurs rêves soient si vite brisés et leurs familles déchirées. Aujourd’hui, ces Rodriguais sont nombreux à habiter sur le flanc de la Montagne des Signaux, dans des petites cases disséminées çà et là. Il faut deux heures de marche pour arriver à celles qui se trouvent tout en haut.

Sans électricité, l’on se résigne à préparer les repas au feu de bois.

 

La grande majorité de ces habitants sont des squatters et près de 65 % d’entre eux n’ont pas l’électricité, poussant les familles à faire des connexions illégales entre les différentes maisons de fortune. S’ils ont l’eau courante, l’état des cases ne permet pas d’installer des douches, lavabos ou éviers.

 

À Bangladesh, pourtant, les habitations poussent comme des champignons. Quelques morceaux de bois sont assemblés en cubes, sur lesquels sont fixés quelques feuilles de tôle ramassées çà et là, ainsi que des tonneaux en métal aplatis – à peine de quoi se protéger du froid, mais pas de la pluie. Mais pour ceux qui arrivent en ces lieux pour la première fois, ce n’est pas ce qui frappe le plus. Ce qui saute aux yeux, ce sont les ordures. Elles sont partout. Les habitants, étant des squatters, ne bénéficient pas des services municipaux de voirie.

Vivant entourés de détritus, faisant une toilette sommaire avec un tuyau d’arrosage : l’hygiène laisse à désirer à Bangladesh.

 

Depuis qu’ils vivent à Bangladesh, les Rodriguais n’ont jamais su quoi faire de leurs ordures. Leurs solutions rapides pour «ne pas se retrouver sous unetonne d’ordures» ? «Nou metdife dan bann salte la», explique l’un des habitants. L’autre solution, c’est la fosse à ordures : un trou immense qu’ils ont fouillé eux-mêmes pour y jeter les détritus. Une solution qui devient source de tourment en période de grosse pluie : le trou se remplit d’eau et les ordures remontent jusqu’au niveau des maisons. La menace d’une avalanche d’ordures et de boue les guette alors, d’autant plus que les maisonnettes sont construites sur des terrains marécageux.

 

La frustration est encore plus grande pour certains car ils savent qu’après la construction d’une nouvelle route circulaire, d’autres squatters seront relogés. «Si ena bannskwaters dan lezot landrwakinn gagn lakaz kifer pa nou ?Akoz nou sorti Rodrigues», revendique haut et fort Amanda Victor l’une des porte-parole des habitants. Et d’ajouter que si certains croulent sous l’or, d’autres croulent sous les ordures. «Ceux qui viennentlà sont dépassés par ce qu’ilsvoient», explique à son tour Eric Mafat, travailleur social de la région. Il a longtemps lutté auprès du gouvernement pour que les intérêts de ces familles soient pris en compte. Les risques de contamination sont réels – un danger pour toutes les familles qui vivent là, certes, mais plus particulièrement pour les enfants et les personnes âgées. «Kanena gro lapli nou met molton ekdrap anba, nou dormi.»

Sur les terrains marécageux de la Montagne des Signaux, des eaux stagnantes et des amoncellements d’ordures…

 

L’autre danger, pour ces familles, est l’absence de connexion électrique convenable. Ce qui les force, une fois la nuit tombée, à vaquer à leurs occupations à la lueur des bougies, avec les risques que cela comporte : «Komiefwa nou bann zanfan zot seveinn pran dife, komie lakaz osiinn pran dife nepli res narien.Ena zanfan intelizan me zotpena ancadreman ki bizin ezot pa kav aprann dan nwar.Nou pa deman boukou zafer,zis ki zot donn nou kouran pounou zanfan kapav rant lakazan sekirite ek fer zot devwar»,lance une habitante de Bangladesh.

 

«Ena zour, nou bizin aste Rs 100 labouzi, li pa fasil, nou zis demann bann la donn nou couran». Quelques famillessont parvenues à établirdes connexions illégalesentre les habitations. À leursrisques et périls…Ces familles ont l’impressiond’être «plus bas que terre»,vivant en dessous du seuil depauvreté. Une situation qui nes’améliore pas avec le temps.Pire encore, malgré cesconditions de vie précaires, lenombre de familles installéesau quartier de Bangladesh semultiplie. Difficile d’estimer leur nombre exact…

 

La grande majorité des femmes de Bangladesh ne travaille pas : «Nou pa gagn travail.Ena zour nou al dormi sanmanze.» D’autres ont appris à se débrouiller avec les moyens du bord : «Kan pena narien pou manze nou kass bred mooroom nou fer enn bouyon ek noufer enne salad papay ver».«Ena inn grandi, inn marie inn gagn zanfan lamem»,ajoute Mari Diosy Begué, qui vit là depuis quinze ans. À 45 ans, Florise Azie vit dans une unique pièce avec ses quatre enfants, dont sa fille Neigeline, 18 ans, déjà maman. Sa fille, qu’elle envoie travailler – elle vend des légumes non loin de la gare – ramène à peine de quoi manger. Fleurette John, 46 ans n’est pas mieux lotie. Son premier mari est décédé : «Mo ena sink zanfan e enn tizanfan e nou pena lili narien.Nou met doub molton anba,ena swar mo somey kase mozanfan pe tramble kouma fey ;li dir mwa li pe gagn fre».

Un assemblage de poteaux, sur lesquels seront fixées quelques feuilles de tôle : c’est à cela que ressemblera une habitation.

 

N’ayant aucun endroit pour faire leurs besoins, les habitants ont construit des WC improvisés – çà et là des cases en tôle entourent des latrines, des fosses d’aisances qu’ils recouvrent de terre par la suite. L’hygiène laisse à désirer : bien qu’ils aient l’eau courante, les habitants de Bangladesh se douchent à l’aide de tuyaux d’arrosage.

 

Vivre dans un tel lieu comporte bien d’autres inconvénients. Lorsque quelqu’un tombe malade, les choses se corsent. «Pompie ek lambilans pa envi vinn ziskaisi nou bizin debrouy nou.» C’est en effet un vrai parcours du combattant pour celui qui tente d’atteindre une maison sans se tordre le pied. «Kan ti ena inondasyondelo inn sorti depi lor montagninn kraz bann miray.» C’est ce qui explique d’ailleurs les eaux stagnantes un peu partout et les tas d’ordures...

 

Dans la pénombre de la nuit, Bangladesh s’endort difficilement. La vie de ses habitants est mise entre parenthèses dès que le soleil se couche.