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Dakar novembre 2004 : suite & fin

13 décembre 2004, 00:00

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?nous ne sommes plus en agonie ce poids de chant sur nos épaules nous fait glisser d?ombre en lumière??EJM (En mémoire du mémorable)

Après quinze jours, je devrais pouvoir, ne fut-ce me distraire du contenu et du sens que revêtent pour moi ces journées sénégalaises de fin 2004. Mais non, elles perdurent, sans doute parce que marquées par des moments forts : ce que je cesse de prononcer autrement que dans des mots nés de mon instinct langagier et que j?épelle instants d?éternité. Après les salutations dûment adressées à chaque ouverture de séance, le littéraire et le culturel ont prévalu les cinq journées durant : poésie oblige. Une poésie venue d?horizons francophones divers et diversement exprimée par des auteurs qu?il sied de nommer pour bien avaliser l?initiative inspirée de Lamine Sall, militant acharné de la parole réconciliée. Il s?agit d?Ayoko Folly (Haïti), de Myriam Guilhot (R.F.I.), de Christine Martinetto (Italie), Michèle Paré (Canada), Cendrine Pedreira (France), Catherine Savart (France), Laurette Succar (Liban), Amedéepoé Adrien (Cameroun), Jules Dossou Gonin (Bénin), Alain Joule (France), Parviz Khazraï (Iran), Kouassi Octave (Togo), Joseph Ngoupou (Cameroun), Michel Thérien (Canada)? Dès le lundi 22, comme déjà mentionné dans Mémoriales de la semaine dernière, le Prix de Poésie de la MAPI (Maison Africaine de Poésie Internationale) a été remis à la Franco-Sénégalaise Nathalie Faye pour son recueil Les anges n?ont pas d?ailes qui mérite d?être cité à maintes pages comme ici : ?La poésie / S?est enfuie / De mes reins / Depuis que tu les as recouverts / Des draps décousus / De tes prophéties / Dans la tombe / Des souvenirs venimeux / attendent / de remonter / Vers le soleil / Longtemps si longtemps / Je n?avais que mon c?ur / pour te parler / Mes fleuves mes mythes perlés / se donnent à la lisière de mon amour?? Le mardi ce furent deux rendez-vous dans deux contextes différents mais mis au même diapason d?émotion : celui du Cours Sainte Marie de Hann et celui du cimetière de Bel-Air. Le premier tout en liesse, dans un immense espace végétal comme je vous l?ai décrit huit jours de cela, où évoluent 4 500 élèves de 54 nationalités différentes : une jeunesse de tous les espoirs, poreuse aux plus bénéfiques des influences et qui se rencontre, se parle, se mêle et se fréquente. Des centaines de voix d?enfants nous ont accueillis en scandant les mots paix et poésie / sans interruption, le temps de la moitié des escales sur notre parcours. J?ai plongé mes yeux dans les yeux de toutes celles et de tous ceux que je réussissais à toucher. Gestes désormais, pour moi, à ajouter au rituel, au sacré. Je n?ai jamais autant désiré réintégrer l?enfance, saison si chère à Senghor, retrouver des moments où tout l?être danse dedan deor enn sel comme nous savons le dire dans notre école insulaire mascareigne. Un long ruban tout en mouvement, une vague sonore finalement modulée en deux chants : Mille colombes et Donne la paix? J?entends encore les mots du poète Victor Emmanuel Cabrita, pur fils du Sénégal, directeur général du Cours Sainte Marie de Hann depuis sa fondation, qui, au terme d?une demi-journée festive, après avoir esquissé quelques pas unanimement applaudis de danse africaine, a exhorté l?ensemble des élèves ?à faire de leur vie une oeuvre d?art?? Deux jours après, lors de la cérémonie de remise du Grand Prix de Poésie Léopold Sédar Senghor, mon généreux ami Cabrita, sous les spots des Jardins de l?Assemblée Nationale, s?est avancé, pour, pudiquement ajouter à la sculpture taillée dans du bronze lourd me récompensant, une autre illustrant la maternité ? sculptures que collectionne mon épouse Jacqueline depuis de longues années ? taillée cette fois dans un bois précieux, léger et filiforme, bref, ?une oeuvre d?art? !? Deuxième moitié de ce mardi 23 : autre rendez-vous, autre lieu, mais aussi, je le redis, même charge d?