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Manorama Ackung: Chercher l’histoire du présent

24 septembre 2014, 22:17

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Manorama Ackung: Chercher l’histoire du présent

Dire que Manorama Ackung n’avait aucune prédisposition particulière pour l’histoire. À 26 ans, la voilà chargée de cours depuis un an et demi à l’université de Maurice. «J’ai refusé une bourse de la Région Réunion et j’ai préféré accepter ce poste», confie-telle. Doctorante, elle prépare une thèse sur La vie politique à Maurice de 1968 à 2014.

 

Lors de la Semaine de l’histoire, qui démarre aujourd’hui à l’université de Maurice, Manorama Ackung présentera ses travaux sur la Première Guerre mondiale. Plus précisément sur l’effort de guerre de la colonie (voir hors texte).

 

Pourtant, c’est pour une licence en Relations internationales qu’elle s’inscrit. «Je ne connaissais rien à l’histoire». Un goût qu’elle développe au contact de son professeur, celui qui devient son «idole», Jocelyn Chan Low. Parmi les sujets de dissertation qu’il propose : The origins of reformatory in Maurice from the 19th century up to 1925. «Je voulais travailler sur la jeunesse. Je lui ai demandé de superviser ma dissertation».

 

C’est le début des déboires de l’étudiante en histoire. La difficulté d’avoir accès aux sources. «C’est dans un état délabré aux Archives nationales. Je n’aime pas l’atmosphère d’usine qui y règne. À la Bibliothèque nationale, pareil. Essayez de chercher des journaux de 1915. Même pour ceux qui datent de 1950, c’est difficile.» Au point où Manorama Ackung confie que «c’est pour cela que je préfère travailler sur le XXe siècle. Faire l’histoire du présent».

 

Cette empathie avec l’Histoire, la jeune femme s’enflamme quand elle la décrit. «C’est la liberté de s’exprimer. Vous pouvez dire tout ce que vous voulez du moment que vous en apportez les preuves. C’est la force de l’histoire. Je découvre des choses et cela me donne le pouvoir de faire taire les mythes.»

 

Prochaine étape : la maîtrise. Le sujet choisi par Manorama Ackung, c’est la décolonisation et la démocratisation de Maurice de 1948 à 1968. Ce qu’elle veut montrer, c’est l’indépendance vue de la perspective britannique. «On sait surtout ce que Ramgoolam père et les autres acteurs de l’époque disaient de l’indépendance.» Un papier que la chercheuse a présenté la semaine dernière lors de la Research Week. «J’ai eu de la chance. Quand je travaillais sur la maîtrise, on avait apporté des sources du Public Records Office de Londres, qui venaient d’être déclassifiées. J’ai été parmi les premiers à travailler dessus

 

Durant son parcours, Manorama Ackung a également contribué au projet d’histoire à l’école. Sa participation concernait justement l’indépendance.

 

À écouter la jeune femme égrener ainsi ses travaux, on aurait pu croire que la vie d’une doctorante et chargée de cours est un long fleuve tranquille. Que nenni. L’histoire c’est aussi des tabous, des non-dits que certains veulent laisser dans l’ombre. Comme l’épineux sujet des castes. Qui a valu des refus de publication à la jeune femme. «Mais ce n’est pas grave, je dirai tout dans ma thèse de doctorat

 

PREMIÈRE GUERRE MONDIALE :

 

CES MAURICIENS VICTIMES DE DISCRIMINATION RACIALE

 

Lors de la Semaine de l’histoire, qui démarre aujourd’hui à l’université de Maurice, Manorama Ackung présentera ses travaux sur L’effort de guerre 1914-1918, quelle contribution de Maurice ? Cela dans le cadre du centenaire du début de la Première Guerre mondiale.

 

«Il y a peu d’ouvrages sur la question», explique-telle. D’où la proposition de son directeur de thèse à l’université de La Réunion, Yvan Combeau, qui est également directeur du Centre de Recherches sur les Sociétés de l’océan Indien, de creuser ce sujet. Parmi ses sources : le rapport de 20 pages du gouverneur général John Chancellor. «Il rapporte l’enthousiasme débordant des Mauriciens pour s’engager. Mais il ne prend pas trop de risques. À l’époque on pensait que la guerre n’allait pas durer.»

 

Son successeur, sir Hesketh Bell, propose lui aussi le concours des Mauriciens au War Office. «Mais les Anglais refusent à cause de la discrimination raciale. Ce sont uniquement les Européens pure souche qui étaient recrutés». Mais, raconte Manorama Ackung, «comment ce gouverneur allait-il annoncer cela à Maurice ?» Embarrassé, il temporise. Insiste auprès du War Office.

 

Le gouverneur, révèle Manorama Ackung, n’en parlera qu’à quelques membres du Council of Government qui lui conseillent de ne pas ébruiter l’affaire. «Ils inventent un prétexte disant que tous les bateaux qui patrouillaient dans la région sont partis. Et qu’on a besoin d’hommes pour assurer la sécurité dans l’île.» Mais la population n’est pas dupe. Elle se doute qu’on ne leur dit pas tout.

 

Un avis de recrutement finit par paraître dans les journaux de l’époque. «400 personnes y répondront, environ 200 seront retenues et 100 Européens de pure souche seront engagés», explique la chercheuse. Ses recherches montrent aussi que certains Mauriciens «partent à leurs frais». Un Labour Battalion de 1 500 hommes met le cap sur la Mésopotamie. En janvier 1918, le gouverneur Bell écrit à nouveau au War Office, qui accepte et puis refuse à nouveau. En novembre, la guerre est finie.

 

Côté financier, «il y a eu beaucoup de dons», affirme la chercheuse. «On a fi nancé l’achat de 30 avions. Rien que pour la French Day par exemple, on récolte Rs 80 000. Solidairement avec les Seychelles, on récolte Rs 100 000. C’est aussi l’époque où les sucriers et ceux devenus propriétaires lors du Grand morcellement font de bonnes affaires, car le prix du sucre augmente. C’est comme cela qu’ils arrivent à financer les études de leurs enfants à Londres.»