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Questions à Christine Duvergé : « L’athlétisme, comme l’écriture, s’effectue dans la solitude »

12 juillet 2015, 15:19

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Questions à Christine Duvergé : « L’athlétisme, comme l’écriture, s’effectue dans la solitude »
Le sport aussi peut être un tremplin vers la réalisation de soi.  C’est un des points saillants ayant émergé des échanges entre Christine Duvergé, auteure de Camp Agonie, et les personnes venues assister mercredi soir à L’Atelier au deuxième lancement de l’ouvrage en présence cette fois de l’écrivaine. Bénéficiaire d’une bourse sport-études aux Etats-Unis d’Amérique à la fin des années 80, l’ancienne spécialiste du 400 m fera le choix, à la fin de sa licence, de poursuivre ses études. Elle est aujourd’hui « Senior Lecturer » à l’université de Californie où elle enseigne le français.
 
Après combien d’années retrouvez-vous votre pays natal ?
- Je reviens à Maurice après huit ans.
 
L’île Maurice a-t-elle changé ou est-elle le pays que vous avez toujours connu ?
- Je l’ai trouvé changé et pareil à la fois. Pour les changements : de beaux centres commerciaux, des restaurants plus divers, des routes magnifiques, des bâtiments plus grands et plus hauts. Ce qui n’a pas changé : la beauté des plages et de la mer, la gentillesse de mes compatriotes, les petites rues étroites, les chauffeurs fous sur la route.
 
Vous avez assisté le dimanche 5 juillet à la seconde journée des championnats nationaux seniors Vital. Qu’avez-vous ressenti en retrouvant le bon vieux stade Maryse-Justin, les anciens amis, la génération actuelle ?
- Je reviens au pays après huit ans et je ne pouvais pas ne pas me rendre à un meeting d’athlétisme. C’est plus fort que moi. Le stade Maryse-Justin est le premier stade synthétique du pays. Surtout, c’est là que ma carrière en athlétisme a vraiment débuté lors des JIOI avec la victoire du relais 4x400 mètres. Pour moi, assister aux championnats d’athlétisme était un retour aux sources. L’infrastructure du stade a changé. Les gradins sont plus vastes mais l’odeur de la piste est toujours là. J’adore cette odeur qui fait battre mon cœur et qui me donne envie de mettre mes pointes et d’aller faire un tour de piste.
À un moment, on m’a demandé de remettre les médailles aux athlètes féminins qui avaient couru le 400 mètres haies. J’ai été honorée. C’était sympa de retrouver les anciens athlètes. Malgré le passage du temps, je les ai tous reconnus– Daniel André, Nadine Benoît, Vivian Gungaram. J’ai eu le plaisir de faire la connaissance de Stephan Buckland. J’ai aussi eu l’occasion de féliciter Henna (Ndlr : Sunassee) en personne et de rencontrer d’autres athlètes, en l’occurrence Orwin Emilien et Dylan Permal. C’était merveilleux d’avoir assisté aux championnats. Les choses ont changé depuis le temps. Il existe aujourd’hui des clubs. Beaucoup d’athlètes m’ont épatée ce jour-là. J’encourage leurs rêves.
 
Quels sentiments a fait naître en vous le fait de revenir dans votre pays natal accompagnée de votre mari et de votre fils ?
- C’est magnifique ! Nous venions assez régulièrement avant 2008. Aujourd’hui, à presque 17 ans, mon fils apprécie mieux le pays natal de sa maman. J’ai tout un programme. Je vais faire connaître à mon mari et à mon fils les endroits de mon enfance et de mon adolescence. Ils ont déjà vu le stade Maryse-Justin. Ils ont voyagé en bus public comme je le faisais pour me rendre à l’école et au stade. Ils sont allés à la plage plusieurs fois et nous avons fait un pique-nique sous les filaos avec ma très grande famille. Nous avons visité quelques patrimoines de l’île qu’il faut absolument préserver. Je pense surtout aux salines de Rivière-Noire. Je leur ferai voir mon ancien collège, le LCC, et ma maison natale à Beau-Champ. Nous visiterons une usine de cannes car j’ai grandi sur une propriété sucrière. Je leur ferai goûter le sucre chaud– un vrai délice. 
Mon fils est un féru d’histoire. J’ai planifié des journées où il visitera les sites historiques, les musées, les maisons coloniales, le jardin de Pamplemousses, la Citadelle, le vieux Mahébourg… qui lui permettront de connaître l’histoire de mon pays. Mardi, nous étions au Morne. Cela m’a donné l’occasion de lui parler de l’esclavage, de lui montrer cette montagne où les esclaves marron se cachaient et ont créé leur propre culture. Je lui ai fait écouter le séga. Un soir, j’emmènerai ma famille voir les ségatiers. Et bien entendu nous visiterons les lieux que je mentionne dans mon roman comme Case Noyale, Chamarel, Curepipe, le port … Tout cela forme partie de mon passé. C’est mon héritage qui est aussi un peu celui de mon fils. C’est un vrai bonheur de partager toute cette richesse avec lui.

