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Alain Romaine, prêtre et auteur : «Il nous reste encore à découvrir ce qu’est vraiment l’âme africaine»

17 mai 2015, 15:44

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Alain Romaine, prêtre et auteur : «Il nous reste encore à découvrir ce qu’est vraiment l’âme africaine»

La célébration, le lundi 25 mai, de l’Africa Day, était pour Alain Romaine l'occasion de livrer ses réflexions sur des préjugés coloniaux et sur de fausses représentations associées à l’africanité et à la créolité.

 

L’Africa Day est-elle une journée qui a du sens à Maurice ?

C'est l’occasion pour nous de faire valoir notre identité et notre appartenance. Après, l’année prochaine, on se retrouvera à faire la même chose. On est toujours dans les mêmes conceptions. La grosse question qui reste est la suivante : c’est quoi l’Afrique ? Maurice fait certes partie de l’Union africaine. Or, lorsque je rencontre des Africains, ils ne me reconnaissent pas comme un Africain.

 

Qu’est-ce qu’ils vous disent ?

Ils me reconnaissent comme un Occidental ou comme quelqu’un de type indien. Et il ne s’agit pas uniquement de l’aspect physique. Pour eux, je n’ai pas l’âme africaine.

 

■  Ça fait mal ?

Oui, parce que je me revendique héritier de l’Afrique, de par l’histoire et de par l’être créole que je suis. J’entends surtout dans cette réflexion que l’Afrique, telle qu’on la perçoit, c’est le regard des Occidentaux et c’est cela qu’ils récusent.

 

■  Nous sommes colonisés au point d’avoir le même regard que le colonisateur sur l’Afrique ?

C’est cela. Quand on parle de l’Afrique, les Africains ne se reconnaissent pas dedans. Nous avons des conceptions héritées du colonialisme. Lesquelles ? Que l’Africain est un nègre, qu’il est sous-développé, sous-humain, voire un peu sauvage. Quand les Européens parlent de l’Afrique, ils mettent tout cela dans le même panier. Mais l’Afrique est multiple, avec une âme commune. C’est le berceau de l’humanité.

Pour en revenir à notre héritage africain, nous avons ce filtre colonial. La plupart d’entre nous traînent les préjugés que les puissances coloniales nous ont transmis, surtout le racisme. C’est pour cette raison que quand les gens des terres d’Afrique viennent à Maurice, ils disent qu’ils ne sentent pas qu’ils sont en Afrique. Ils demandent où sont les descendants de l’Afrique. Ils ne les voient pas, surtout quand ils sont dans les instances officielles.

Nous, Mauriciens, devrions enlever ce masque colonial que nous portons malgré nous, pour vraiment découvrir ce qu’est l’âme africaine. (Se référant à Les créoles des idées reçues, Aux origines du racisme anti-africain à l’île Maurice, cosigné avec Serge Ng Tat Chung, paru en 2010). Il y a tout un travail à faire pour se débarrasser de nos lunettes coloniales, pour avoir un nouveau regard sur la terre d’Afrique. Pour voir son âme, l’harmonie, la joie, la communauté, la «reliance», je veux dire le rapport aux ancêtres, qu’on ne voit pas. Ceci dit je n’ai pas une vision idyllique de l’Afrique. Il y a la violence, la misère, le sous-développement, les guerres tribales, les razzia, les réfugiés, entre autres.

 

Y a-t-il une idée reçue plus tenace que les autres ?

Oui. Il s’agit de ce regard de mépris, voire paternaliste. Prenez le cas des étudiants africains chez nous. J’ai eu l’occasion d’en côtoyer certains. Ils ont la fierté africaine. C’est quelque chose que nous pouvons voir quand nous allons à Rodrigues. Les Rodriguais n’ont pas le poids que nous portons. Quand un Africain va à Rodrigues, il se sent en terre africaine. Cela ne se commande pas et ne se raisonne pas. Cela se sent.

 

Il appartient à qui d’initier un changement de regard ?

À ceux qui tiennent des discours sur l’Afrique.

 

■  Les hommes politiques ?

Ils ne voient que les opportunités économiques, point. Cela commence par les Créoles, qui doivent déconstruire la vision coloniale pour retrouver l’identité africaine dans son originalité. Une démarche bien difficile. Car la créolité nous place sur une autre planète ; la planète mondiale, la planète du futur. Or, nous embarquons avec nous la conception coloniale.

 

■  Si on n’a pas la bonne perception de l’Afrique, c’est la créolité qui est faussée ?

Oui, parce qu’elle sera toujours marquée par la vision coloniale.

 

■  Est-ce que cela passe aussi par un prochain évêque de Port-Louis qui soit de descendance africaine ?

Cela n’a rien à voir. On est encore une fois dans des représentations. Comme aux États-Unis, où l’on a eu le premier président noir. Mais la politique des États-Unis a-t-elle vraiment changé ? Ce n’est pas parce qu’il y a un évêque créole que cela améliorera le sort des Créoles, qu’il n’y aura plus de poches de pauvreté. Il ne faut pas lui donner une importance démesurée et qui relève pour moi, du fantasme.