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A Mexico, les écrivains publics font de la résistance

25 août 2016, 21:52

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A Mexico, les écrivains publics font de la résistance

 

Sur la place Santo Domingo de Mexico, les machines à écrire continuent de produire leur musique. José Edith Gonzalez le démontre en frappant avec force sur les touches blanches et noires de sa Smith-Corona portable sur laquelle il rédige aussi bien des documents d'achat-vente que des lettres d'amour.

Une poignée d'écrivains publics s'affaire ici sur d'antiques machines à écrire équipées de rubans d'encre qui ne sont plus fabriqués.

«Le travail n'a pas changé, seulement le volume», raconte cet écrivain-public de 78 ans, qui regrette la période faste où des files d'attente se formaient devant chacun d'eux, les obligeant à sauter les repas et à faire crépiter leur machine jusqu'à la tombée du jour. Aujourd'hui, ce travail est «bon pour travailler mais pas pour vivre», constate-t-il.

A l'extrémité de l'allée, Romel Jaimes, 61 ans, attend le client en lisant le journal sur ce petit stand hérité de son père, qui a pratiqué cet office pendant cinquante ans. «A 10-11 ans, j'écrivais déjà à la machine», raconte-t-il fièrement. Il fréquentait alors l'école primaire située sur cette même place du centre de la capitale.

Conscient que ce métier est en voie de disparition, il a diversifié son activité en effectuant également des petits travaux d'imprimerie, comme beaucoup d'autres ici, une activité dont va hériter son fils.

Conquistadors espagnols

Le métier d'écrivain public se pratique à Mexico depuis l'arrivée des conquistadors espagnols. Officiant à la plume, ces écrivains se sont établis au XIXe siècle sur cette place de Mexico, voisine de l'ancien Palais de l'Inquisition et du fameux Zocalo où flotte l'immense drapeau mexicain.

De leur longue histoire reste ce décret datant du 2 septembre 1537, qui fonde la confrérie des écrivains publics de la Nouvelle Espagne.

A une époque où l'analphabétisme était la norme, ce métier était indispensable. Et selon les données historiques, à la fin du XIXe siècle l'analphabétisme touchait encore 80% de la population.

«Des gens provenant de tout le pays venaient à Mexico pour travailler, il y avait beaucoup de lettres à rédiger pour leurs familles», explique Romel.

Autrefois, l'amoureux donnait une idée générale de la personne à laquelle il souhaitait écrire, du sérieux de sa relation avec elle, et l'écrivain public se lançait dans l'écriture d'une ardente missive. Aujourd'hui, seuls des journalistes lui demandent encore d'écrire des lettres d'amour, par curiosité.

Posture de soliste

Aussi bien Romel que José Edith ont appris à taper sur une machine classique, la Remington 16. «Elle était lourde, mais résistante», se souvient José Edith.

Ce dernier continue d'utiliser une machine mécanique portable. «On dirait un jouet», dit-il, même s'il avoue préférer sa vieille Remington qu'une hernie discale lui interdit désormais de transporter.

Avec l'arrivée des ordinateurs s'est achevée l'époque où les étudiants leurs apportaient travaux et thèses afin de les mettre au propre et au besoin d'en améliorer le style.

«Il y a des choses que les ordinateurs ne font pas, comme remplir un document imprimé», regrette Romel Jaimes, qui a opté pour une machine IBM.

Quand il écrit, José Edith adopte une posture solennelle de soliste, place la feuille près du tambour, puis frappe les touches avec puissance. Tous les 65 coups, retentit la petite cloche du retour chariot.

Mais plutôt que la mélodie allègre du compositeur américain Leroy Anderson, et sa célèbre «Machine à écrire»(1950), c'est davantage la musique grave d'un requiem qui se dégage désormais de la place Santo Domingo.