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André Bonieux: «MK ne peut être la propriété d’un parti politique...»

30 novembre 2016, 20:00

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André Bonieux: «MK ne peut être la propriété d’un parti politique...»

André Bonieux, Country Partner de PwC, trouve inacceptable qu’un membre du conseil d’administration d’une société cotée en Bourse puisse être choisi en fonction de ses affinités politiques… Selon lui, la révocation du CEO d’Air Mauritius, Megh Pillay reflète «le piètre niveau de gouvernance publique dans le pays».

Hormis le Mauritius Institute of Directors, aucune autre institution – telle que le National Committee on Good Corporate Governance (NCGCG) – n’a pris position contre la révocation de Megh Pillay de son poste de Chief Executive Officer (CEO) d’Air Mauritius. Pourtant, il y a visiblement eu une mauvaise application des principes de bonne gouvernance. Cela ne vous choque-t-il pas ?

Je ne sais pas si le NCGCG a fait une déclaration ou pas. Il me semble toutefois que la réaction de la presse et des politiques de tous bords a effectivement donné une idée précise de la position de la population par rapport au sujet.

Vous me demandez ce qui me choque : le manque de commentaire du NCGCG ou la mauvaise gouvernance chez Air Mauritius ? Je pense que la décision concernant Pillay à Air Mauritius reflète, hélas, le piètre niveau de gouvernance publique dans le pays. Alors que les responsables politiques et fonctionnaires doivent démontrer une intégrité absolue – ils sont après tout gestionnaires de biens publics – voilà qu’ils traitent une société cotée en Bourse comme la propriété d’un parti politique. C’est tout à fait inacceptable. Si l’actionnaire de référence, l’État en l’occurrence, traite une société qu’il contrôle de cette manière, qu’il rachète les parts minoritaires et une partie du problème sera réglée.

Même dans un Air Mauritius possédé à 100 % par l’État, de telles décisions resteraient un fait d’actualité, car nous sommes tous propriétaires des entités étatiques et avons des attentes légitimes par rapport à la qualité des gestionnaires en place et par rapport à leurs décisions.

Le cas d’Air Mauritius est venu démontrer une pratique qui peut potentiellement être une source d’instabilité pour la direction d’une entreprise, notamment quand un chairman se donne volontairement des pouvoirs exécutifs qu’il n’a pas, et ce, au détriment du CEO. Comment peut-on remédier à cette situation pour éviter d’éventuels conflits de personnalité à la tête d’une organisation ?

Selon les dispositions du code de bonne gouvernance, le rôle du CEO est très distinct de celui du chairman ou du président. Je m’attends donc à ce que le CEO soit responsable de la vision stratégique de l’entreprise que le conseil d’administration aurait validée dans l’intérêt des actionnaires, alors que le chairman s’assure que le board fonctionne de manière effective. L’un ne devrait jamais empiéter sur l’autre, même si les responsabilités peuvent parfois prêter à confusion.

Revenons au cas d’Air Mauritius ou autres entreprises dans laquelle l’État aurait des intérêts. Je trouve regrettable qu’un membre du conseil d’administration soit choisi en fonction de ses affinités politiques plutôt que pour ses compétences professionnelles. Ce n’est malheureusement pas le seul mauvais exemple à citer à Maurice, ce qui nous ramène à la case départ. C’est à ce point qu’on me traite de naïf et que les sages déclarent que ce sont les mœurs du pays et que rien ne peut les changer.

Il me semble toutefois que le pays est mûr pour accepter ce changement et que le politicien qui placera productivité, efficacité, mérite et compétence avant des considérations politiciennes – ce qui semblait être le cas avec Megh Pillay à Air Mauritius – aura le respect de tous et les votes de tous quand le moment viendra.

«Ce qui est légal doit aussi être éthique ou moral. Le «Companies Act» et le code de bonne gouvernance ne sont donc pas en contradiction.»

Estimez-vous qu’il y a actuellement une tendance à tout mélanger, soit les pratiques de bonne gouvernance au sein d’une entreprise et celles du «Companies Act» ?

Le Companies Act représente le cadre légal dans lequel une entreprise est tenue d’opérer alors que le code de bonne gouvernance définit les bonnes pratiques à adopter dans la gestion d’une entreprise. De ce fait, le code va beaucoup plus loin dans le détail que ne le fait le Companies Act. Une manière de mieux dire : ce qui est légal doit aussi être éthique ou moral. Les deux textes ne sont donc pas en contradiction mais bien complémentaires. Certains s’arrêtent au Companies Act, à leurs propres risques.

Après plus de 15 ans, ne pensez-vous pas que le Companies Act nécessite un toilettage, d’autant plus que selon certains spécialistes, cette loi a montré ses limites ?

Non, je ne le pense pas. Nous avons un Companies Act qui reste très moderne, offrant une grande flexibilité autour du montage et de la restructuration d’entreprises et de protection d’actionnaires minoritaires, etc. Les lacunes ont été comblées pas le Securities Act et l’Insolvency Act. La gestion des entreprises se situe aujourd’hui au niveau de plusieurs textes. Des améliorations sont toujours nécessaires – par exemple les Takeover Regulations sont en train d’être revues. Incorporer certains aspects du code dans le Companies Act ? Pourquoi pas ? Même si c’est le sujet du jour, ce n’est pas pour moi une priorité.

Le rapport de la Banque mondiale est venu épingler Maurice sur l’«Ease of Doing Business». Le pays a reculé dans le classement par rapport à certains critères, dont le temps qu’on prend, à Maurice, pour incorporer une compagnie. Estimez-vous que ces critiques sont justifiées ?

