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Jack Bizlall: «Bérenger au Réduit, ça ne m’étonnerait pas»

23 novembre 2014, 10:06

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Jack Bizlall: «Bérenger au Réduit, ça ne m’étonnerait pas»

Une reculade sur la IIe République, c’est le scénario qu’il envisage. Sa promesse de campagne : ne pas en faire. Sa tête de Turc préférée : Paul Bérenger. Le reste ? Un voyage dans la galaxie Bizlall, entre cosmologie, pigeonnier et robe à six mille balles.

 

Pourquoi êtes-vous candidat aux législatives ?

Le but principal n’est pas d’être élu, je suis candidat pour ma paix d’esprit. Je suis fatigué d’entendre qu’il n’y a pas d’autre solution que de voter pour l’un des deux blocs. Être candidat, c’est dire aux gens : «Voilà, vous avez un autre choix.»

 

En politique, dit Machiavel, «le choix est rarement entre le bien et le mal, mais entre le pire et le moindre mal». Êtes-vous ce moindre mal ?

Non. Le «moindre mal» est plus dangereux que «le pire». Le pire, on sait ce que c’est, on peut l’affronter. Le moindre mal est plus pernicieux, il vous tue à petit feu.

 

Vous êtes candidat sous la bannière «L’Entente pour la Démocratie Parlementaire».  Vous n’avez rien trouvé de plus sexy ?

Il y a une explication. Le MMM et le PTr nous proposent une République semi-présidentielle incompatible avec les valeurs démocratiques. Cet intitulé est une façon de nous démarquer et de dire notre attachement à la démocratie parlementaire.

 

 Comment «vos» candidats ont-ils été choisis ?

Sur la base du volontariat. Nous alignerons 20 candidats dans une quinzaine de  circonscriptions. Celles où nous n’allons pas sont celles où nous n’avons eu personne. Nous voulions des candidats qui habitent la circonscription.

 

 Sincèrement, l’un d’eux a-t-il une microchance d’être élu ?

(Il enlève ses lunettes) Sincèrement, c’est une question assez emmerdante.

 

 Mais ce serait bien d’y répondre…

Dire ouvertement qu’aucun de nous ne s’attend à être élu serait manquer de respect à nos électeurs. Qu’ils soient dix, 100 ou 1 000…

 

 Il y en a déjà un, Somduth Dulthumun.

Les journaux lui accordent trop d’importance.

 

 Il a annoncé qu’il voterait Bizlall, vous le prenez comment ?

Il ne le fera pas. Comme beaucoup de Mauriciens, il hésite entre les deux blocs, alors il cherche une troisième voix. Mais je ne pense pas qu’il votera pour moi.

 

 Pouvez-vous lui donner une bonne raison de le faire ?

Je suis un homme honnête. J’ai une vie, une conduite politique. Je ne suis ni un imbécile ni un ignare. En toute modestie, ce n’est peut-être pas pour rien que les journaux font si souvent appel à moi.

 

Votre cote de crédibilité médiatique est aussi forte que votre cote électorale est faible. Vous l’expliquez comment ?

Je suis conscient de cela et c’est voulu. Je n’ai pas quitté le MMM pour faire du Bérenger. D’ailleurs, je suis sans doute le seul militant qui est resté MMM. J’avais dit ça un jour à Bérenger : «Toi, tu quitteras le MMM, pas moi», et je ne me suis pas trompé. Je déteste la hiérarchie, les leaders, les gourous, tous ces marchands de servitude. Je ne suis pas un leader et je n’en ai pas.

 

 Marx et Trotski sont qui pour vous ?

J’aime beaucoup mais ce ne sont pas mes dieux. Au risque de vous surprendre, la politique n’est que la septième de mes préoccupations après la philosophie, la cosmologie, la métaphysique, la psychanalyse, la linguistique et les sciences en général.

 

 Êtes-vous un scientifique qui est passé à côté de sa vie ?

(Il réfléchit) Non. Ma vie m’a permis d’être un chercheur. Si je n’avais pas eu cette vie-là je n’aurais pas développé cet intérêt pour les sciences.

 

 Globalement, cette campagne vous inspire quoi ?

Les gens se posent des questions. Enfin ! Je sens les électeurs plus réfléchis, cela me rappelle un peu les élections de 1976. Cela dit, des sujets importants sont zappés, comme la fracture sociale. Les possédants progressent, les démunis se précarisent davantage. Plus de 100 000 Mauriciens touchent moins de Rs 6 000. Tout en haut, les salaires supérieurs à un million ne sont plus une exception. La fracture, c’est deux morceaux de société. Quand cette cassure se fait, il n’est plus possible de recoller les morceaux sans révolte, sans secousse.

