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Taïwan: des lettres surgies du passé ravivent la douleur de la «Terreur blanche»

2 mai 2016, 17:22

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Taïwan: des lettres surgies du passé ravivent la douleur de la «Terreur blanche»

 

Hsu Hsu-mei a grandi à Taïwan sous la loi martiale. Elle ne savait quasiment rien de son père, si ce n’est que c’était un «criminel de la pensée» et qu’il fut exécuté pour cela.

Elle avait cinq ans quand le docteur Hsu Chiang fut emmené de son domicile pour espionnage, au cours de la période dite de la «Terreur blanche», sous la loi martiale instaurée sur l’île par le Kuomintang (KMT) entre 1949 et 1987.

Des décennies plus tard, Mme Hsu découvre finalement les circonstances de sa mort grâce à une «lettre d’aveux» qu’il a écrite juste avant son exécution.

Comme Mme Hsu, nombre de proches des victimes de la «Terreur blanche» découvrent seulement aujourd’hui les chapitres manquants de la vie des disparus, au fur et à mesure de l’ouverture des archives nationales.

Les nationalistes du KMT avaient fui en 1949 la Chine continentale après leur défaite face aux troupes communistes de Mao Tsé Toung. Jusqu’en 1987, sous le règne de Chiang Kaï-shek et de son fils, des milliers de personnes jugées hostiles au gouvernement ont été torturées et tuées.

«Ma mère ne m’a jamais donné de détails (sur mon père). Elle consentait juste à dire que c’était un criminel de la pensée», explique Mme Hsu, 71 ans.

La lettre de son père éclaire un peu les raisons pour lesquelles il avait risqué sa vie pour ses idées en devenant membre d’une organisation communiste.

«C’était totalement décevant de voir l’oppression du peuple taïwanais (...), la corruption et l’ineptie des autorités», écrivait-il.

«Les grands hôpitaux s’occupent des riches (...) Les citoyens ordinaires ne peuvent même pas voir un médecin.»

- Affronter le passé -

Mme Hsu a appris que le plus grand désir de son père était l’avènement d’un système plus juste et une amélioration de la vie des gens à travers la recherche médicale. «Il voulait simplement la justice.»

D’après les documents officiels, environ 140.000 personnes ont été jugées par des tribunaux militaires sous la «Terreur blanche», et entre 3.000 et 8.000 exécutées. Nombre de spécialistes pensent que ces chiffres sont inférieurs à la réalité.

Depuis, Taïwan s’est mué en démocratie. Le 20 mai, un nouveau gouvernement d’alternance formé par le Parti démocratique progressiste (PDP) prendra ses fonctions, après la cinglante défaite du KMT aux élections.

Le PDP trouve ses origines dans le mouvement de résistance à la dictature de Chiang Kaï-shek. La présidente élue Tsai Ing-wen a promis que justice serait rendue aux victimes de la «Terreur blanche», et la publication de la totalité des documents relatifs à cette époque.

Le département des archives nationales a été créé en 2001 et depuis, des familles, des historiens et le public ont pu avoir accès à certains documents.

Ce service explique avoir retrouvé près de 800 pages de lettres écrites par 179 victimes, et avoir contacté leurs proches. Pour l’instant, 106 lettres ont été envoyées aux familles, dit à l’AFP une porte-parole.

Certains appellent cependant à davantage de transparence. Ils veulent des lois pour s’assurer que tous les documents soient retrouvés, rassemblés et analysés, dans le cadre d’une enquête complète sur la dictature.

«Taïwan doit parvenir à une conclusion sur les responsabilités de Chiang Kaï-shek et la façon dont il doit être présenté au peuple», dit Huang Cheng-yi, président de l’Association pour la vérité et la réconciliation (ATVR), qui a aidé des familles à rechercher les lettres.

A Taïwan, on trouve partout des stèles à la gloire de Chiang Kaï-shek. Certains l’adulent encore en tant que héros de la lutte contre le communisme, d’autres honnissent un dictateur.

«Il ne mérite pas d’être mis sur un piédestal», juge Mme Hsu. Pour elle, stèles et statues doivent disparaître.

-«J’espère que tu te remarieras»-

Guo Su-jen avait moins de trois ans lorsque la police est venue chez elle pour arrêter son père, Guo Ching, directeur d’école primaire.

Sa famille ne savait rien de ses attaches avec le mouvement communiste.

Après sa mort, parler de lui était tabou. La famille a brûlé la plupart de ses souvenirs, craignant pour sa sécurité.

Mais Mme Guo, 69 ans, ressentait toujours de l’affection pour ce père qu’elle n’avait jamais vraiment connu.

«Je ne pouvais pas reconnaître ni accepter que mon père soit un méchant», raconte-t-elle à l’AFP.

Avec l’aide de l’ATVR, elle a découvert des lettres écrites juste avant son exécution.

«On meurt au bout du compte, ne sois pas trop triste», écrit-il à sa femme. «Si possible, j’espère que tu te remarieras.»

«Lorsque j’ai finalement vu ces lettres, elles ont confirmé que j’avais un père et qu’il nous aimait», dit Mme Guo. «Elles auraient dû nous être rendues il y a longtemps.»

Après avoir bataillé contre le gouvernement, qui avait dit qu’elles étaient classifiées, Mme Guo a également obtenu des photographies de son père et d’autres victimes, attachées par des liens, prises avant et après leur exécution.

Désormais, pour Mme Guo, son père était quelqu’un qui s’était dressé contre un régime «inhumain». «Il rêvait d’une société meilleure, je crois que c’est ça qu’il cherchait.»