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Viol conjugal: souffrir en silence

18 juillet 2014, 13:25

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Viol conjugal: souffrir en silence
Nombreuses sont les femmes des pays de la Communauté pour le Développement de l’Afrique australe (SADC) qui subissent le viol conjugal et qui souffrent en silence. Non pas que le Code pénal de leur pays soit silencieux sur la question car hormis les Seychelles, le Botswana et Maurice, les autres pays de la SADC considèrent le viol marital ou conjugal comme un délit sexuel punissable par la loi. Le problème repose sur la rareté des dénonciations. Si les femmes n’en parlent pas, c’est par pudeur et honte ou par peur des représailles de leur mari. Les rares femmes qui le font se cachent généralement derrière un pseudonyme. C’est le cas de cette quinquagénaire que nous nommerons Revatee*.  Si elle se prête au jeu de l’interview, c’est parce que son époux n’est plus de ce monde…
 
Revatee porte toujours les séquelles, psychologiques du moins, de ce qu’elle a vécu. Son tortionnaire n’a été autre que son époux. Mais même si ce dernier est décédé, il y a une dizaine  d’années, le traumatisme ne s’est pas estompé pour autant. Revatee est contrainte de suivre des traitements psychiatriques pour cause de dépression. Cette mère de six enfants, tous adultes aujourd’hui, se dit marquée à vie. 
 
Ce sont ses parents qui ont choisi son mari, 35 ans plus tôt. « Tout comme ma meilleure amie, je voulais poursuivre des études supérieures et devenir enseignante. Mais mon père en a décidé autrement. Il m’a imposé un homme comme mari, en arguant que dans notre famille, les filles ne travaillent pas, qu’elles se marient et élèvent de beaux enfants », raconte-t-elle péniblement à ce souvenir. 
 
Lors de sa première rencontre avec celui qui allait devenir son époux, Revatee garde l’impression d’un homme timide, qui s’exprime à peine. Elle met cela sur le compte d’une nature douce et sensible. « Il parlait à peine. Mais lorsque je l’ai vraiment connu, j’ai compris qu’il était plutôt du genre sournois et qu’il cachait bien son jeu. Comme tant d’autres jeunes filles, j’ai mal vécu ma première nuit de noces car j’étais une grande romantique. Il a été loin d’être tendre. J’étais donc persuadée que les autres nuits allaient être plus agréables. J’étais loin de me douter que mes jours seraient plus beaux que mes nuits », confie la quinquagénaire. 
 
Revatee est forcée d’avoir des rapports avec son mari presque tous les soirs car il a une libido hyperactive. Ainsi, après une journée de tâches ménagères, elle est obligée d’avoir des rapports sexuels et qu’elle soit fatiguée ou pas, il n’en a cure. Elle avoue qu’elle n’a jamais éprouvé de désir et encore moins de plaisir sexuel tant ces rapports étaient forcés.  «Ces rapports imposés et forcés étaient si fréquents que j’ai eu huit enfants. Deux sont décédés pour cause de prématurité. Je mettais un enfant au monde chaque année. A peine avais-je récupéré de la dernière grossesse, que je retombais enceinte. Et il était insatiable. Je devais me soumettre à lui quelques jours après mon accouchement. Je souffrais le martyre et je l’exprimais mais il était sans pitié», poursuit-elle, la gorge nouée par l’émotion. 
 
Au fil du temps, l’époux de Revatee est devenu un disciple de Bacchus. Son caractère s’en est trouvé altéré pour le pire et il a fini par devenir encore plus violent. Ainsi, en sus d’être régulièrement violée sur la couche conjugale, Revatee a  aussi  reçu des coups toutes les fois où elle  protestait et refusait de se laisser faire. Sans compter que, sous l’influence de l’alcool, il devenait plus pervers et faisait tout pour réaliser ses fantasmes. « Mon corps en était réduit à n’être qu’un simple objet de plaisir sexuel. Après m’avoir longtemps violée, il s’est mis à me sodomiser quand cela lui chantait. Il me giflait tout en me pénétrant. Il introduisait même des objets en moi. Je devais me mordre les lèvres pour ne pas hurler de douleur afin de ne pas réveiller nos enfants qui dormaient dans les chambres d’à-côté», poursuit Revatee maintenant en pleurs.
 
C’est par amour pour ses enfants que Revatee a continué à subir ce calvaire. « Comment dire à nos enfants que leur père qui se montre adorable envers eux, viole leur mère presque chaque soir ? Comment leur dire que leur père est un pervers ? J’avais honte d’en parler à qui que ce soit d’ailleurs. Ce n’est que lorsque mon mari est mort que j’ai commencé à me confier. Mais je n’ai pas eu le courage d’en parler à mes enfants. J’ai peur que leur réaction me fasse davantage mal. Ils ont une certaine image de leur père et je risque en disant la vérité pourtant de la détruire.  Sans compter qu’ils pourraient ne pas me croire.  Et cela m’anéantirait », confie-t-elle. 
 
Elle préfère alors prendre des antidépresseurs pour tenter d’effacer des souvenirs qui lui collent encore à la peau malgré le temps qui passe.  Le viol conjugal est reconnu comme délit sexuel dans 12 pays de la SADC, à l’exception des Seychelles, du Botswana et de Maurice.  Le problème réside dans l’absence de dénonciations. 
 
Mais à Maurice, le viol conjugal a tout de même fait l’objet de réflexions publiques à la fin 2013. Le responsable de communication du bureau du Directeur des poursuites publiques (DPP) s’est par la suite exprimé sur la question. Le DPP se demande s’il n’est pas temps d’amender la législation pour qu’elle soit plus claire par rapport au viol conjugal. Mais les avis divergent parmi les membres du barreau. Certains pensent que la législation actuelle est «ambiguë» par rapport au viol conjugal. D’autres, en revanche, estiment que le viol conjugal est un viol tout court, donc un acte punissable par la justice. 
 
Quant aux associations féminines comme Gender Links, elles pensent que le viol conjugal doit être reconnu en tant que délit sexuel séparé du viol et inclus dans le Code pénal. Comme le souligne Gender Links dans son Baromètre régional 2013, le viol conjugal doit faire partie intégrante des plaidoyers des activistes du genre et des campagnes de sensibilisation contre la violence basée sur le genre. Ainsi, cela encouragerait peut-être les femmes à ne plus se draper dans leur honte et à dénoncer leurs bourreaux de maris. 


 
*Radha Rengasamy-Jean Louis est journaliste à Maurice. Cet article fait partie du service d’information de Gender Links qui apporte des perspectives nouvelles à l’actualité quotidienne.