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Essence de mauvaise qualité: l’étrange rencontre de Yogida Sawmynaden avec Vitol Bahrain en décembre 2019

23 juin 2021, 22:15

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Essence de mauvaise qualité: l’étrange rencontre de Yogida Sawmynaden avec Vitol Bahrain en décembre 2019

Alors que les résultats des analyses du carburant se faisaient attendre, la PNQ de samedi a révélé non seulement que les consignations de Vitol Bahrain contenaient bien du manganèse mais que l’exigence de moins de 2 milligrammes par litre d’essence de cette substance avait été enlevée. L’on se pose aussi des questions sur le déplacement de Yogida Sawmynaden à Paris, en décembre 2019.

On ne sait toujours pas si les dommages aux moteurs des voitures de plus de 3 300 Mauriciens ont bien été provoqués par le surplus de manganèse contenu dans les cargaisons d’essence d’octobre et novembre 2019 de Vitol Bahrain ou par toute autre substance. Le rap- port de Minton, Treharne and Davies Ltd, une compagnie britannique, prudent et confus, ne donne pas ces détails tout en soulignant que certaines marques de voitures auraient pu être plus vulnérables. D’autres analyses avec d’autres échantillons devront être effectuées. Les 3 300 propriétaires de voitures sont donc priés de patienter encore quelques mois….

Rencontre de l’ex-ministre avec le fournisseur à Paris

Cependant, au Parlement samedi, Soodesh Callichurn a apporté d’autres informations troublantes. Le ministre du Commerce nous a appris que c’est le fournisseur de ce carburant, Vitol Bahrain, qui a choisi et a payé la firme d’expertise britannique, «en consultation avec la STC (State Trading Corporation)». Le ministre Callichurn a confié également que Yogida Sawmynaden s’est rendu à Paris pour rencontrer des représentants de Vitol Bahrain: “…on 12 December 2019, a de- legation led by the then Minister of Commerce went to France to discuss with Vitol Bahrain E.C on the question of presence of manganese in the two consi- gnments...” Ce qui interpelle, c’est pourquoi a-t-il rencontré ces représentants avec lesquels la STC était en litige ?

Ces interrogations sont d’autant plus pertinentes quand on apprend de la bouche de Callichurn lui-même que l’exigence d’un taux de moins de 2 milligrammes de manganèse par litre d’essence a été enlevée en 2019 (ou 2016, ce n’est pas clair, Duval disant 2019 et Callichurn 2016) «par un officier à la STC». C’est pourquoi SGS, firme chargée de contrôler la qualité du produit embarqué, n’a rien vu d’anormal. Le ministre a parlé d’omission de l’employé de la STC mais Xavier Duval se demande toujours si cette omission était involontaire ou délibérée.

Le leader de l’opposition se pose d’autres questions: pourquoi avoir commandé à nouveau de Vitol Bahrain en février 2019 et ensuite, sous les procédures d’urgence, alors que l’essence était déjà suspectée d’avoir endommagé des moteurs ? Le prix payé pour ce carburant de qualité inférieure n’aurait-il pas dû être réduit de Rs 150 millions en raison de sa haute teneur en manganèse ? Le ministre Callichurn n’a pas été en mesure de répondre à ces interrogations.

Mission secrète ?

Il faut savoir que la question de la présence de Yogida Sawmynaden à Paris en décembre 2019 avait surgi dès le 8 juin… au tribunal de Moka, lors de l’enquête sur la mort suspecte de Soopramanien Kistnen. Me Azam Neerooa, du bureau du Directeur des poursuites publiques, a pu finalement faire Yogida Sawmynaden avouer qu’il avait rencontré l’hôtesse de l’air et amie d’enfance Neeta Nuckchhed sur le vol Paris-Maurice le 15 décembre 2019. Quand Roshi Bhadain a demandé à l’ex-ministre ce qu’il est allé faire à Paris, celui-ci a répondu «mission officielle», coupant court à toute autre interrogation. On vient donc, grâce à la Private Notice Question (PNQ) de samedi d’obtenir des informations que Yogida Sawmynaden n’a pas fournies au tribunal. Mais pas toutes.

Cette mission était-elle connue du gouverne- ment ? Et de la STC ? Qui a payé pour ce déplacement ? Il faut savoir que dans sa réponse à la PNQ du 14 février 2020, le ministre du Commerce d’alors, Yogida Sawmynaden himself, n’a pas pipé mot de cette rencontre de Paris. Pourtant, Arvin Boolell lui avait demandé toutes les informations à propos de l’essence de mauvaise qualité. Contacté, le Dr Ramchandra Bheenick, le président du conseil d’administration de la STC, trouve normal qu’un représentant de la STC et Yogida Sawmynaden rencontrent Vitol Bahrain pour tenter, dit-il, «de régler le problème».

