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Introduction du suboxone/naltrexone : des ONG favorables mais…

4 août 2015, 19:29

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Introduction du suboxone/naltrexone : des ONG favorables mais…

Les organisations non gouvernementales engagées dans la lutte contre la toxicomanie accueillent favorablement l’introduction du suboxone comme médicament pour les quelque 200 usagers de drogue qui veulent décrocher. Mais elles ont beaucoup d’interrogations quant à la distribution et au suivi auprès de ces personnes.

 

Anil Gayan, ministre de la Santé, s’est fait un peu plus loquace par rapport au traitement que son ministère offrira aux quelque 200 usagers de drogue injectable qui veulent décrocher. Si dans l’interview qu’il a accordée à l’express jeudi dernier, il a parlé de naltrexone, de codéine et «d’autres choses», lundi 3 août, à l’issue d’une visite surprise dans les hôpitaux de Mahébourg et de Rose-Belle, il a indiqué que pour les nouveaux clients, le médicament qui serait utilisé serait le nextraxone.

 

Or, le netraxone n’existe pas. Un des fonctionnaires présents lui a soufflé le nom de suboxone (comprimé sublingual fondant au contact de la salive), qu’il n’a pas repris. Anil Gayan s’est contenté de dire qu’il s’agissait d’un nouveau médicament qui, absorbé convenablement, permettrait aux usagers de drogue injectable «d’être totalement clean au bout de six mois».

 

Autant dans l’interview accordée à l’express, il disait que le screening des usagers voulant décrocher démarrerait dans une semaine, selon nos informations, l’exercice qu’il a qualifié hier matin de «tailor made» a déjà démarré il y a une dizaine de jours dans les centres dits d’induction, soit dans les centres de Bouloux, Ste Croix, Mahébourg et Roche-Bois. L’express a aussi appris que le suboxone, qui est un mélange de naloxone (drogue synthétique semblable à la morphine et dont l’action est de bloquer les récepteurs d’opiacés dans le système nerveux) et de Subutex (médicament de sevrage pour toxicomanes) serait fourni aux usagers de drogue injectable pendant un mois seulement. Les cinq autres mois, ce serait du naltrexone qui leur sera distribué.

 

Imran Dhanoo, directeur du centre Idrice Goomany, accueille favorablement l’introduction du suboxone. Pour lui, ce sera un nouveau médicament introduit dans l’arsenal des médicaments existants. Il rappelle qu’au milieu des années 80, c’était la tricodéine solco qui était utilisée pour traiter la toxicomanie et qu’à partir de l’an 2000, ce médicamenta été remplacé par la codéine phosphate avant que la méthadone ne soit introduite en 2006. «C’est bien qu’après neuf ans, le ministère vienne avec un nouveau médicament

 

SEVRAGE OU MAINTENANCE ?

 

Il se demande toutefois si le suboxone sera utilisé comme médicament de sevrage ou de maintenance car dans un pays comme l’Australie, le suboxone est utilisé à ces deux fins. «L’important est qu’il n’y ait pas de vide thérapeutique. Le suboxone figurant sur la ScheduleD de la Dangerous DrugsAct, il appartiendra au ministère de la Santé de mettre les paramètres pour son contrôle. Désormais, les choses sont un peu plus claires. Comme le disait Mao Tse Toung, il faut du désordre pour qu’il y ait de l’ordre

 

Brigitte Michel, directrice d’Aide, Infos, Liberté, Espoir, Solidarité (A.I.L.E.S), estime que le suboxone est plus pratique que la méthadone et qu’il est efficace. Cependant, elle se demande également si ce médicament sera utilisé comme produit de sevrage ou de maintenance. «Un usager de drogues ne guérit pas totalement de la dépendance et il aura toujours des séquelles

 

De plus, son inquiétude porte sur la distribution de ce médicament par le personnel du ministère et le suivi psychologique aux usagers de drogues. «Ce qu’il faut savoir, c’est que le suboxone pris avec de l’aspirine par exemple ou avec un relaxant musculaire spécifique peut être fatal. Certains usagers prennent des antirétroviraux car ils sont séropositifs. Est-ce que le  suboxone aura des contre-indications avec les antirétroviraux et les usagers seront-ils  informés ? Va-t-on mettre les informations et les mises en garde à leur portée ? La question est pertinente car si les distributeurs avaient appliqué la Direct Observation Therapy qui consiste à observer l’usager et voir dans quel état il est lorsqu’il vient chercher sa méthadone, le programme de méthadone n’aurait pas dérapé.»

 

Elle pense que des random tests doivent aussi être faitspour savoir si l’usager est sérieuxpendant son traitement et pour lui éviter des overdoses. Brigitte Michel estimequ’il faudrait que les dispensers soient formés en Direct Observation Therapy et considèrent les usagers comme «des êtres humains à part entière». Ellesuggère que le suboxone soitdistribué sur rendez-vous pouréviter des attroupements et desdébordements éventuels.

 

Brigitte Michel se demande aussi quel médicament sera utilisé au cas où le screening médical indiquerait que le patient ne peut prendre du suboxone. Elle met aussi l’accent sur le suivi psychosocial. «Le suivi psychosocial est important afin de venir aider ces personnes à se réintégrer socialementet professionnellement.»

 

Nathalie Rose, chargée des plaidoyers chez Prévention, Information et Lutte contre le Sida (PILS), rappelle que le suboxone n’est pas nouveau et qu’il avait été suggéré dans le passé par la commission drogue du Mouvement militant mauricien. Cela dit, «PILS trouve l’alternative intéressante. De toutes les façons, nous avons toujours demandé différentes alternatives car si la méthadone fonctionne en général, elle ne marche pas avec tout le monde. Cependant, en termes de coût et d’efficacité, la méthadone demeure un des meilleurs traitements qui existent. Nous pensons que la solution n’est pas de remplacer une molécule par une autre et que si la distribution et le suivi du suboxone se font de la même manière que ceux de la méthadone, les mêmes problèmes persisteront ». Elle est égalementd’avis qu’il faudra améliorerla distribution, le suivi et leservice d’accompagnement.

 

Nathalie Rose souligne aussi qu’un traitement de suboxone dispensé rien que pour six mois n’est pas un de maintenance mais de détoxication. «Il faut se poser la question sur le bien-fondé de remplacer untraitement de substitution et de maintenance par un de détoxication. Il faudra voir ce qui se passera au bout de six mois.»