Publicité

Leela Devi Dookun-Luchoomun: «Nous aussi, nous voulons la majorité de trois quarts!»

19 octobre 2014, 09:59

Par

Partager cet article

Facebook X WhatsApp

Leela Devi Dookun-Luchoomun: «Nous aussi, nous voulons la majorité de trois quarts!»

L’appétit vient en mangeant, paraît-il. Visiblement, l’ancienne ministre de la Culture (2004-2005) et de la Sécurité sociale (2010-2011), et candidate MSM de l’alliance Lepep, a encore faim. Pour des promesses électorales chiffrées, en revanche, il faudra repasser.

 

Vous êtes diplômée en zoologie. Est-ce un atout dans la jungle d’une campagne ?

(Sourire) Au risque de vous surprendre, oui ! La zoologie est une branche de la biologie, on apprend à connaître les différentes espèces vivantes, ce n’est pas inutile quand on travaille sur l’humain. Parfois, en discutant avec les gens, il m’arrive de les associer à une plante, à un animal. Beaucoup de choses me passent par la tête…

 

En campagne, voyez-vous des mâles dominants partout ?

Non, je ne suis pas une femelle dominée. Cela m’agace quand j’entends dire que les femmes sont exclues de la vie politique, qu’elles subissent, qu’elles ne se bougent pas, c’est faux ! Les Mauriciennes sont sous-représentées au Parlement, c’est un autre problème. Elles se battent pour essayer de s’imposer, croyez-moi, mais l’establishment masculin n’a aucune envie de bouger. Il ne faut rien attendre à ce niveau-là. Moi, ma place, j’ai été la chercher toute seule.

 

C’était lors des municipales de 1996, une élection que vous perdez.

J’ai bâti trois victoires consécutives sur cette défaite (elle a été élue aux élections législatives de 2000, 2005 et 2010, NdlR).

 

Le MSM est-il plus phallocrate que les autres ?

Non, le MSM a fait un effort. En 2000, j’étais la seule femme parlementaire. Après les élections de 2010, nous étions quatre, ensuite il y a eu la cassure…

 

C’est la saison des promesses, et une promesse est une dette (elle coupe)…

Certainement.

 

N’avez-vous pas le sentiment que le MSM s’endette dangereusement ?

Non. Le MSM a toujours réfléchi avant de promettre. Notre mesure phare, la pension de vieillesse à Rs 5000, ne sort pas de nulle part. Le problème, c’est le pouvoir d’achat, la paupérisation des Mauriciens, des personnes âgées en particulier. Nous voulons mettre fin à cette spirale, d’où cette proposition.

 

Vos adversaires la jugent irréaliste car trop dépensière.

L’évaluation de Rama Sithanen est fausse. Il part sur une base erronée de 250 000 bénéficiaires alors qu’ils sont 165 000 (177 000, selon le dernier décompte de Statistics Mauritius, NdlR). Il chiffre cette mesure à 4,5 milliards par an mais c’est bien moins.

 

Combien ?

Nos experts qui ont fait le calcul le savent.

 

Et pas vous ?

Si, mais je n’ai pas l’intention de le dire (Rs 3 milliards par an, selon nos calculs, NdlR).

 

Vous êtes bien mystérieuse...

Ah, mais il le faut ! Vous ne trouvez pas le Premier ministre mystérieux, vous ? On attend la date des élections, les mystères planent partout ces temps-ci…

 

Bon, et comment comptez-vous financer cette mesure au coût impénétrable ?

Nous savons exactement comment nous allons financer toutes les mesures proposées aux électeurs, ne vous tracassez pas.

 

Comment ne pas l’être ? Vous jetez des propositions «toutes nues». Et voulez-vous qu’on vous prenne au sérieux ?

(Agacée) Mais enfin ! Nous sommes des gens sérieux ! Je suis sérieuse ! Il faut nous faire confiance…

 

Pourquoi voudriez-vous que les Mauriciens fassent confiance à des gens qui proposent un parchemin mystérieux en guise de programme ?

Écoutez-moi bien: l’alliance Lepep a pris un engagement, elle l’honorera. Un programme définit un cap, une philosophie, des objectifs. À ce stade, je ne vois pas l’intérêt de dévoiler le mécanisme de ce que nous proposons.

 

L’intérêt, Madame, est de savoir si le MSM brasse du vent ou pas. La construction de 2 000 logements par an, la baisse du prix des carburants, toutes ces promesses, comment les financerez-vous ? Le MSM a gagné au Loto ?

