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Subash Bassant: «Si la Culture House vient dans dix ans, combien de documents perdra-t-on?»

29 avril 2016, 10:04

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Subash Bassant: «Si la Culture House vient dans dix ans, combien de documents perdra-t-on?»

Une Journée mondiale du livre, célébrée le 23 avril, sans éclat. Que se passe-t-il à la Bibliothèque Nationale (BN)? Nous avons posé la question au président du conseil d’administration, nommé depuis octobre 2015.

La Journée mondiale du livre, célébrée le samedi 23 avril, n’a pas fait couler beaucoup d’encre. Où est passée la traditionnelle foire du livre de la BN?

Rassurez-vous, elle sera grandiose. Il y a un comité qui travaille dessus, avec des auteurs, des éditeurs, des libraires. Au début de mai, il y aura quatre jours d’activités. Cela se passera dans un lieu facilement accessible au public, mais pas à Port-Louis. Cela a un coût. Je ne vais pas citer de chiffres en raison des appels d’offres.

Notre budget pour l’organisation tourne autour de Rs 300 000 et nous allons chercher des parrains. Nous avons aussi décidé qu’il doit y avoir une activité mensuelle. La BN doit être vivante.

Vous étiez allé à Confluences, le Salon du Livre, organisé en 2013 et 2014 ?

J’y suis allé comme simple citoyen.

À quand un prochain Salon du Livre?

Vous pensez que Confluences a eu un impact sur le public? C’était davantage pour une certaine catégorie de personnes. C’était du snobisme. Vous savez combien on a dépensé pour cela? Moi, je veux toucher le grand public. Ce que nous allons faire, c’est un trois en un: une foire (NdlR, vente de livres), un salon (NdlR, dédicaces et rencontres avec les auteurs) et d’autres activités, dans le cadre de la Journée mondiale du livre.

Qu’avez-vous accompli depuis votre nomination ?

J’ai pris mes fonctions à la BN en novembre 2015. La première chose était de faire un état des lieux. Mon premier constat, c’est que le bâtiment qui abrite la BN actuellement n’est plus approprié (NdlR, la BN occupe deux étages du Fon Sing Building, rue Edith Cavell, Port-Louis).

La BN est mal située et n’est pas visible. Les membres du conseil d’administration sont du même avis. Il faut la délocaliser et trouver un endroit plus adapté et plus spacieux afin de préserver ce patrimoine. Il y a des documents datant du 18e siècle à la BN. Cela passe aussi par une restructuration du personnel pour que le service soit à la hauteur des attentes du public.

C’est clair que la BN souffre surtout d’un manque aigu d’espace. Où en est le projet de relogement?

Après discussions, nous avons soumis une proposition formelle de relogement au ministère des Arts et de la culture, ainsi qu’une liste de tous nos besoins. Ce projet de relogement a des implications, surtout par rapport au budget. Le ministre Baboo nous accorde son soutien. On dit souvent que le ministère des Arts et de la culture est un petit ministère. Je le croyais. Mais il est très complexe. Cette affaire de «petit ministère» n’existe pas.

C’est difficile d’avoir un rendez-vous avec le ministre. Il est toujours pris ou invité quelque part. C’est le paradoxe de l’île Maurice, un pays pluriculturel. Le ministère compte une vingtaine de corps paraétatiques. Cela fait longtemps qu’on entend dire qu’il faut bouger la BN mais il n’y a jamais eu de décision formelle du conseil d’administration pour dire qu’il faut bouger.

Les précédents responsables n’arrêtaient pas de dire que la BN était en état d’asphyxie…

Je suis allé voir les minutes of proceedings. C’est vrai qu’on dit qu’il n’y a pas d’espace, mais où est la décision de bouger? On ne peut pas parler, parler, et puis rien ne se passe. Il y a une décision politique aussi derrière.

Et un projet de Culture House qui devait regrouper la BN, les Archives et d’autres départements des Arts et de la culture…

C’est vrai, au niveau du ministère, sous l’ancien régime, il y a eu la décision de créer un palais de la culture. Il y a même un terrain qui a été identifié à l’arrière de la clinique Apollo Bramwell. Il y a eu un Memorandum of Understanding avec la Chine. Tout cela a été fait. Mais la Culture House, quand est-ce que ce sera prêt…

Qu’est-ce qui a été décidé par le présent régime? Il va de l’avant avec ce projet?

