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Sexe, mensonges et vidéo: parler (ou pas) de la présidentielle américaine aux enfants

20 octobre 2016, 08:20

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Sexe, mensonges et vidéo: parler (ou pas) de la présidentielle américaine aux enfants

Un candidat à la Maison Blanche accusé d'agressions sexuelles, qui reproche lui-même à sa rivale d'être mariée à un violeur. Comment parler de la campagne présidentielle américaine 2016 aux enfants quand celle-ci atteint ce niveau inégalé de violence ?

Parler ou pas de la campagne quand elle est sur tous les écrans, mettre les candidats ou non sur le même plan au nom de l'objectivité, organiser ou pas des parodies de débats sans attiser les tensions: parents et enseignants sont confrontés cette année à plusieurs dilemmes.

«La séparation des pouvoirs ne m'a été d'aucune aide ce jour-là», confie l'animateur de l'émission politique «Face the Nation», John Dickerson, quand il se retrouve dans sa cuisine avec son fils et sa fille adolescents pour parler du débat du 9 octobre entre Hillary Clinton et Donald Trump.

«Nous ne parlions plus de campagne présidentielle». «Je traçais dans ma cuisine la ligne la plus nette possible» entre «ce qui est criminel et ce qui est simplement lourdaud», explique-t-il sur le site de l'émission.

La diffusion le 7 octobre d'une vidéo où Trump tient des propos dégradants sur les femmes a fait monter d'un cran l'outrance de la campagne, devenue de facto quasi interdite aux mineurs. Une dizaine de femmes ont depuis accusé le candidat républicain de gestes constitutifs d'agressions sexuelles. Et Trump s'est défendu en accusant l'ex président Bill Clinton d'avoir "abusé de femmes" voire, selon ses partisans, de les avoir violées.

Parler des «idéaux»

Jane, la quarantaine, vient de déposer à l'école près de Washington ses jeunes enfants de 3 et 5 ans et ne veut pas les exposer à ces questions. «J'essaie de les éloigner de la télévision. Ils sont trop jeunes».

Une campagne présidentielle est de toute façon rarement suivie par d'aussi jeunes enfants. Marsa, une consultante de 38 ans, met pourtant un point d'honneur à discuter politique avec les siens, âgés de 6 et 8 ans, «mais plus des idéaux et pas spécifiquement des candidats», qui se sont distingués cette année par des attaques personnelles sans précédent.

«Nous parlons de ce à quoi croit chaque parti politique. Nous parlons des tactiques des médias», explique-t-elle à l'AFP.

Les enseignants ne savent pas non plus dans quelle mesure ils peuvent parler en classe de la campagne, plongée en eaux troubles depuis la diffusion de la vidéo de 2005.

«Beaucoup d'enseignants ont dit qu'ils n'en parleraient pas en classe et qu'ils parleraient d'autre chose», selon la directrice de Teaching Tolerance, branche de l'association de défense des droits civiques Southern Poverty Law Center, Maureen Costello.

En parler dépend en fait de l'âge des élèves, note cette ancienne enseignante qui recommande d'aborder ces questions avec des lycéens sous l'angle plus large du harcèlement, "comme une question de société, mais pas comme une question politique".

«Caricatures»

Dans une campagne classique, Mme Costello aurait, avec ses élèves, comparé les programmes et organisé des parodies de débat, comme c'est la tradition dans les écoles américaines, contrairement à la France où la politique est taboue en classe.

Mais cette année, elle suggère de se concentrer sur «une qualité journalistique clé: la capacité à vérifier les déclarations», et de ne pas organiser ces débats, à l'instar du hashtag #blockthemock (barrage à la parodie).

Les élèves risquent de tomber dans «des caricatures» et d'utiliser un langage normalement banni dans les salles de classe, affirme-t-elle. Ce qui n'est pas du goût de certains enseignants comme celui (conservateur) du compte @conservteach, qui dénonce une «idée terrible» de ne plus organiser ces débats qu'il juge «bénéfiques» pour les élèves.

Les enseignants sont déjà désemparés face aux propositions controversées de Trump (mur à la frontière du Mexique, expulsions de clandestins, interdiction d'entrée des musulmans) qui concernent directement leurs élèves issus des minorités.

En mars, quelque 40% des 2.000 enseignants interrogés par Teaching Tolerance affirmaient hésiter à parler d'une campagne qui a «généré un niveau alarmant de peur et d'angoisse parmi les élèves de couleur et attisé les tensions raciales et ethniques dans les classes».

Comment alors «rester fidèles aux principes de notre profession» comme l'objectivité, «sans pour autant banaliser le comportement et le langage utilisés dans cette campagne», se demande Mme Costello.