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Megh Pillay: «Emirates a pris des parts de marché d’Air Mauritius»

26 juin 2015, 00:42

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Megh Pillay: «Emirates a pris des parts de marché d’Air Mauritius»
Megh Pillay, l’ancien patron de MK, évoque les dangers que représentent les trois grosses compagnies aériennes du Golfe persique pour leurs concurrents, le Paille-en-Queue compris. À terme, il craint que Dubayy ne devienne la seule voie d’accès vers Maurice.
 

Air Mauritius a enregistré des pertes de Rs 900 millions. Que cela vous inspire-t-il en tant qu’ancien patron?

Je préfère m’exprimer comme un très petit actionnaire. Une telle perte conjoncturelle pourrait ne pas être désastreuse. Mais quand elle devient chronique et qu’il y a d’autres indicateurs ainsi que des ratios de performance aussi peu reluisants, il y a de quoi s’inquiéter.

 

La situation, quoique grave, n’est pas désespérée. Il y a des signaux très clairs que le gouvernement va remédier à cette situation. Notamment avec la nomination d’Arjoon Suddhoo comme président du conseil d’administration et la prise en charge du secteur par le Premier ministre lui-même. Le premier maîtrise bien les principes de la bonne gouvernance et le second ne s’ingère jamais dans la gestion au quotidien.

 

Comment rentabiliser MK ?

Il faut revoir la structure de gouvernance en premier en respectant le fait que 47% de son capital est détenu par le privé, dont 18% à travers la Bourse. Il faut s’en tenir au Companies Act et souscrire au Code of Corporate Governance sur les rôles et les pouvoirs respectifs des actionnaires, du board et du management.

 

La composition du board de 14 membres, incluant les nominés d’Air Mauritius Holding Ltd (ce qui garantit la représentation statutaire du gouvernement, Rogers, Air France et Air India) est à revoir avec l’introduction d’Independent Directors émanant du monde des affaires mauricien et international et au moins deux Executive Directors parmi le Senior Management.

 

L’ingérence dans la gestion du quotidien est à proscrire. De son côté, le gouvernement doit beef up ses capacités en politique d’accès aérien et faciliter le développement d’un level playing field pour tous les opérateurs sérieux. Les intérêts courants et à long terme du pays doivent être privilégiés au lieu de succomber au charme des Super-Connectors du Golfe et autres opérateurs low-cost.

 

Pourquoi faut-il se méfier d’eux ?

Emirates, Qatar et Etihad ont transformé le paysage de l’aviation mondiale en dix ans. Elles pratiquent des tarifs que nul autre ne peut concurrencer. Elles obtiennent des droits de trafic bien au-delà du potentiel de leur marché en promettant de créer du trafic additionnel. Au fait, elles se limitent à détourner le trafic à travers le Golfe par des offres irrésistibles.

 

Les États-Unis et l’Europe viennent de prendre conscience du danger qu’elles représentent et que nous avons évoqué et combattu il y a dix ans. Au lieu de more choices pour le voyageur, celui-ci fera face à un no choice. Les opportunistes, eux, opèrent en période de pointe seulement. Leur but est d’écrémer le marché. D’autres prennent avantage de l’image de marque de Maurice, construite au fil des années, pour offrir un produit bas de gamme à un tarif réduit, ce qui est incompatible avec l’image de la destination.

 

Les prix inférieurs d’Emirates ne reflètent donc pas l’économie d’échelle et l’efficience de leurs opérations?

Allez sur leur site Web et faites une réservation aller-retour sur Dubayy et sur Paris. Dubayy, qui se trouve à 5094 km de Maurice, vous coûtera Rs 53 000. Et Paris, à 10 338 km, avec escale à Dubayy coûte Rs 42 000. Expliquez-moi comment une ligne aérienne arrive à rentabiliser ses opérations en pratiquant de tels tarifs.

 

Il y a deux semaines, Lufthansa, en déposant devant les autorités américaines, a fait ressortir que les lignes européennes conventionnelles ne pouvaient plus concurrencer ces trois compagnies. Celles-ci ont été subventionnées à hauteur de 42 milliards de dollars durant ces dix dernières années. Lufthansa et autres se voient contraintes de se retirer de plusieurs destinations, dont Maurice, à leur profit.

 

Quelle stratégie adopter ?

Une refonte de notre politique d’accès aérien et une révision des droits de trafic octroyés à tous les opérateurs, low-cost compris. Il serait sage d’envisager un gel de tous les traffic rights qui ne sont pas basés sur la réciprocité et le volume de trafic réel entre pays. Maurice a grand intérêt à suivre de près l’action entamée depuis peu par les pays européens et les États- Unis qui sont affectés par ces pratiques. En 2005, nous avions persuadé le gouvernement que la demande d’Emirates d’opérer sept vols par semaine au lieu de trois n’était pas justifiée parce qu’elle ne transportait aucun touriste additionnel. Elle se contentait de dévier le trafic existant à travers Dubayy.