 

 «Le but n’est pas d’être élu», dites-vous. Cela veut dire que la dignité est dans la lutte, pas dans l’issue du combat ?

Cela veut dire que l’objectif n’est pas demain mais après-demain. La vraie bataille, ce n’est pas les législatives, c’est la lutte contre leur IIe République. Sans ce projet, je n’aurais pas été candidat.

 

 Vous appeliez à l’union de la gauche, avec Lalit et Rezistans ek Alternativ. Pourquoi cela ne s’est pas fait ?

À cause des leaders et de leur instinct grégaire. Lindsey Collen et Ashok Subron auraient pu assumer des responsabilités importantes dans une gauche rassemblée, mais non, ce n’était pas suffisant. Ils veulent à tout prix diriger, éliminer, écarter. Nous n’avons n’a pas la même vision. Si un jour ils arrivent au pouvoir, ils ne construiront rien de nouveau.

 

Les différences n’empêchent pas d’avoir un projet commun…

On a essayé dans le passé, ça n’a pas marché. Et puis, ils m’ont personnellement manqué de respect. Cela dit, si demain nos organisations veulent s’unifier sans moi, je serai ravi.

 

Qu’est-ce qui vous différencie, fondamentalement ?

Je n’ai pas d’itinéraire politique, je n’en ai jamais eu, j’ai un cheminement. Celui qui a un itinéraire court derrière quelque chose, c’est Bérenger qui court derrière le pouvoir. Moi, seul le chemin m’intéresse, les rencontres. Je me fous de l’itinéraire parce que la ligne d’arrivée, on la connaît : on finit tous par crever.

 

 Pourquoi cette fixette sur Paul Bérenger ?

Ce n’est pas une fixette. Regardez le, il n’a pas d’amis, pas de loisirs, il antagonise tout le monde. Même ses mandants à Rose-Hill n’en peuvent plus. Paul Bérenger est en perdition et il n’a personne pour le lui dire, c’est triste. Même Bhagwan – «mo prefer bwar Lyzol olie mo al fer enn lallians avek parti travayis» – se tait. L’incapacité à se débarrasser de la soumission à Bérenger, voilà le drame du MMM. Dernièrement, quelqu’un m’a dit qu’on lui érigera un jour une statue. Si je suis encore en vie, je construirai des pigeonniers tout autour.

 

 La haine est la colère des faibles…

(Il hausse le ton) Vous ne comprenez rien, je n’ai aucune haine. Je veux que les gens se souviennent aussi des gabegies et des trahisons de cet homme. Bérenger était un ami, vous savez. Je lui en veux plus qu’à d’autres parce que lui n’a pas l’excuse de l’ignorance. Bérenger, c’est d’abord quelqu’un qui sait. Il a beaucoup lu, beaucoup appris. Il ne se trompe pas de bonne foi, c’est un manipulateur pervers. Sa présentation de la IIe République est mensongère et il le sait.

 

Où est le mensonge ?

Bérenger nous vend une avancée démocratique, un rééquilibrage du pouvoir entre le Premier ministre et le président de la République. Faux ! Cette IIe République est une diminution des pouvoirs du Parlement au profit d’un homme, le président de la  République, qui devient tout-puissant. Bérenger est trop intelligent pour ne pas l’avoir compris. «The President may dissolve the National Assembly», dit le projet. On va imiter la France en faisant du président un monarque, c’est un recul démocratique. Les gens n’ont pas compris qu’un changement constitutionnel de cette nature doit se projeter loin, pas à dix ans ni même à cinquante. Et, sur le long terme, la IIe République ouvre la voie à une troisième, totalement présidentielle celle-là, où le Parlement perdrait sa fonction législatrice pour n’être plus qu’une assemblée consultative, voilà le danger. Le problème n’est pas tant Ramgoolam président, mais qui viendra après. Ah, pauvre Maurice…

 

 Êtes-vous heureux dans ce pays ?

(Long silence) Dans ma vie personnelle je suis très, voire trop heureux. Ouais, un peu trop… (Il s’interrompt) C’est dégueulasse pour ceux qui souffrent ce que je viens de dire, oubliez ça. Dans ma vie publique, mon cheminement continue. Mais quelle importance, hein ? Le moi n’a pas d’importance, seul le soi en a une.

 

J’en fais quoi de cette phrase ?