Non, mais il ne permettra pas le gaspillage. Sir Anerood l’a annoncé : il mettra sur pied une équipe chargée de contrôler les dépenses de chaque ministère. Vous évoquez les carburants, eh bien, depuis belle lurette, le prix du pétrole a baissé sur le marché mondial. Or cette baisse n’a pas été répercutée à la pompe. Les automobilistes financent l’achat de bus en payant leur essence, ce n’est pas normal! (Elle fait référence au Bus Replacement Mechanism, une taxe d’une roupie par litre d’essence pour aider les compagnies de bus à renouveler leur flotte, NdlR). Mais encore une fois, je ne vais pas vous donner tous les détails…

 

Ah mais si !

Ah mais non ! (le ton monte)

 

Ah mais si, parce qu’une proposition non-chiffrée c’est de la démagogie.

Ah mais non !

 

Vous préférez l’amateurisme ?

Pas du tout ! L’alliance Lepep compte trois anciens ministres des Finances ! (on coupe)

 

A fortiori. Ils ne sont pas fichus d’être un peu précis ?

Ils sont précis, ils savent exactement ce qu’ils font. Seulement, à ce stade, nous n’avons pas l’intention de dévoiler quoi que ce soit. Si on le fait, nos adversaires sauteront dessus.

 

Près de 12 000 familles à Maurice vivent dans l’extrême pauvreté. Que leur dites-vous ? On va improviser deux ou trois trucs pour vous aider ?

Improviser ? Le MSM n’improvise pas, Monsieur. Si vous souhaitez parler  d’improvisation, parlons-en. Le gouvernement sortant a dépensé des sommes énormes pour lutter contre la pauvreté ; pour quel résultat ? Au Parlement, j’ai posé la question: combien de familles sont-elles sorties de la pauvreté ? Suren Dayal a été incapable de me répondre. Il n’y a pas de monitoring, on navigue à vue, personne ne sait qui bénéficie de quoi. Dans ma circonscription, des gens ont fait des demandes pour des feuilles de tôle et des poteaux. C’était il y a deux ans, ils attendent toujours…

 

Et vous, que comptez-vous faire si vous êtes au pouvoir ?

Nous avons travaillé sur trois projets : la construction de 2 000 logements par an, l’introduction d’un salaire minimum et la distribution quotidienne d’un repas chaud gratuit pour tous les écoliers du pays.

 

«Nous serons un gouvernement de compassion», a dit Xavier Duval. Croyez-vous que c’est de compassion dont les personnes démunies ont besoin ?

La compassion est quelque chose d’important, mais ça ne suffit pas. Face à la pauvreté, je crois davantage aux vertus du hands up que du hands down. Il faut s’assurer qu’au moins une personne, dans chaque famille ait un emploi et il faut l’accompagner pour qu’elle le garde.

 

Sur les promesses de campagne, les deux alliances ont des discours radicalement opposés. Vos adversaires jouent la carte de la sobriété et du moyen terme. L’alliance Lepep, elle, promet de réaliser très vite 12 changements importants et fait miroiter un «deuxième miracle économique». De deux choses l’une: soit ils manquent d’ambition, soit vous manquez de réalisme. Vous en pensez quoi ?

Nos mesures relèvent du possible, c’est un principe. Personnellement, je ne fais jamais de promesse. Je dis juste une chose : «Je ferai de mon mieux pour vous aider. Le jour où je ne pourrai pas le faire, je vous le dirai.»

 

Pourquoi vous interdire personnellement ce que vous cautionnez collectivement ?

L’approche est différente au sein d’un parti – et a fortiori d’une alliance – parce que les sensibilités sont différentes. Nous faisons de la politique autrement (on coupe)…

 

On va éviter les slogans creux si vous voulez bien…

Nous allons le faire avec le coeur, et ça, c’est vrai.

 

On va éviter aussi de chaparder les symboles du camp d’en face...

(Sourire) OK, je laisse son cœur à M. Bérenger. Mais laissez-moi vous dire une chose : le MSM a pour habitude de dire ce qu’il fait et de faire ce qu’il dit. Quand Pravind est revenu aux affaires, en 2010, il a réalisé toutes ses promesses de campagne. Il a supprimé la National Residential Property Tax et la taxe sur les intérêts, il a rétabli les subsides sur les frais d’examens, etc.

 

Pravind Jugnauth est un génie ?

Sans être un génie, Pravind Jugnauth est quelqu’un sur qui l’on peut compter. Il a tenu ses engagements, he’s a reliable man.