Est-ce que l’ex-ministre Sawmynaden a «réglé» le problème de la mauvaise qualité de l’essence en acceptant ce rapport qui ne blâme pas Vitol Bahrain ? D’autres «problèmes» ont-ils été réglés en décembre 2019 ? Pour rappel, les commandes successives auprès de Vitol Bahrain ont été effectuées sans appel d’offres (et sans manganèse cette fois-ci) malgré la mauvaise qualité de l’essence fournie en octobre et novembre 2019.

Même le ministre Callichurn a trouvé cela sérieux lorsque Xavier Duval insistait que l’exigence de moins de 2 milligrammes par litre d’essence de manganèse était bien incluse dans l’appel d’offres de mars 2019 : “It is very serious. This document pertains to a tender which was cancelled, and then procurement was done through emergency procurement procedures after. Earlier, when I stated that there was no mention as regards the level of manganese, that reference was in respect to the contract allocated using the emergency procedures.” On aura donc enlevé l’exigence d’un taux maximum de 2 milligrammes de manganèse pour les commandes d’urgence. Il est manifeste des réponses volontaires de Callichurn qu’il ne veut pas endosser la responsabilité d’une décision qu’il n’a pas prise.

Concernant l’omission de l’exigence de moins de 2 milligrammes par litre d’essence, on nous informe à la STC qu’il n’y a aucune enquête en cours pour déterminer qui a enlevé cette exigence et pour quelle raison. Aucune enquête pour une telle omission même involontaire ? Réponse : «Cette omission n’a pas été faite à la STC.» Qui en est responsable alors ? Pour une fois, aucune enquête n’est en cours.

Ce n’était pas Jonathan Ramasamy…

Qui a accompagné l’ex-ministre à Paris le 12 décembre 2019 ? Soodesh Callichurn a répondu à l’Assemblée nationale qu’il y avait dans la délégation Jonathan Ramasamy, l’ex directeur général de la STC, et le secrétaire permanent (PS) du ministère du Commerce, Jaganathan Parasivam Rangan. Après la pause déjeuner, Soodesh Callichurn a procédé à une rectification : non ce n’était pas Jonathan Ramasamy mais le PS cité plus haut, la Commercial Manager de la STC, un représentant du State Law Office et un représentant de SGS Mauritius Ltd. Pourquoi cette confusion ? Rajanah Dhaliah venait juste de démissionner comme Chief Executive Officer de la STC et Jonathan Ramasamy ne l’a remplacé que la veille, soit le 11 décembre 2019. Les réponses au Parlement étaient fournies, semble-t-il, par le PS en question et la Commercial Manager venus assister à la PNQ. Ceux-là même qui formaient partie de la délégation du 12 décembre 2019.

Vitol Bahrain, un négociant connu pour ses pots-de-vin

Dans le cadre de l’opération bien connue «Lava Jato», au Brésil, à partir de 2014, la police brésilienne avait fini par découvrir, selon Reuters, que Vitol Bahrain a payé USD 8 millions (Rs 320 millons) de pots-de-vin, ou commissions, à quatre dirigeants de l’entreprise pétrolière brésilienne Petrobas. Comment ces commissions étaient-elles payées ? Eh bien, par le biais de firmes de consultants, de sociétés écrans et de fausses factures. Les noms de code utilisés pour les bénéficiaires «Batman, Dauphin ou Tigre». Le nom de piranha n’était pas utilisé. Vitol aurait aussi avoué avoir corrompu cinq autres dirigeants de Petrobras entre 2011 et 2014. En mars 2021, Vitol refait parler d’elle quand elle accepte de payer 30 millions de dollars (Rs 1,2 milliard) à la compagnie pétrolière mexicaine Petroleos Mexicanos comme compensation pour avoir corrompu les dirigeants de cette dernière. Pour rappel, Xavier Duval s’est référé à une autre rencontre : «… He (le minister Callichurn) should have referred to the previous PNQs replied here in this House, in that when they went to see Vitol Bahrain, it was following their tender being the lowest tender.”  Il y aurait donc eu au moins une autre rencontre avec Vitol Bahrain en dehors du problème de mauvaise qualité d’essence.