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«Je comprends mieux pourquoi les maris violents se sentent intouchables»

26 juin 2016, 18:09

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«Je comprends mieux pourquoi les maris violents se sentent intouchables»

«Après la semaine vécue, je comprends mieux pourquoi de nombreuses femmes battues préfèrent abandonner la partie et rester avec un conjoint violent tant les démarches administratives pour se protéger sont lourdes !» Agée de 34 ans, celle que nous nommerons Jane est l’exemple même de ce que vivent ces femmes victimes de violence domestique qui tentent de s’en sortir en recherchant un Protection Order. Alors que les élus débattaient, mardi dernier, des amendements à apporter à la Protection from Domestic Violence Act.

Jane a été ballotée à droite et à gauche par les services gouvernementaux, visiblement peu au fait des procédures. Mariée depuis neuf ans, elle a d’abord vécu avec son époux chez ses beaux-parents. Soupçonnée à tort d’infidélité, elle a été mise à la porte avec son enfant en bas âge et est retournée vivre chez sa mère à Curepipe. Jusqu’à ce que son mari vienne, deux mois plus tard, la supplier de lui revenir. Le couple et leur enfant ont alors emménagé dans une autre maison en location et ont mené une vie tranquille pendant trois ans. 

A la mi-mars 2016, le mari de Jane lui annonce qu’il est amoureux d’une autre femme et lui demande de quitter la maison. Elle fait valoir que c’est à lui de s’en aller. C’est ce qu’il fait. Elle se retrouve alors à s’acquitter seule du loyer et des charges. 

Mardi dernier, son mari débarque chez elle et lui jette au visage des accusations d’infidélité qu’elle nie à nouveau. Et elle lui rappelle que c’est lui qui est parti car amoureux d’une autre. Il se met alors à l’insulter, à la traiter de tous les noms et à se montrer menaçant. 

Elle a la présence d’esprit de téléphoner à sa sœur et à son beau-frère et de les mettre sur écoute. C’est ainsi qu’ils assistent, impuissants, à une scène d’une rare violence verbale et physique. Elle est giflée au point où ses lunettes de vue sont endommagées. Son mari la met même au défi d’aller porter plainte à la police avant de claquer la porte. 

Accompagnée de sa sœur et de son beau-frère, elle se rend au poste de police de Chemin-Grenier. Là, ils découvrent ce que Jane qualifie de «nonchalance policière». On ne fait qu’enregistrer sa plainte et lui donner un formulaire 58 pour qu’elle aille se faire examiner à l’hôpital de Souillac.

Elle essuie également un refus lorsqu’elle demande qu’on l’accompagne pour récupérer son enfant qui est chez ses grands-parents. Car, pour que son enfant garde contact avec ses grands-parents et son père, elle l’envoie régulièrement en week-end chez eux. Elle doit, lui dit-on, présenter un ordre officiel de la Cour. Et ne reçoit aucune indication de la marche à suivre. 

Le lendemain, elle se rend en Cour de Souillac. Là, on l’informe que les affaires de violence domestique sont du ressort de la Family Protection Unit (FPU). Elle met alors le cap sur ce bureau à Rose-Belle. Le fonctionnaire qui l’écoute l’encourage à déménager pour sa sécurité. Cela tombe bien puisque sa mère est disposée à l’accueillir.  Jane doit donc entamer des démarches en vue de transférer son enfant de son école à une école de Curepipe. A la FPU, on lui donne aussi un mémo à être présenté à l’école de son enfant pour obtenir le transfert de celui-ci. Sauf qu’à l’école, ce mémo est refusé. On la réfère à l’inspectorat de l’éducation à Rose-Belle. Elle retourne au poste de police de Chemin Grenier en vue d’obtenir un Protection Order et là, on la renvoie à la FPU de Rose-Belle…

A l’inspectorat, une autre paire de manches. Son mari doit aussi signer la demande de transfert de leur enfant vers une école curepipienne, lui dit-on. Et même l’intervention téléphonique de la FPU ne sert à rien. Le fonctionnaire de l’inspectorat est intraitable et réclame un ordre de la Cour certifiant qu’elle a la garde légale de son enfant. Elle doit donc se rendre en Cour suprême à Port-Louis. Là, elle apprend qu’il lui faut jurer un affidavit et par conséquent retenir les services d’un avoué et d’un avocat. 