Dans cinq ans… dix ans, on ne sait pas. En attendant, on ne peut pas perdre des documents, c’est notre patrimoine. J’ai proposé que nous bougions vite, même s’il faut louer un bâtiment.

Vous payez déjà un loyer conséquent…

Il tourne autour de Rs 400 000 par mois. Si vous multipliez cette somme par 12, cela fait environ Rs 4,8 millions par an dépensées en loyer. Si vous regardez le marché, même si on quitte Port-Louis, on peut trouver un bâtiment plus approprié. Mais je ne peux pas forcer la main du ministère. Si la Culture House vient dans dix ans, combien de documents va-t-on perdre?

Est-ce que le ministère des Arts et de la culture va de l’avant avec le projet de Culture House ?

S’il a l’argent oui. À ce jour, on n’a pas d’argent. Il faut négocier. Le conseil d’administration a pris sa décision. Il faut bouger et vite. Quand le ministère a reçu notre proposition formelle, il a mis sur pied un comité technique pour étudier notre demande et décider où il va nous mettre. C’était en janvier de cette année. Nous avons demandé environ 20 000 pieds carrés, pratiquement le double de la surface actuelle. Cette décision a été prise après une visite guidée des membres du conseil d’administration à la BN.

On est sur deux niveaux. Au rez-de-chaussée du Fon Sing Building, il y a des fast food. On ne le souhaite pas, mais un incendie pourrait arriver à n’importe quel moment. On perdrait tout… on perdrait notre patrimoine. Il y a des étrangers qui viennent visiter notre BN parmi tous ces magasins et fast food. Le patrimoine a une valeur. On ne peut pas rester comme ça.

Connaissiez-vous l’institution avant de la présider ?

Certes, je n’y suis pas allé souvent, mais comme tout Mauricien, je connaissais évidemment la BN. Je n’ai pas peur de dire que ce n’est pas très connu du grand public.

Il y a des gens qui n’y ont jamais mis les pieds, qui ne savent pas où elle se trouve ou qui la confondent avec les Archives nationales ?

C’est possible. Cela conforte notre décision de reloger la BN, de la rendre plus visible.

En attendant le nouveau bâtiment, envisagez-vous des solutions temporaires?

Il ne peut y avoir de solution temporaire, sinon nous perdrons des documents. Nous parlons de plus de 500 000 documents. Parmi ceux-ci, il y a un journal qui date de 1777. Par manque d’espace, il y a des collections reliées de journaux, qui sont conservées à l’horizontale. Imaginez le poids de toutes ces collections qu’il faut manipuler à chaque fois que quelqu’un veut consulter un journal. Combien de dommages sont ainsi causés? Il y a des pages qui se déchirent sous les doigts. Je l’ai constaté mais je ne suis pas un expert.

Quand débutera le processus de digitalisation?

Tout est une question d’argent et d’expertise. Nous avons fait une demande de financement pour recruter un consultant. Il nous dira comment nous y prendre. C’est notre deuxième priorité, après le bâtiment. J’ai mentionné la restructuration du personnel. On parle de digitalisation, mais savez-vous qu’il n’y a pas de IT Officer à la BN? C’est une proposition pour le prochain Budget. On va recruter un consultant, mais avec qui il va s’entretenir? Avec le clerk, le librarian? Il doit travailler avec quelqu’un qui a les compétences voulues.


SUBASH BASSANT NOMMÉ POUR SES «COMPÉTENCES D’ANCIEN FONCTIONNAIRE»

 Subash Bassant compte 35 ans de service au ministère de la Sécurité sociale. Il a commencé comme Clerical Officer en 1975 et a gravi les échelons jusqu’à devenir le responsable des centres communautaires du pays. En 2004, il prend une retraite anticipée. Il obtient une franchise d’une marque de snacks, destinés à l’exportation vers le marché européen, et se lance dans le business. Il est aussi engagé dans le social, notamment dans la lutte contre la pauvreté. Subash Bassant est détenteur d’un BSc Social science auprès de l’université de Maurice.

Mais comment atterrit-il à la présidence de la BN ? «On m’a nommé pour mes compétences d’ancien fonctionnaire, un point c’est tout. Je sais qu’il y a des personnes qui sont nommées pour des raisons politiques. Moi, c’est pour mon expérience d’administrateur dans le service civil.»