 

Il sera votre colistier à Quartier-Militaire–Moka…

Oui, avec Yogida Sawmynaden.

 

Le désormais célèbre «photographe marron» de Nandanee Soornack…

(Rire) Non, ce n’est pas gentil ça ! Il photographiait les agents travaillistes qui passaient d’une classe à une autre (au collège Maurice Curé de Vacoas, lors du décompte des voix des élections municipales de 2012, NdlR), il ne connaissait pas Nandanee Soornack. «To kone ki sanla mo ete, mwa ?» (elle y met le ton). Non, li pa ti kone, et il a pris ces fameuses photos. Elles ont eu des répercussions assez intéressantes...

 

Les commentateurs attendent avec impatience le prochain écart de langage de SAJ. Auriez-vous un teaser ?

(Long silence) SAJ est quelqu’un de nature, il a son franc-parler, kare-kare (rire). Il se trouve que parfois, c’est mal vu…

 

Et vous, ce côté politiquement incorrect vous inquiète ?

SAJ n’est pas politiquement incorrect, il est politiquement direct.

 

Le Bérenger et les Jugnauth sont redevenus les meilleurs ennemis du monde. Que vous inspire cette férocité ?

Les Jugnauth n’ont pas déclenché la guerre. Ils n’ont jamais été dans le dénigrement, eux. Paul Bérenger, je ne comprends plus cet homme. Je l’ai entendu tenir un langage, puis en quelques jours, hop, tout s’est envolé... Cela dit, je ne crois pas que Bérenger et les Jugnauth soient des ennemis jurés. Bérenger a-t-il été plus tendre envers Ramgoolam ? Tout le monde semble avoir perdu la mémoire…

 

Un objectif réaliste, pour l’alliance Lepep, ce serait quoi ?

Déjà, que les adversaires oublient leur majorité de trois quarts. Je pense même que nous pouvons gagner cette élection, sincèrement. Je suis sur le terrain tous les jours, je sens une défiance vis-à-vis du tandem Bérenger-Ramgoolam. Eux-mêmes en ont conscience, ils ont changé de discours. Ils sont passés de «60-0 assuré» à «il nous faut les trois quarts». Maintenant, ils vous disent qu’ils se contenteraient juste d’une victoire. L’alliance Lepep peut avoir de l’ambition: nous aussi, nous voulons la majorité de trois quarts !

 

Puisque vous semblez aimer les chiffres, combien dépense un candidat MSM, en moyenne ?

Le parti fournit tout, les affiches, les banderoles, etc. Les candidats, eux, s’occupent des bases. Vous donner un chiffre est difficile, disons que c’est within the norms.

 

Un million par candidat ?

Deux millions ? C’est fort.

 

Vous coûtez moins ?

(Elle acquiesce d’un hochement de tête)

 

Il y a trois ans, presque jour pour jour, vous étiez victime d’un grave accident de la route. Le neurochirurgien qui vous a opéré de la boîte crânienne a qualifié votre survie de «miracle». Qu’est-ce que cette épreuve a changé ?

J’ai rouvert les yeux 48 heures après l’opération. Je ne me souvenais de rien. Je savais que j’avais eu un accident mais j’ignorais sa gravité. Puis, le médecin m’a parlé. Je me suis vue dans le miroir, le crâne rasé, là j’ai compris. Après tout ça, j’ai fait une sorte d’introspection. Je suis plus consciente du temps qui passe, de la nécessité d’avoir du temps pour moi, pour ma famille.

 

Lorsque Shiv, votre époux, vous a fait sa demande en mariage, vous lui auriez dit: «Avant de te répondre, sache qu’un jour je ferai de la politique. » Cette histoire est-elle vraie ?

Oui, ça s’est passé comme ça. Depuis l’école, je savais que je m’engagerai en politique.

 

Manifestement, il n’est pas parti en courant…

(Rires) Non, il m’a dit: «Tu feras ce que tu voudras.» C’est un homme moderne, il n’interfère pas dans mes affaires. La politique ne l’intéresse pas mais il me soutient. Il n’assiste à aucune réunion, aucun meeting, c’est un supporter discret.

 

Il est mathématicien, il aurait pu vous aider à chiffrer vos promesses de campagne…

Vous êtes têtu, vous ! Pour la énième fois, toutes nos promesses sont déjà chiffrées et budgétées. Et mon mari, je vous l’ai dit, ne se mêle pas de politique.