émotion. Nous nous sommes tous rendus, poètes, public et journalistes, au cimetière de Bel-Air, en plein Dakar, rendre un hommage posthume au poète Senghor. Sur le marbre froid où il dort du grand sommeil des justes, dans la même tombe que son fils bien-aimé Philippe, la douleur l?emportant sur tout le reste, j?ai d?abord gauchement déposé une rose blanche que me tendait Amadou Lamine Sall, puis, d?instinct, j?ai pressé mon buste et tendu mes deux bras contre la dalle comme pour faire corps avec son ?uvre. Avec sa mémoire. Et j?ai pleuré. Oui, j?ai pleuré son irrémédiable absence, et chose étrange, dans un éclair aveugle, j?ai serré les dents de peine, mais de révolte aussi. Mon sempiternel refus de la mort. Je l?ai revu et en même temps que lui, une cohorte de poètes disparus dont j?ai partagé, à un moment ou à un autre, la compagnie quand ce n?était pas l?intime amitié. Rentrant du cimetière, j?ai retrouvé parmi les livres que j?avais emportés, des exemplaires à signer de ma dernière publication Brûler à vivre / Brûler à survivre, dans laquelle je reprends certains poèmes circonstanciels, réunis pour la première fois en volume dont Paroles pour un ami, écrit à Dakar, à l?occasion de l?anniversaire de L. S. Senghor, en octobre 1986. Poème augmenté de deux post-scriptum, le premier ayant trait à la disparition tragique de Philippe Senghor et le deuxième après le décès du poète Senghor. Je les ai relus viva voce, à la séance de fin d?après-midi, au siège de l?Association des écrivains du Sénégal ?Keur Birago? (la Maison de Birago Diop), tenue en hommage posthume à la poétesse Fatou Ndiaye Sow? Voici donc le 2e post-scriptum de mon poème Paroles pour un ami :? ?quand il est mort le poète? dit la chanson / et voilà que le poète ne meurt pas / ne meurt jamais / parce que son poème / dure et perdure / sa dictée d?alphabet nègre / et d?écriture chantée / son poème bruissant / de mer goréenne et de vague atlantique / toutes deux coupables d?amers voyages / mais qu?il a refaits / selon son propre portulan / contrariant la bave et les abois / ouvrant son c?ur à la connaissance du monde ! / ? voici que le poète ne meurt pas / qui a pourtant compté des millions d?exportés / et deux cents millions de supprimés / tous de chair d?ébène / tous de sueur africaine certes / mais il n?a jamais cessé d?appeler marchands / et tortionnaires / du dehors comme du dedans / d?hier et d?aujourd?hui / par leurs noms propres / scandant à la fois sentences et prières pour / les plus pourris d?entre eux / ah ! le don de pardon / de Senghor-fouilleur de lumière / malgré la nuit épaisse / poète à jamais / d?espérance tenace / de surabondant pardon / Il nous demande / par-delà le deuil et l?absence / Il nous commande de durer plus loin que le temps / pour que le monde n?ait pas existé en vain / plus particulièrement l?Afrique / lieu de genèse et de secrète réincarnation?? Je passe la journée du 25, dans les Jardins de l?Assemblée Nationale, pour enfin atteindre la journée du 26 avec la visite de la maison natale de Senghor à Joal. Encore une émotion indélébile; la maison elle-même certes. L?ordre des choses ayant composé le quotidien de l?enfance du poète? Le parage immédiat de l?île de Fadiouth, les silos de grains et le cimetière chrétien. J?ai raconté au maire de Joal, un homme plein d?attention, comment j?étais venu six fois dans sa ville, voir et revoir la maison mémoire de l?enfant prodige qui devait couronner ses jours en changeant son banc d?écolier sérère pour un fauteuil d?académicien au pays de France? Six fois dont une en compagnie du poète en personne, et j?attendais sans attendre, d?y retourner une septième fois à cause du chiffre 7, symbole avéré ou pas, peu importe, de la perfection, mais pour moi chiffre de toutes les audaces et signe rêvé de l?Utopie que j?ambitionne d?interroger comme l?on interroge l?arc-en-ciel? Ce dernier vendredi de novembre 2004, c?est chose faite? Les pieds nus des femmes de Joal, tissant dans la poussière des arabesques de vie, comme jamais vie peut se danser vivante, la poésie, une fois encore, m?a sauté aux entrailles comme une cantate sauvage conteuse de lumière. J?en frémis encore?

?Les pieds nus des femmes de Joal, tissant dans la poussière des arabesques de vie, comme jamais vie peut se danser vivante??

Edouard J. MAUNICK Pretoria, les 9, 10, 11.04.