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Fièvre hippique au royaume du Lesotho

9 septembre 2016, 10:38

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Fièvre hippique au royaume du Lesotho

 

Loin d'Ascot et de Longchamp, dans une petite étable en tôle ondulée au cœur du Lesotho, Modikeng Tladi prépare le cheval qu'il montera aux courses du lendemain, un événement qui enflamme les villages de ce petit royaume enclavé dans l'Afrique du Sud. 

«J'ai eu très peur lors de ma première course professionnelle, il y a deux ans», raconte le jeune jockey en drapant une jument bai foncé d'un patchwork en toile de jute qui lui tient lieu de couverture.

«Maintenant je suis habitué, je n'ai plus peur du cheval, j'ai juste hâte d'y être», poursuit le jeune homme de 16 ans qui s'est forgé une réputation de cavalier émérite.

Il travaille comme berger pour Mohale Mpapa, fermier, éleveur de chevaux et président de l'association «Semonkong horse racing», qui organise des courses mensuelles pendant l'hiver austral. 

Au royaume du Lesotho, pas d'hippodromes élitistes, les chevaux sont restés ancrés dans la culture rurale et populaire.

Les éleveurs, des fermiers passionnés possédant quelques montures, croisent des pur-sang achetés en Afrique du Sud avec leurs poneys basotho, plus petits et moins rapides, mais mieux adaptés à la montagne.

Les courses en l'honneur de l'anniversaire du roi, en juillet, et de la fête de l'indépendance, en octobre, sont les plus prestigieuses.

Des centaines de propriétaires et d'amateurs, drapés dans leurs couvertures traditionnelles, se retrouvent sur une colline au milieu des montagnes pelées, avec un point de vue dégagé sur une piste en forme de fer-à-cheval, à peine délimitée.

Modikeng arrive à pied, tenant avec peine la fougueuse Kodi-a-Malla, deux fois plus grande que lui.

Une cagoule et une bombe ont remplacé son bonnet à pompon délavé, et des boucles d'oreille brillantes encadrent son visage d'enfant. 

«Paris et récompenses»

Son employeur s'est déplacé en pick-up, l'une des rares voitures dans une région où les chevaux et les ânes restent le principal moyen de locomotion. 

«Ces compétitions sont très importantes pour notre pays, commente Mohale Mpapa. C'est un divertissement, mais c'est surtout notre culture. Et tant que les garçons participent, ils ne sont pas tentés par des activités criminelles», ajoute-t-il.

Avant chaque course, les éleveurs font parader leurs chevaux au centre de la foule massée en cercle. 

Au milieu des invectives et des ruades, les spectateurs comparent les mérites de Caïn, 4x4 ou Jerusalem, en fonction de leurs géniteurs et de leur allure.

Puis ils parient entre eux, non sur le vainqueur de la course, mais sur le plus rapide entre deux concurrents choisis. 

C'est le moment des derniers conseils tactiques pour Modikeng, qui prend part à la troisième course, celle des chevaux de race croisée et jeunes. Mohale, concentré, vérifie les réglages de la petite selle et aide l'adolescent à enfourcher la jument.

En l'absence de stalles, aligner les chevaux derrière une ligne de départ invisible s'apparente à un rodéo. Après plusieurs faux-départs, ils s'élancent enfin pour de bon, suivis d'un long nuage de poussière.

Kodi-a-Malla ne peut faire mieux que quatrième, juste de quoi sauver l'honneur. 

«Tous les chevaux étaient très bons», relativise Mpapa, beau joueur, «et ma jument s'était blessée pendant l'entraînement. On fera mieux la prochaine fois!»

«Faire progresser la génération suivante»

Les quatre premiers jockeys reçoivent des récompenses, l'équivalent de 5 à 20 euros, aux cris de «hip hip hip, hourra» à chaque billet remis.

Mais, même victorieux, ils semblent ne jamais se départir de leur sérieux, alors que les proches des vainqueurs improvisent des danses triomphales à leur retour. 

Au total, 1.000 euros de prix sont distribués grâce à l'agence nationale du tourisme, à des entreprises locales et aux inscriptions (6 euros par cheval).

Jonathan Hales, propriétaire de chevaux et d'un hôtel à Semonkong, contribue financièrement et démarche d'autres sponsors pour que la tradition puisse perdurer, et surtout se professionnaliser. 

«L'avenir des chevaux du Lesotho passe par ces courses», explique-t-il. «C'est ici que les propriétaires peuvent observer et analyser les performances, et décider quels étalons et quelles juments peuvent faire progresser la génération suivante». 

De son côté, Modikeng a travaillé pour plusieurs propriétaires et, de victoires en paris gagnés, le jeune berger a empoché en une journée 50 euros, l'équivalent de 10 journées de travail. 

A l'arrivée d’une course, alors qu'il trotte aux côtés d'un autre jockey, un sourire fugace traverse son visage. Mais la concentration reprend vite le dessus: son rêve de posséder un jour, lui aussi, son propre cheval, va demander beaucoup de sacrifices.