« J’enseignerai un cours sur la littérature de Maurice l’année prochaine. »

Et la soirée rencontre et dédicace autour de votre livre « Camp Agonie ». C’est aussi un moment fort de votre séjour à Maurice ?
- Ah oui, absolument ! « Camp Agonie » est sorti en octobre 2014 mais je n’étais pas au pays pour ce lancement. Le 8 juillet sera le vrai lancement. J’aurai l’occasion de rencontrer ceux qui m’ont envoyé leur appréciation de mon roman, de répondre aux questions du public, de faire d’autres rencontres et de leur parler de mon cheminement qui est quand même assez singulier.
 
Vous n’étiez pas présente au lancement de votre livre le 3 octobre 2014. Vous étiez au rendez-vous cette fois lors du deuxième lancement le mercredi 8 juillet. Avec le sentiment d'être arrivée à destination comme vous le confiiez ?
- Pour le premier lancement, j’avais fait une vidéo dans laquelle je remerciais ceux qui m’avaient aidée durant mon parcours. Ensuite, on m’a envoyé des photos du lancement. Quand j’ai vu les photos j’ai ressenti un sentiment de tristesse et de vide. On me célébrait mais je n’étais même pas là. Par contre, cette fois pour le deuxième lancement, c’était un événement. J’étais là, présente, entourée de ma famille et de mes amis, mais aussi des étrangers qui s’étaient déplacés expressément pour venir me voir en personne. 
Pendant le deuxième lancement, j’ai fait des rencontres merveilleuses de femmes et d’hommes qui ont partagé avec moi leur appréciation de mon roman. La rencontre la plus marquante est celle d’une jeune lycéenne d’un village de Maurice qui a lu mon roman et qui a maintenant envie de sortir de sa condition et de devenir sa propre personne. Malgré la trame bouleversante de « Camp Agonie », mes lecteurs ont apprécié le message d’espoir à la fin. Pour moi, ces rencontres et ces partages étaient les moments les plus forts de la soirée dédiée à mon livre.
 
Quand vous jetez un œil dans le rétroviseur avez-vous le sentiment, vous qui aviez bénéficié d’une bourse sport-études, que le sport peut être un tremplin vers la réalisation de soi ?
- Absolument ! Pour moi, il n’y a aucune différence entre courir et écrire. Les deux activités demandent le même effort physique et psychologique, la même discipline, les mêmes douleurs et offrent les mêmes satisfactions. Il faut s’entraîner tous les jours pour devenir un meilleur athlète. C’est la même chose avec l’écriture. Il faut le faire tous les jours. L’athlétisme n’est pas un sport d’équipe. C’est l’athlète contre le chrono. L’athlétisme, comme l’écriture, s’effectue dans la solitude et au bout de cet effort est le résultat : une bonne performance, un record ou un roman. Et même jusqu’à présent je fais du sport sur la piste - pas en compétition. J’enfile mes pointes, je fais des séries sur la piste en essayant de battre le chrono. Je débute chaque journée avec un bon entraînement physique. Cette douce douleur musculaire me prépare pour le reste de ma journée qui est axée sur l’usage du cerveau : l’enseignement d’abord et ensuite l’écriture. Le sport et l’écriture me donnent mon équilibre mental et physique. Il n’y a aucune séparation entre les deux. Ce n’est plus la dualité cartésienne.
 
Avez-vous d’autres projets dans le domaine littéraire ?
- J’ai un deuxième roman qui sort à la fin de cette année, toujours chez Pamplemousses Éditions. Je viens de terminer mon troisième manuscrit. J’ai déjà esquissé la trame du quatrième roman. Je pense que celui-ci plaira aux adeptes de l’athlétisme. J’ai des tas de projets qui m’occuperont pendant longtemps.
 
L’étude de la littérature mauricienne peut-elle trouver place dans le cursus à l'université de Californie où vous enseignez le français ?
- Oui. D’ailleurs mon université – UCR (Ndlr : University of California, Riverside) – a financé mon voyage jusqu’à Maurice justement parce qu’elle souhaite élargir ses horizons et ceux des étudiants. J’enseignerai un cours sur la littérature de Maurice l’année prochaine. C’est une façon magnifique d’établir un lien entre Maurice et les États-Unis. Je sais que quelques auteurs mauriciens se trouvent au cursus de certaines universités américaines. Les auteurs mauriciens produisent des romans exceptionnels, riches et profonds, écrits d’un français magnifique. Je suis fière d’être entrée dans ce cercle. Il faudrait que nos auteurs soient plus enseignés et lus dans les universités américaines. À UCR, la population d’étudiants est en majorité de classe pauvre, de races minoritaires. Ils sont multiculturels et bilingues. Je suis certaine qu’ils se retrouveront dans nos romans. D’ailleurs, nombreux sont les Américains qui m’ont envoyé leur appréciation de mon roman parce que je propose des thèmes universels et actuels. Je parle de l’aliénation, des troubles avec son passé… tout cela possède des éléments qui font de nous des êtres humains.