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Jack Bizlall, militant anticorruption: «Tout le monde est responsable de ce pourrissement»

13 février 2015, 00:11

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Jack Bizlall, militant anticorruption: «Tout le monde est responsable de ce pourrissement»

Le syndicaliste estime que l’ex-Premier ministre s’est brûlé les ailes car il se croyait intouchable. Il propose que Maurice copie les États-Unis, où tout cadeau reçu par le président devient propriété de l’État.

 

Commençons par le nouveau sport national. À combien estimez-vous l’argent caché de l’ex-Premier ministre ?

Si je combine ce que le couple Navin Ramgoolam-Nandanee Soornack a pu amasser durant ces dernières années, ça doit tourner autour de Rs 2 milliards. Et là, je ne parle que du minimum.

 

Comment expliquez-vous une telle accumulation de richesses ?

Elle aurait été engrangée à la faveur de multiples tractations en tout genre. Il ne faut pas oublier le business des terres de l’État. J’ai déjà adressé une lettre au secrétaire du Cabinet pour lui demander d’ouvrir une enquête sur certaines pratiques. Des sociétés sont créées pour obtenir des Pas géométriques dans le cadre d’hypothétiques projets hôteliers. Après l’obtention du bail, le bénéficiaire empoche des millions de roupies en troquant des parts de sa société à des étrangers.

 

Rien de nouveau sous les cocotiers donc… Pourquoi les institutions n’ont-elles pas réagi ?

Alors que je m’époumonais contre la gestion du pays par Navin Ramgoolam, l’opposition parlementaire s’est ridiculisée en s’associant avec lui. Ça a été une tentative désespérée de le sauver d’éventuelles poursuites. De nombreux businessmen et des hommes de loi se sont également ralliés à lui afin de bénéficier d’avantages post-électoraux. Certains journaux indépendants  ont été complaisants à son égard. Ou ils ont eu peur de s’attaquer à lui. En fin de compte, tout le monde est responsable de ce pourrissement. Y compris les institutions et les citoyens. C’est drôle qu’aujourd’hui, beaucoup se posent en critiques et en justiciers. Navin Ramgoolam est en train de payer pour ses excès.

 

La route de l’excès ne mène-t-elle pas au palais de la sagesse ?

Navin Ramgoolam a voulu émuler sir Gaëtan Duval dont la vie a été très extravagante. L’ex-Premier ministre a brillé par un excès de confiance. Il s’est cru intouchable. S’il avait été élu le 11 décembre, non seulement n’aurions-nous rien su, mais les abus se seraient probablement perpétués.

 

Êtes-vous étonné qu’autant de liquide soit trouvé chez un leader politique ?

Absolument pas ! Des leaders d’autres formations politiques ont sûrement conservé des sommes tout aussi importantes. Il faut se rendre à l’évidence : aucun dirigeant ne sera en faveur d’un contrôle strict des donations. Il faudra voter une loi telle qu’il en existe aux États-Unis où tout cadeau reçu par le président devient de facto propriété de l’État.

 

Qu’est-ce que la police doit faire de cet argent si sa provenance ne peut être expliquée ?

Il doit être saisi. J’ai proposé qu’un National Housing Fund soit créé avec. On y reverserait aussi une taxe prélevée aux riches étrangers s’étant offert des villas IRS, l’idée étant d’offrir une maison aux plus démunis. Vous savez, Al Capone n’a pu être jeté en prison que grâce aux enquêtes du fisc. Si la Mauritius Revenue Authority fait bien son travail par rapport à Navin Ramgoolam et d’autres hommes politiques, de même que certains hommes d’affaires proches de ceux-ci, des milliards de roupies atterriront dans les caisses de l’État.

 

Certaines personnes s’enrichissent du jour au lendemain et aucune enquête n’est ouverte…

Une nouvelle loi sur la taxe sur les revenus doit être votée. Il faut aussi un suivi des projets commandités par le gouvernement. Surtout pour les routes qui ne sont pas construites selon les normes. Les sociétés ayant mal fait leur travail doivent passer à la caisse. Une Commission justice et vérité permettrait à ceux qui ont touché des pots-de-vin de venir de l’avant et de restituer cet argent à l’État. Et de révéler combien certains candidats et leurs proches ont versé à leur parti.

