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Jean-Claude de L’Estrac sur les Chagos: «SAJ et Bérenger donnent des coups d’épée dans l’eau»

23 mai 2016, 21:00

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Jean-Claude de L’Estrac sur les Chagos: «SAJ et Bérenger donnent des coups d’épée dans l’eau»

Il s’est beaucoup penché sur la question des Chagos. Jean-Claude de L’Estrac prend à contre-pied le Premier ministre et le leader de l’opposition. Il nous explique pourquoi.

Vous êtes l’auteur d’un ouvrage bien documenté sur l’excision de l’archipel des Chagos du territoire mauricien. Que vous inspire la nouvelle déclaration de guerre du Premier ministre mauricien aux autorités britanniques ?

Je crains, franchement, que ce ne soit qu’un nouveau coup d’épée dans l’eau! La menace de référer le contentieux aux instances des Nations unies n’est pas de nature à faire fléchir les autorités britanniques. Elles ont déjà été condamnées par l’Assemblée générale sans conséquence aucune.

Dès l’élaboration du projet d’excision, le gouvernement britannique savait que cette action devait déclencher des protestations et une condamnation de l’Assemblée générale de l’ONU, en vertu de la résolution 1514 (XV) qui interdit à une puissance coloniale de démembrer un territoire avant de lui accorder l’indépendance.

La question avait été étudiée par les juristes du Foreign Office. À la suite d’une protestation de l’Inde s’appuyant sur cette résolution, les Britanniques avaient estimé que «while we did not vote for this resolution and we don’t accept that a General Assembly Resolution has the same force as the Charter, there is no doubt that the majority of UN membership regards resolution 1514 (XV) as constituting UN doctrine and would invoke it against us. »

Le démembrement de la colonie de Maurice par le Royaume-Uni a, effectivement, fait l’objet d’une condamnation de l’ONU le 16 décembre 1965 (Résolution 2066), qui, rappelant la Résolution 1514 (XV), soulignait que «toute mesure prise par la puissance administrante pour détacher certaines îles du territoire de Maurice afin d’y établir une base militaire constituerait une violation de ladite déclaration...».

Le gouvernement britannique décida d’aller de l’avant malgré tout sur la base de deux considérations principales, la première étant qu’une condamnation de l’Assemblée générale n’est que «politique» et n’a aucune force légale, et ensuite – et c’est là où le bât blesse – ils annoncent qu’ils exécuteront leur projet d’excision et de base seulement «if these proposals are accepted by the Governments of Mauritius and Seychelles». Les «proposals», assorties de quelques conditions, seront finalement acceptées par les deux gouvernements et un amendement fut apporté à la Constitution de Maurice en 1964 détachant l’archipel des Chagos qui sera par la suite sous-louée aux Américains. Ce sont les faits historiques.

Mais, justement, ce bail arrive à expiration cette année, n’est-ce pas le moment de réaffirmer nos revendications ?

Peut-être, mais sans se faire trop d’illusions. Le bail a déjà été tacitement reconduit pour encore 20 ans. La date butoir n’est pas 2016, elle était 2014 lorsque des négociations ont été ouvertes entre Britanniques et Américains pour la reconduction du bail. Les Britanniques ont déjà annoncé la couleur. William Hague, ministre des Affaires étrangères en 2010, déclarait à la Chambre des Communes, ne pas vouloir susciter de «faux espoirs» sur la possibilité d’un changement de politique. Il n’y aura pas de changement, la base de Diego Garcia est aujourd’hui encore plus vitale à la stratégie militaire américaine qu’en 1965. Les Américains, avec l’accord des Britanniques, y sont installés pour longtemps encore et ce ne sont pas nos gesticulations qui changeront la donne.

Le leader de l’opposition a évoqué cette semaine l’option d’un recours à la Cour internationale de justice (CIJ). Vous y croyez, vous ?

Deuxième coup d’épée dans l’eau. On sait que la compétence de la Cour internationale est essentiellement facultative, que le recours nécessite l’accord des États en litige, que le Royaume-Uni ne donnera jamais son accord. Il est toujours possible de demander à un organe des Nations unies de saisir la CIJ mais à quoi bon puisque cet avis n’a aucune force contraignante. Voilà pourquoi, je ne comprends pas cette subite agitation.

D’aucuns affirment que la cour d’arbitrage sur la zone maritime protégée aurait reconnu la souveraineté de Maurice ?

Mais pas du tout. Encore une fausseté répandue par des milieux politiques et médiatiques mal informés. En réalité, le Tribunal a reconnu que la déclaration unilatérale de zone marine protégée par le Royaume-Uni n’était pas compatible avec ses engagements pris dans le cadre de la Convention sur les droits de la mer. Le Tribunal a expressément déclaré sur la question de la souveraineté sur l’archipel des Chagos que «this was not a matter concerning the interpretation or application of the Convention and that the Tribunal did not therefore have juridiction to decide the matter.» Je dis tout cela non pas pour m’en réjouir mais pour éclairer le débat.

Reste quand même les droits des Chagossiens au retour dans leurs îles. Faut-il là aussi abandonner tout espoir ?

Non. Même si la question n’est qu’académique, je crois qu’un retour des Chagossiens dans les autres îles de l’archipel, là où ils ont vécu, à Peros Banhos, Salomon, est possible. Jusqu’ici, ce sont surtout les Américains qui s’y opposent en conformité avec une doctrine élaborée dans les années soixante, le Strategic Island Concept, qui a incité à l’achat d’îles non ou peu peuplées, ce qui pose moins de problèmes politiques. Mais une réinstallation à Peros Banhos, située à 100 kilomètres de Diego Garcia, une île entourée d’une barrière de corail, pour y développer une industrie touristique par exemple, n’est pas une utopie.

Au-delà de la question politique se posent deux questions : qui sont les Chagossiens qui veulent aller vivre dans les îles, combien sont-ils ? Et qui paiera l’énorme coût de la réinstallation ? Ce ne sera pas trois millions de livres sterling cette fois...