Publicité

Les prix Nobel n'ont pas tous fait le bien

5 octobre 2015, 10:28

Par

Partager cet article

Facebook X WhatsApp

Les prix Nobel n'ont pas tous fait le bien
Les polémiques du Nobel ont été innombrables, entre les écrivains primés quoique inconnus, les chercheurs qui clamaient avoir fait une découverte avant un lauréat, ou les prix de la paix qui divisaient.
 
En sciences, certaines lignes du palmarès peuvent paraître gênantes avec le recul.
 
Quand en 2013 le Nobel de la paix récompensa l'Organisation pour l'interdiction des armes chimiques, il réparait un peu un prix Nobel de la guerre, celui de chimie de 1918, décerné à l'Allemand Fritz Haber.
 
Récompensé pour des travaux sur l'ammoniac décisifs pour l'agronomie, Haber a été surnommé "le chimiste de la mort" à cause de son ardeur à développer des gaz de sinistre mémoire, dont il supervisera lui-même l'usage à Ypres (Belgique).
 
Après la défaite, "il ne s'attendait pas à recevoir un prix. Il craignait plutôt de passer en cour martiale", explique à l'AFP la chimiste Inger Ingmanson, qui lui a consacré un livre. "Certains l'ont vu comme un prix germanophile. Il y avait des gens qui auraient voulu que la Suède entre en guerre aux côtés de l'Allemagne".
 
Le prix reste l'un des plus controversés, car le jury ne pouvait ignorer ni le rôle précis de Haber, ni les effets terribles du chlore sur le front. Mais il avait apporté au monde des engrais révolutionnaires.
 
Un autre chimiste qui travaillait sur les gaz de combat, le Français Victor Grignard, a obtenu le prix Nobel. C'était avant la Grande Guerre, en 1912.
 
- Précipitation qui intrigue -
 
La polémique aurait pu inciter le jury de Stockholm à bien réfléchir après les conflits. Pourtant, en novembre 1945, trois mois seulement après les bombardements d'Hiroshima et Nagasaki, il récompense la fission nucléaire.
 
L'Allemand Otto Hahn avait fait en 1938 cette découverte parmi les plus marquantes de l'histoire de la science. Elle sera à l'origine de l'énergie et de la bombe atomiques.
 
Lui n'a pas travaillé aux applications militaires. En apprenant, en captivité en Angleterre, qu'une bombe nucléaire avait été larguée, il avait même lancé: "Je suis reconnaissant que nous [Allemands] n'ayons pas réussi" à concevoir cette bombe.
 
C'est davantage la précipitation de l'Académie royale des sciences qui intrigue, en encensant une invention qui vient de permettre des ravages inouïs.
 
Les archives du prix Nobel montrent qu'au vu de l'importance de ses travaux, l'Académie avait pensé à récompenser Hahn dès 1940. À partir de 1944, il était considéré par ses pairs comme un "prix Nobel secret" n'ayant qu'à attendre la fin de la guerre.
 
D'après un article de la revue Nature en 1995, Hahn fut aidé par des académiciens qui voyaient en lui, seul candidat proposé pour le Nobel de chimie 1944, un lauréat digne de la science en dehors de toute considération politique. D'autres auraient préféré attendre de connaître les découvertes faites dans le plus grand secret aux États-Unis durant le conflit mondial, mais furent mis en minorité.
 
- Lauréats honnis -
 
Plus contesté personnellement, le Portugais Egas Moniz, prix Nobel de médecine 1949 "pour sa découverte de la valeur thérapeutique de la leucotomie dans certaines psychoses".
 
Aujourd'hui on parle de lobotomie, et ce neurologiste est vu comme l'instigateur d'opérations du cerveau barbares. Elles seront dénoncées dans le roman et le film "Vol au-dessus d'un nid de coucou".
 
Le site internet du prix Nobel constate sobrement que cette chirurgie fut "controversée". Bengt Jansson, psychiatre et ancien membre du comité de sélection du prix de médecine, écrit: "Je ne vois pas de raison de s'indigner de ce qui se faisait dans les années 1940 puisqu'à cette époque il n'y avait pas d'autres solutions!" Les traitements chimiques des maladies mentales sont arrivés après.
 
Il y a enfin les lauréats honnis des écologistes.
 
Un an avant Moniz, le jury de médecine avait récompensé un Suisse, Paul Müller, pour avoir découvert le pouvoir du DDT contre les insectes propageant le paludisme. Mais le produit fut interdit quelques décennies plus tard quand d'autres scientifiques prouvèrent ses effets ravageurs sur la faune et l'homme.
 
Cela n'empêcha pas un zélateur des pesticides, l'agronome américain Norman Borlaug, de recevoir en 1970 le prix Nobel de la paix pour ses travaux sur la "révolution verte" qui devait doper les rendements agricoles des pays en développement.