 

Vous croyez qu’on vit au pays de Candide ?

Il faut juste dire à ces gens que si l’enquête établit qu’ils ont obtenu des pots-de-vin, tous leurs biens seront saisis. Et qu’ils seront passibles de poursuites pouvant les mener en prison. Ils auront un choix à faire. La fraude, la corruption et l’accaparement ont été tels qu’on ne peut faire autrement. Il n’y a pas que Navin Ramgoolam qui est concerné dans cette affaire.

 

Avec toutes les banderoles qu’elle a placées aux dernières élections, l’alliance PTr-MMM n’aurait-elle pas menti sur ses dépenses ?

Toutes les élections, au niveau des dépenses et du financement des partis, ont été entachées d’irrégularités. Si les institutions du pays avaient fonctionné comme il le fallait, certaines personnes n’auraient pas siégé à l’Assemblée nationale. Dans le cadre de la loi, chaque candidat doit déclarer l’argent collecté et ses dépenses. Or, sur les deux plans, Navin Ramgoolam aurait triché. S’il explique que l’argent saisi chez lui provient de donations mais que celles-ci n’ont pas été déclarées, il est passible d’autres poursuites.

 

Combien pèse le MSM ?

Je ne crois pas que sir Anerood Jugnauth serait en mesure de répondre à cette question. Il faut la poser à ceux qui gèrent le patrimoine du Sun Trust. Dans le cadre de l’affaire qui nous concerne, il y a trois banquiers, voire quatre, qui sont passibles de poursuites. Ils sont impliqués jusqu’au cou dans les transactions de Navin Ramgoolam. Il ne faut pas se leurrer. Beaucoup d’argent aurait été placé à l’étranger à travers des porteurs de valise.

 

Quel serait le montant du trésor de guerre du MMM ?

Auparavant, il n’y avait pas suffisamment de fonds pour faire fonctionner le secrétariat du MMM. Rashid Beebeejaun a beaucoup contribué au parti. Mais ni le PTr, ni le PMSD, ni le MMM n’ont de trésor de guerre : ce sont les leaders qui tiennent les cordons de la bourse. Si on étudie les comptes des grosses sociétés, on saura ce qui a été versé aux grands partis. Mais est-ce noté dans les livres de comptes de ces entreprises ?

 

Où en êtes-vous avec votre livre sur Navin Ramgoolam et Nandanee Soornack ?

Il était censé être publié cette année dans le cadre d’une éventuelle victoire de l’alliance PTr-MMM. Le but était de dénoncer la IIe République, voire l’arrangement entre Paul Bérenger et Navin Ramgoolam pour étouffer les manquements de ce dernier. J’ai travaillé sur de nombreux dossiers liés aux transactions de Nandanee Soornack et Rakesh Gooljaury qui m’ont été remis par une personne perspicace qui a mené sa propre enquête. J’ai constitué une équipe qui étudie ces dossiers. Je me suis retrouvé face à une toile d’araignée rassemblant Navin Ramgoolam, Nandanee Soornack, Rakesh Gooljaury et certaines personnes qui leur sont proches. Celles-ci avaient des postes à responsabilité  au sein de l’appareil d’État et facilitaient certaines transactions. Les Mauriciens savent qui sont ces personnes.

 

Qui a eu le plus mauvais rôle dans cette nébuleuse ?

Rakesh Gooljaury. Il est le plus grand bénéficiaire des largesses de Navin Ramgoolam mais  cela ne l’a pas empêché de dénoncer ce dernier pour tenter d’obtenir l’immunité. Rakesh Gooljaury est mouillé dans beaucoup de scandales et même si un de ses avocats est aujourd’hui membre de la majorité gouvernementale, il ne pourra pas s’en tirer.