Écoutez, si nous examinons les documents de la Banque mondiale, il apparaît que les statistiques de Maurice n’ont pas évolué négativement mais que ce sont plutôt les autres qui se sont améliorés.

Il me semble que le monde entier est aujourd’hui conscient de l’importance du tableau Ease of Doing Business et que les pays se sont mis, comme Maurice il y a quelques années, à revoir leur copie. Après tout, celui qui n’avance pas recule. Les autres se sont-ils améliorés ? Sans aucun doute. Sommes-nous dans une situation inquiétante? Je ne le pense pas. Nous avons conservé notre classement de premier pays africain et cela reste important.

Rien n’est toutefois acquis et nos législateurs doivent garder en tête l’impact de nouvelles législations sur le cadre du business. Quelques mesures fiscales proposées cette année vont clairement nous faire dégringoler dans les années à venir.

PwC lance l’édition 2016 des «Best Published Accounts» ouverte aux entreprises de Maurice. Dans quelle mesure sera-t-elle différente des autres éditions ?

Pour l’édition 2016, nous ne pré- voyons pas de changer les critères de sélection dans les différentes catégories. Nous pensons fermement, chez PwC, que l’Integrated Reporting aboutit à une qualité de reporting nettement supérieure, dans le fond comme dans la forme. Nous voyons une nette différence dans les entreprises qui ont adopté l’Integrated Reporting et celles qui n’ont pas fait cet effort.

L’Integrated Reporting restera la base de notation du Corporate Reporting Award de 2016.

Pensez-vous que cette compétition est venue, au fil des années, sensibiliser les entreprises à la nécessité d’améliorer la qualité du reporting de leurs bilans financiers ?

Sans aucun doute. Nous voyons une nette amélioration, année après année, et tout cela est très encourageant. Nous n’aurions certainement pas continué l’exercice si nous ne ressentions pas la volonté des entreprises d’évoluer dans la bonne direction, en toute transparence. Cette compétition se tient généralement durant une période où tout le monde, chez PwC, est pris par des engagements professionnels. Mais l’importance de cet événement dans le monde des affaires nous motive tous à nous surpasser.

En fait, la qualité des rapports annuels s’est aussi manifestée par le volume des bilans financiers des entreprises. Certaines ont commencé à demander à leurs actionnaires s’ils préféraient recevoir les documents en version soft. Je pense que cela constitue un développement positif à la fois pour les actionnaires et pour l’environnement. J’ai une pensée spéciale pour les pauvres facteurs qui distribuent des kilos de papier à travers le pays !

Face à l’exercice d’amélioration, voire de professionnalisation de la présentation d’un bilan financier, certains actionnaires n’ayant pas une grande culture financière éprouvent généralement des difficultés à se retrouver au milieu d’une tonne de chiffres. Que répondez-vous ?

Voilà pourquoi nous croyons dur comme fer dans les principes clés de l’Integrated Reporting. Celui-ci opère selon huit principes clés et, personnellement, les deux plus importants sont la connectivité des informations dans le rapport annuel et l’écrit, qui doit être aussi bref et concis que possible. Ceci dans le souci de permettre à tout lecteur de se faire une idée exacte de ce qui se serait passé durant l’année écoulée, et surtout de la manière dont l’entreprise pourra continuer à créer de la valeur sur le long terme.

Pour avoir assisté plusieurs assemblées générales, je souhaiterais aussi mentionner que les actionnaires devraient mieux s’exprimer dans de telles réunions. Une question, ou un point de vue général, pourrait déboucher sur un débat où le management et le board pourraient alors mieux expliquer leurs opinions et décisions.

Le ministère des Finances s’est engagé à réformer le secteur public en se livrant à un exercice de méga fusions de certaines entités publiques. C’est une décision qui vous fait comprendre que le gouvernement «means business» ?

Non ! Revenez à ma première réponse et vous aurez mon opinion. L’épisode Air Mauritius a définitivement affecté l’image que le gouvernement «means business» ? Et c’est là, encore une fois, l’erreur fondamentale du politicien mauricien : privilégier le court terme et la chose politique. Mais, ne soyons pas que négatif.

Deux décisions me paraissent salutaires ces derniers temps. Premièrement l’abandon d’Heritage City ; et deuxièmement la décision d’exiger des plans de restructuration de certaines entreprises parapubliques. Pour avoir parlé au CEO d’une de ces organisations, les responsables auraient été placés au pied du mur – «reform or walk out». C’est là le ton d’un gouvernement qui «means business» et espérons que nous verrons de vraies réformes et de la productivité de la part d’employés payés des deniers publics, de même qu’un progrès au niveau de la qualité des services offerts. Time will tell – et je me répète : c’est sur ces progrès que les politiciens seront réélus, et non par du patronage politique.

Pour ce qui est des fusions d’entre- prises d’État, c’est une bonne décision mais ces fusions doivent s’accompagner d’une réduction de dirigeants, de cadres et d’employés, la productivité étant le maître mot. Je n’ai pas d’informations sur la vraie étendue des restructurations prévues. Seront-elles superficielles ou réelles ?

Tout laisse croire que le Premier ministre, sir Anerood Jugnauth cédera plus tôt que possible son poste à son fils. Du coup, on se retrouvera avec un nouveau ministre des Finances, le quatrième en deux ans. C’est loin d’être une source de stabilité pour le pays ?

Je ne pense pas que ce soit un problème. Le ministère des Finances a une équipe de fonctionnaires de grande expérience pour accueillir ce nouveau ministre et lui rappeler sa faible marge de manœuvre. Il arrivera bien sûr avec ses idées et, s’il lit cette interview, il saura vite qu’elles devraient être ses priorités !