 

Emirates opérait en code-share avec MK sur trois Airbus A340-300 offrant 900 sièges par semaine, soit 46 800 par an. MK ne vendait presque rien. Aujourd’hui, Emirates opère 14 vols par Airbus A380, soit 7 700 sièges par semaine. Cela représente plus de 400 000 sièges sur Maurice par an.

 

À cette cadence, on aurait dû dépasser un million et demi d’arrivées de touristes. La réalité c’est qu’elle n’apporte pas grand-chose. Elle a simplement pris les parts de marché de Lufthansa, d’Alitalia, de British Airways et d’Air Mauritius. Si nous persistons sur cette voie, Dubayy deviendra la seule porte d’accès de Maurice.

 

Air Mauritius doit-elle accueillir un partenaire stratégique au sein de son capital pour pouvoir mieux se défendre ?

Aucun partenaire stratégique n’est assez fort pour contrer ce danger. Il n’y a que le gouvernement qui puisse agir. Air Mauritius est le pilier sur lequel reposent de nombreux pans de l’économie nationale. Un partenariat équitable garantissant les exigences de la souveraineté n’est malheureusement pas envisageable dans la conjoncture.

 

Les conditions ne sont pas réunies aujourd’hui pour envisager un tel partenariat. Si on insiste, on tomberait facilement dans les bras d’un autre Super Connector connu pour sa stratégie de prendre le contrôle des lignes jouissant d’un bon réseau de base et surtout d’un portefeuille important de droits de trafic internationaux. Nos amis des Seychelles et autres en savent quelque chose.

 

En ce qui concerne les efficiences opérationnelles et commerciales, Air Mauritius devra plutôt se concentrer à construire des alliances stratégiques. Malgré ses déboires, elle reste le transporteur de choix sur son home-base. Le vol direct restera toujours un avantage qu’un gros segment du marché préfère.

 

Quelle est la solution pour MK ?

Elle doit s’engager et se concentrer sur un business plan bien conçu, visant un retour de la rentabilité. Il y a en son sein l’expertise et l’expérience nécessaire pour le faire. Il suffit de les mobiliser et de leur donner l’opportunité dans un cadre de travail respectable. La flotte doit être modernisée rapidement même s’il faut commencer par l’intérieur des appareils en service. Marketing, finances, planning, opérations et ressources humaines sont les facteurs clés du succès à être examinés d’urgence.

 

MK a-t-elle été bien inspirée de s’offrir six A350-900 au vu de ses finances ?

Difficile de répondre quand on ne connaît pas le rationnel d’une telle décision. Le choix d’un avion est un exercice très complexe nécessitant l’apport technique des experts internes et externes et des avionneurs en compétition. Sa capacité à mieux remplir l’intégralité de ses missions sur la période de l’investissement de 15 ans ou plus doit être clairement établie. Quels sont les montages financiers? Comment payer ces acquisitions? Impossible de tirer des conclusions sans information.

 

Pourquoi les autres gros actionnaires ont-ils laissé la situation pourrir ? Que pensez-vous de la nomination au board d’un homme accusé de corruption au port ?

L’abdication de la responsabilité fiduciaire de certains de leurs nominés au conseil d’administration a probablement «légitimé» l’ingérence externe et contribué au déclin d’Air Mauritius. On peut croire que cette attitude a été dictée par un souci d’éviter de froisser les sensibilités des maîtres politiques du jour. En ce qui concerne l’autre question, une simple accusation n’interdit pas la nomination de quelqu’un connu pour ses compétences.

 

Ou un organisateur d’anniversaire du Premier ministre ?

Si vous faites référence à la personne à qui je pense, je dois vous dire que j’ai moi-même croisé le fer avec elle quand j’étais directeur-général d’Air Mauritius et même quand je présidais l’Annual General Meeting de 2005. Elle n’a pas sa langue dans sa poche et articulait avec véhémence la position des petits opérateurs hôteliers qui font partie de notre chaîne de valeur et aussi les petits actionnaires. Je pense qu’il a sa place dans un conseil d’administration de 14 membres dans la mesure où il peut apporter aux délibérations une perspective intéressante et valable.

 

Avez-vous fait acte de candidature pour le poste de CEO de MK ?

Non. En réponse à votre journal lors de mon départ d’Air Mauritius fin septembre 2005, j’avais dit que je partais sans regret parce que je n’y suis pas arrivé pour faire carrière mais pour remplir une mission ponctuelle à un moment où MK était perturbée par les douloureux événements que vous connaissez.