Rs 25 000

Ce qui signifie qu’elle doit trouver Rs 25 000, au bas mot, pour cette procédure. Somme qu’elle n’a pas puisque son salaire de base est inférieur à Rs 10 000. Avec ses heures supplémentaires, c’est Rs 10 000 et des poussières qu’elle perçoit. Elle fait une demande pour obtenir une aide légale. Ce  qu’on lui refuse car, pour l’obtenir, il faut gagner moins de Rs 10 000. 

Complètement découragée, Jane décide de continuer à habiter seule dans le Sud puisqu’elle n’a pas les moyens d’obtenir la garde légale de son enfant. Elle finit par raconter son histoire à Anushka Virahsawmy, la directrice du bureau mauricien de Gender Links, qu’elle connaît. Ahurie par ce récit, celle-ci contacte la FPU qui accepte d’initier des démarches pour qu’elle obtienne un Protection Order. La directrice du bureau mauricien de GL contacte aussi la Child Development Unit (CDU) qui affirme que la FPU est mandatée pour émettre un mémo indiquant que l’enfant vit avec sa mère et qu’elle en a la responsabilité. Ce qui pourrait faciliter le transfert de l'enfant vers une école de Curepipe. 

Jane pense que les choses s’arrangent. Dans l’après-midi du lundi 13 juin, la FPU lui demande de se rendre en cour de Souillac le lendemain en vue d’obtenir un PO. Comme Jane s’est absentée plusieurs fois du travail, elle négocie  pour pouvoir se présenter en cour le mercredi, son jour de congé.  Va donc pour mercredi. 

Or, mardi après-midi, la FPU l’appelle pour lui demander pourquoi elle ne s’est pas présentée en Cour, alors qu’il était convenu qu’elle vienne le mercredi. Finalement, on lui demande d’être en Cour le jeudi avant midi.

Au jour dit, cette fois son nom n’est pas affiché sur le tableau indiquant les affaires à être entendues par le magistrat. La FPU qu’elle contacte déclare que son cas sera pris à 13 heures. Elle demande alors ce qu’elle doit faire pour le transfert de son enfant et la FPU la renvoie à la CDU. 

Comme elle a du temps à tuer avant sa parution en Cour, elle se rend au bureau de la CDU à Rose-Belle. Lorsqu’elle y arrive, elle reçoit un appel de la FPU qui l’informe que sa demande de Protection Order ne pourra être entretenue par le magistrat en l’absence du «OB number» de sa déposition. Heureusement que le policier du poste de Chemin-Grenier qu’elle a au bout du fil accepte de le lui donner. Reste l’histoire du transfert d’école pour son enfant. A la CDU, on ne parle plus de mémo mais on la réfère à la Cour suprême en lui demandant de se soumettre à la procédure d’Immediate Care and Control (ICC) qui ne nécessite pas l’assistance d’un avocat et d’un avoué. La voilà repartie pour Port-Louis.

En Cour suprême, on lui fait comprendre que les informations fournies par la CDU sont erronées et que la procédure ICC n’est initiée que dans les cas où l’enfant est en danger dans un environnement hostile et qu’il faut l’y retirer d’urgence. Une procédure qui n’a rien à voir avec son cas. De guerre lasse, elle retourne en Cour de Souillac. Et c’est munie de son «OB number» qu’elle obtient finalement un… Interim PO. 

Pour Jane, ces amendements à la Protection from Domestic Violence Act est donc un «drum vid». «Pourquoi la police n’informe-t-elle pas les femmes battues de la marche à suivre ? Pourquoi la FPU ne leur parle pas de leurs droits et des protections possibles ? Pourquoi n’y a-t-il pas de concertations entre la FPU, la police, la CDU ? Cette loi existe depuis 1997. Ces services ont eu tout le temps pour se concerter sur les cas. Vu tout ce que j’ai vécu en une semaine pour obtenir un simple Protection Order et le transfert d’un enfant d’une école à une autre, je comprends comment les femmes battues se découragent. Je comprends mieux aussi comment les maris violents se sentent intouchables. L’ironie dans tout cela, c’est que pour se marier, l’Etat civil ne demande qu’un timbre de Rs 25. Mais il faut débourser Rs 25 000 pour initier une procédure de divorce. Et encore ça, ce n’est que pour démarrer la procédure… », confie-t-elle, en soupirant.