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Dix ans après un séisme sans précédent, la quête des disparus se poursuit au Cachemire

7 octobre 2015, 21:39

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Dix ans après un séisme sans précédent, la quête des disparus se poursuit au Cachemire

Le matin du séisme le plus meurtrier de l'histoire du Pakistan, Nazish Naz rechignait à se rendre à l'école, répétant à sa soeur que ce jour était maudit. L'adolescente a quitté la maison, puis la tragédie a frappé. Dix ans plus tard, sa famille la cherche encore partout, incapable d'accepter sa mort.

 

Le matin du 8 octobre 2005, la terre tremble dans le Cachemire pakistanais. Un séisme de magnitude 7,6 déclenche des éboulements, anéantit des villages, tue 73.000 personnes, en blesse 128.000 autres et laisse 3,5 millions de personnes à la rue. Le Pakistan est en état de choc, les ONG débarquent au pays et la communauté internationale annonce des millions de dollars d'aide d'urgence.

 

Une décennie plus tard tout n'a pas encore été reconstruit sur ce territoire montagneux et verdoyant que se disputent l'Inde et le Pakistan. De nombreux projets de développement ne se sont tout simplement pas matérialisés laissant en jachère des sites de construction, avec leurs piles de matériaux non utilisés, et des routes à moitié reconstruites.

 

Des familles n'acceptent toujours pas la mort de leurs proches jamais retrouvés dans les décombres. C'est le cas de la famille de Nazish qui a arpenté pendant des années les morgues, les hôpitaux, les gares et mêmes les bordels du pays dans l'espoir de la retrouver en vie.

 

La famille s'accroche au mince espoir d'une photo parue dans un journal local après la tragédie d'une adolescente ressemblant étrangement à leur fille, blessée à la tête dans un hôpital de la capitale, Islamabad, à une centaine de kilomètres de leur foyer au Cachemire.

 

Le pari de la vie

 

"Ma fille était très intelligente. Si elle avait tous ses sens, elle nous aurait contactés, peu importe les circonstances. Nous pensons qu'elle a en fait perdu la mémoire des suites d'une blessure à la tête et qu'elle est aujourd'hui perdue quelque part", s'accroche son père Abbassi, chauffeur pour le gouvernement.

 

"Certes il n'y a aucune preuve qu'elle est toujours en vie, mais il n'y a aussi aucune preuve qu'elle est morte. Comment accepter sa mort si elle n'a pas de tombe ?", lâche-t-il.

 

Selon le Comité international de la Croix-Rouge (CICR), 576 personnes ont été enregistrées comme "disparues" après le tremblement de terre. Les autorités pakistanaises n'ont pas gardé de trace des mouvements des blessés à leur congé de l'hôpital.

 

Environ 350 de ces disparus ont été retrouvés mais plus de 220 manquent toujours à l'appel, dont Nazish Naz. Pour les autorités, "disparu" signifie désormais "décédé".

 

"Il y a des gens qui sont morts et d'autres qui manquaient à l'appel après le séisme. Si une personne n'est pas rentrée chez elle après dix ans, cela veut dire qu'elle est morte, pas portée disparue", tranche Shazia Haris, porte-parole de l'Autorité pakistanaise pour la reconstruction et la réhabilitation post-séisme (ERRA).

 

Les parents de Nazish refusent malgré tout d'abdiquer ou de reconnaître ce qui tient peut-être de la fatalité. "Dieu nous est témoin, nous allons poursuivre nos efforts pour retrouver notre fille tant que nous sommes en vie", s'engage ainsi Abbassi.

 

Promesses brisées

 

Après le séisme, le gouvernement avait promis de soutenir les familles des victimes et les blessés, et de construire de nouvelles maisons à distance de la faille sismique.

 

Mais la construction stagne, les autorités imputant le retard à des conditions météorologiques difficiles et à des problèmes administratifs tandis que la population montre du doigt des responsables qui auraient pioché dans les caisses publiques.

 

"Que ce soit pour retrouver les disparus ou pour la construction, rien ne s'est passé comme prévu", assène Zahid Amin, chef de la Fondation pour le développement de Muzzaffarabad (MCDF), une ONG de la capitale de la portion du Cachemire administrée par le Pakistan.

 

"La majorité des projets ont été retardés", affirme M. Amin. Dans certains cas, des familles ont reconstruit leur maison sur la faille sismique, malgré les avis des experts. "Les codes sismiques et les normes ont été complètement bafoués pour les nouvelles constructions et le gouvernement n'en a cure", dit-il.

 

Les autorités, elles, blâment une partie de la population qui a refusé de céder ses terres pour l'établissement de nouveaux quartiers loin des lignes de faille, et le climat, rythmé par la pluie et la neige, qui limite la durée des travaux de construction à cinq mois par an.

 

Pour les parents de Naz, comme pour les milliers de familles qui portent en elles le deuil, l'essentiel demeure invisible. "Je la revois encore dans son uniforme scolaire", souffle Gulnaz, sa mère, la voix nouée de sanglots dans la masure familiale. "Et je rêve à son retour".