Publicité

Nicolas Hulot:«Nous vivons tous sur une île perdue dans l’espace»

21 juin 2016, 08:27

Par

Partager cet article

Facebook X WhatsApp

Nicolas Hulot:«Nous vivons tous sur une île perdue dans l’espace»

 

Présent à Maurice dans le sillage du Women’s Forum, Nicolas Hulot, fondateur et président de la «Fondation Nicolas Hulot pour la nature et l’homme», nous livre ses impressions sur le naufrage du MV Benita, entre autres.

 

 

Vous avez sûrement appris pour le naufrage d’un pétrolier, le MV Benita, sur les récifs mauriciens. Vos impressions.

 

En effet, j’ai découvert cela à travers votre ministre de l’Environnement. Ça parait un phénomène un peu incroyable en termes de scénario mais ce qui prouve bien qu’il faut toujours envisager l’imprévisible. Visiblement, il y a eu une sorte de mutinerie ou d’altercation à bord. Ce qui est vrai pour un avion de ligne peut aussi l’être pour un bateau. Demain, on peut toujours avoir un avion qui va se précipiter sur une centrale nucléaire, ou un bateau qui va s’échouer sur des récifs. Ce, alors qu’on aura tout prévu. Parfois, ce qui est impossible est probable. Sinon, je vois que les autorités ont mis en place le processus pour contenir une éventuelle «marée noire» puisque, le bateau était, heureusement, à vide. Selon les informations disponibles, il y a une maitrise de la situation. Tant mieux. J’espère que les coefficients de marée permettront de déséchouer le bateau.

 

À propos de marées, la hausse du niveau de la mer à Maurice est deux fois supérieure que la moyenne mondiale. Risque-t-on de perdre nos plages ?

 

Pas que vos plages, mais aussi les coraux. En fait, si le changement climatique continue sur cette trajectoire asymptotique, c’est-à-dire qui ne s’affaisse pas, deux phénomènes vont se produire. Quand il y a le réchauffement, l’eau qui est stocké sous forme de solide dans les glaces au Nord et au Sud, va rejoindre l’océan, causant ainsi la montée du volume de l’océan. En même temps, quand la température monte, il y a aussi une dilatation de l’eau. Mais ce n’est pas tout. Le changement de température affecte la biodiversité marine et terrestre, ouvrant des champs d’expansion à des virus et maladies qui, jusqu’à présent, étaient cantonnés à des paramètres restreints. C’est un effet domino. L’enjeu est universel. Les îles ont peut-être une plus grande vulnérabilité, notamment les îles basses, mais aussi pour cette grande partie de la population mondiale qui vit majoritairement à moins de 50 kilomètres des océans.

 

Sinon, vous êtes à Maurice dans le cadre du Women’s Forum. Que pensez-vous de l’inclusion de la femme au débat autour du changement climatique ?

 

Les femmes ne viennent pas rejoindre le navire de l’espérance. Elles tentent de ramener l’humanité à la raison depuis longtemps. Si on a tendance à penser que l’accord de Paris est un aboutissement, il n’est en fait juste qu’un préalable. La communauté internationale a fixé des objectifs et réparti les responsabilités, mais tout reste à faire. Donc, c’est important que les femmes rappellent en permanence, et d’une manière un peu forte à Maurice, que chaque état doit maintenant tenir ses engagements. Et même revoir à la hausse leurs engagements. L’accord de Paris est ambitieux, certes, mais il n’inclut pas les 1,5 degrés Celsius d’élévation de température par rapport à l’air préindustriel, qui est la condition sine qua non si nous voulons pouvoir reprendre la main sur le changement climatique. C’est important que les femmes, avec une sensibilité très différente, puissent encore une fois maintenir cette vigilance et cette exigence. Elles ont une spontanéité à ce sujet. Je ne vais pas faire de la psychologie de bas étage mais c’est probablement parce qu’elles ont un regard qui porte un peu plus loin que sur le court terme. D’ailleurs, ce n’est pas un hasard que 90 % des personnes dans ma propre fondation soient des femmes.

 

Est-ce justifié que ce forum se tienne à Maurice, une île ?

 

Les états insulaires sont des marqueurs. Ils ne sont pas les seuls. Mais, de manière plus visible, ce sont eux qui subissent déjà les contraintes et les conséquences du changement climatique – l’érosion des côtes, le corail affecté par le changement de température dans certains endroits des îles, la propagation de certains nombre de virus, les précipitations qui ne se font pas au bon moment par rapport aux récoltes agricoles. Si les îles sont affectées par le changement climatique, derrière, c’est l’ensemble de la planète qui le sera. Ainsi, protéger les îles, c’est protéger la planète. Il faut que les humains se rendent comptent que nous sommes tous des îliens. Nous vivons tous sur une île perdue dans l’espace. Donc, nous devons être solidaires avec l’ensemble des îliens.

 

Etes-vous pour une politique de rassemblement des îles, ou une démarche conjointe avec les autres pays?

 

Les îles doivent prendre leur part de responsabilité comme elles l’ont fait à Paris. Elles doivent avoir, comme à Maurice, une stratégie d’efficacité énergétique, de développement des énergies renouvelables, d’agriculture durable. Mais, bien entendu, elles ne peuvent pas seules prétendre régler un phénomène qu’elles n’ont pas provoqué et dont elles subissent les conséquences. Elles doivent aussi interpeller, s’unir pour que leur voix soient entendues. Durant les trois ans que j’ai consacrés auprès du Président français en vue de la préparation du COP 21, je me suis fait en permanence le relai de la voix des îles et même aujourd’hui, je n’ai pas abandonné cette mission de porte-parole des îles.

 

Comment comptez-vous vous enrichir, ainsi qu’enrichir les autres, par votre présence à ce forum ?

 

Dans ce type de brassage de connaissance on a toujours des informations et des solutions à glaner et à transmettre. Quand il y a des échanges, nous sommes plus armés.

 

Dans un autre registre, que pensez-vous de l’installation de centrales électriques à Maurice ?

 

Une île comme Maurice, ou La Réunion, a les potentiels à terme pour avoir toute son autonomie énergétique à partir des énergies renouvelables. Vous avez suffisamment de diversité entre la biomasse, le potentiel éolien, solaire et marin pour pouvoir avoir cette vision et objectif. Il faut être ambitieux. D’autant plus que ces investissements ne sont pas des dépenses en pure pertes, mais plutôt pour permettre d’économiser. À terme, n’oublions pas que le vent et le soleil sont gratuits. La plus grande ambition qu’une île comme Maurice ou La Réunion puisse avoir c’est d’être autonome sur le plan énergétique.