Attrapez-la et enrichissez votre champ, c’est-à-dire votre capacité à vous construire sur le plan intellectuel, éthique et esthétique.

 

Sinon, vous en êtes où avec les drogues ?

(Direct) Pas une seule personne sur Terre ne se drogue pas, d’une façon ou d’une autre. La mienne, c’est l’écriture et la lecture. J’écris tous les jours, j’en ai besoin pour me sentir vivant, pour me construire. Vous lirez la semaine prochaine notre programme électoral. C’est un texte que j’ai pris beaucoup de plaisir à écrire.

 

 En lisant la Constitution, vous donnez combien de chances à la IIe République de passer ?

Deux options sont possibles. La première, extrêmement contraignante, est dictée par l’article 47.3 : un référendum approuvé à 75 % par le peuple, puis un vote à l’unanimité du Parlement. Là, je ne suis pas inquiet, c’est mission quasi-impossible. Avec cette section, le législateur a verrouillé à double tour notre République parlementaire. Le tandem Ramgoolam-Bérenger va donc essayer de passer par l’article 47.2, c’est-à-dire un vote des trois quarts du Parlement. Et c’est là que je dis non. La Cour suprême, le Privy Council, j’irai jusqu’au bout. Il faut s’attendre à une bataille juridique de cinq ans.

 

 Pensez-vous que la coalition PTr-MMM remportera les trois quarts des sièges ?

En circulant dans le pays, je me suis aperçu d’une chose : la majorité des gens souhaitent que le poste de Premier ministre soit occupé soit par Navin Ramgoolam, soit par Anerood Jugnauth. D’ailleurs, qui vous dit que ce tandem ne se reformera pas en 2015 ? Nous ne sommes probablement pas au bout de nos surprises.

 

 Cela ne répond pas à la question : trois quarts or not trois quarts ?

Je ne m’aventurerai pas dans un pronostic. Disons que la tendance est défavorable à la coalition travailliste-MMM. En organisant rapidement des élections, ils ont escamoté le débat. Cela crée chez les gens de l’incertitude et de la défiance qui joue contre cette coalition.

 

Si la IIe République ne passe pas, il se passe quoi ?

Bérenger au Réduit, ça ne m’étonnerait pas. Il ne pourra pas rester ministre de Ramgoolam, les principaux ministères sont déjà pris. Pas de IIe République, Bérenger président, Ramgoolam Premier ministre, c’est très plausible. La seconde possibilité est un partage du gouvernement.

 

«On ne ment jamais tant qu’avant les élections, pendant la guerre et après la chasse.» Que vous inspire cette phrase ?

(Rire) C’est vrai ! On ment énormément avant les élections. Même pendant, on se ment, le vote est un acte schizophrénique. Dans l’isoloir, l’électeur sait tout. Il sait que Bérenger est un pouvoiriste, Ramgoolam un jouisseur, le citoyen rêve d’autre chose pour son pays, et pourtant il continue de les soutenir. Qu’est-ce qu’une élection, dans le fond ? Une opération par laquelle les citoyens se choisissent des maîtres. L’électeur se croit libre mais en vérité il est soumis. C’est aussi pour cela que je suis candidat, pour que chaque électeur affronte sa schizophrénie et ressorte de l’isoloir en se disant : «Cette fois, je ne me suis pas menti.»

 

En parlant de mensonge, quel regard portez-vous sur la surenchère de promesses ?

Les promesses ont un impact énorme sur les électeurs. Faites le test, vous verrez. En  rentrant chez vous, tout à l’heure, faites croire à votre femme que vous allez lui offrir une robe à Rs 6 000 pour son anniversaire. Le jour J, dites-lui que vous n’avez pas trouvé l’argent mais que l’année prochaine elle aura deux robes ; elle sera heureuse.

 

 Je peux vous l’envoyer si ce n’est pas le cas ?

Elle sera ravie, je vous dis ! Les promesses rendent les gens heureux, c’est psychologique. Si les Mauriciens dépensent autant d’argent dans les jeux de hasard, c’est parce que chaque mise est une promesse.

 

 Quelle est la vôtre ?

Nous n’en faisons pas, ce qui évidemment, nous dessert. Nous continuerons  d’accompagner tous ceux qui se battent pour la défense de nos droits et nos libertés. Mais ça, ce n’est pas une promesse, c’est notre raison d’être. 

 

Si Paul Bérenger, là, maintenant, venait s’asseoir à cette table, quelle question lui poseriez-vous ?

Tu t’es trompé de porte ?