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Swaleha Joomun: La vérité à tout prix

28 novembre 2015, 13:04

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Swaleha Joomun: La vérité à tout prix

Swaleha Jjoomun, née Kassim, a grandi à la rue Lisley-Geoffroy, là où se trouve Astor Court et l’actuel bureau de son homme de loi, Vikash Teeluckdharry. Elle conserve de doux souvenirs de son enfance passée dans cette «maison coloniale en plein cœur de la capitale avec un verger, un jardin, un jet d’eau et un bassin avec des poissons».

Son père, un homme d’affaires, est un bourreau de travail et sa mère une femme au foyer qui a, selon Swaleha, «une âme d’artiste. Elle aimait la peinture, participait à des pièces de théâtre en ourdou écrites par son père. Ses tableaux ornent encore les murs de notre maison familiale». Le couple que forment ses parents va mal. «Ma mère a été profondément marquée par son divorce. Mais elle était d’une génération de femmes à qui l’on a appris que le destin des femmes est de souffrir en silence.»

Swaleha fréquente l’école Cœur-Sacré-de-Jésus RCA. Studieuse, elle est une gamine rêveuse et d’une sensibilité à fleur de peau. Ce qu’elle aime, c’est lire, en particulier les romans policiers d’Agatha Christie. Elle a de bonnes notes et fait son entrée à la Droopnath Ramphul SSS.

Tous les jours en rentrant de l’école, elle croise Babal Joomun. «Lorsque Babal ose m’aborder pour me demander de sortir avec lui, je refuse car j’ai déjà un boyfriend non musulman. Mais des jeunes ont alerté mes enseignants et mes parents et cela a fait un scandale à Plaine-Verte. Il y avait des gens qui me suivaient en voiture lorsque j’allais rencontrer mon boyfriend et Babal en faisait partie.» Elle finit par rompre avec son petit ami.

Babal, le «moteur du PTr»

Elle a 18 ans et est en Form VI lorsqu’elle revoit Babal. Alors qu’elle coupe des fruits, elle se blesse avec le couteau.

Babal, en galant homme, lui offre son mouchoir pour tamponner le sang. «Le mouchoir et le sang nous ont rapprochés». Babal, qui est de deux ans son aîné, n’a pas eu la vie facile. Ayant perdu son père très jeune, il ne peut terminer sa Form V car il doit travailler pour nourrir ses six frères et sœurs, ainsi que sa mère. Il a essayé d’entrer clandestinement en France mais a été refoulé à deux reprises.

C’est justement après ce second échec en France qu’il rencontre Swaleha. Il cumule les petits boulots. En décembre, il travaille comme marchand ambulant et vend des jouets. Swaleha et lui se fréquentent. Lorsqu’ils convolent, Swaleha  a 23 ans et lui 25 ans. 

Leur première fille naît neuf mois après le mariage : Rushda. La seconde, Lubnaa, vient au monde le 31 mai 1992, jour de la fête des Mères et Haifaa, la benjamine, arrive le 20 avril 1994.

 Les affaires de Babal marchant bien, il agrandit son petit business en se lançant dans la sérigraphie, faisant fabriquer des paréos, des t-shirts et des serviettes de plage. Il est en partenariat avec Yousuf Jhookhun. Il est aussi très engagé politiquement. «Il n’était pas le colleur d’affiches d’Iqbal Mallam Hassham au  n° 2 comme l’ont avancé certains. Il était le moteur du PTr au n° 2.» Et selon Swaleha, le PTr avait proposé à Babal d’être candidat aux municipales de 1996. Il l’a consultée à ce sujet. «Je lui ai dit que la famille doit passer avant tout. Il a décliné et suggéré le nom de Y ousuf Jhookun. Babal et moi étions un couple uni. Il me parlait de tout et je gérais son agenda. J’étais son épouse et sa secrétaire.»

«Je voulais la vérité, on me donnait un mythe»

Elle apprécie le côté mondain de l’engagement politique de son mari. Ce tableau idyllique vole en éclats le 26 octobre 1996 avec l’assassinat de Babal et de deux autres activistes. Tétanisée, elle va identifier le corps criblé de balles de son mari à la morgue. Bien que brisée, elle veut connaître la vérité. «Lorsque j’ai fait ma première déclaration à la presse après le 26, je ne connaissais pas personnellement Paul Bérenger. Mais je n’étais pas intimidée par les mythes Bérenger, Ramgoolam ou Jugnauth. Pour moi, ce sont des hommes portés au pouvoir pour servir le peuple et pas pour qu’ils se servent de nous.»

Bien qu’elle ait contracté le nikah, ou mariage religieux, avec Asiff Polin et Raffick Goolfee dans le but de trouver la vérité, sa quête demeure inassouvie. Si elle a décidé d’émigrer avec ses enfants en Angleterre en janvier 2003, c’est parce qu’elle ne se sentait plus en sécurité à Maurice car elle avait reçu des menaces par rapport à ses filles. «On me disait : pou met zot tripes lor tom zot papa. Ma faiblesse, c’est bien entendu mes filles.» Et puis, elle était déçue de la façon dont l’enquête évoluait. «On voulait que je sois un témoin suprise. Surprise witness pour épater la galerie de moutons égarés eux-mêmes ! Je voulais la vérité, on me donnait un mythe ! Babal est mort criblé de balles et ça, ce n’est pas de la fiction. Personne ne peut me donner un script à lire en public.»

En Grande-Bretagne, Swaleha travaille désormais comme Learning Facilitator avec des femmes, en particulier des réfugiées, après avoir longtemps agi comme interprète en free-lance. Si elle ne se voit pas revenir vivre à Maurice, ce «pays qui lui a tout pris», elle avoue être prête à tout pour connaître la vérité. «Ce n’est pas un jeu. C’est inacceptable que même après 19 ans, on essaie de taire la vérité à coups de discours creux avec la complicité de ceux qui ont tout fait pour que la tuerie de Gorah Issac demeure irrésolue.» Elle trouve inacceptable que certains continuent à vouloir tirer un capital politique sur le dos de son défunt mari.

Elle n’est pas la seule à chercher la vérité. Si ses trois filles veulent savoir, Lubnaa, sa cadette, y tient particulièrement car elle a commencé la rédaction d’un livre sur l’histoire de sa famille. «Il ne faut pas oublier l’Histoire. Ce qui nous est arrivé doit être laissé en héritage… »